Couleurs de chez nous : on boit où ?

Vendredi 26 Janvier 2018 - 18:15

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B., un écrivain congolais, présente son nouvel ouvrage. L’assistance est composée d’étudiants, d’universitaires et d’autres passionnés des œuvres de l’esprit. Les débats finis, l’écrivain entend une clameur monter avant de distinguer une revendication : « On boit où ? »

Surpris ? Non. En bon Congolais, notre écrivain connaît la chanson. Il fait vite de souffler à ses invités le lieu où ils devraient se retrouver pour lier l’utile à l’agréable. En effet, chez nous, rien ne se conçoit sans boisson. Ce n’est plus une déviance. C’est une règle, un principe qui guide la vie au Congo.

Si les hommes de culture font les frais de cette exigence de notre société, les hommes politiques sont les principales victimes. Victimes vraiment ? Pas évident. Car ce sont eux qui ont  introduit cette culture. A l’heure où la politique est devenue une compétition, tous les moyens sont bons pour gagner les militants et leur confiance. Aussi n’hésitent-ils pas, ces hommes politiques, à recourir au clientélisme ou à verser dans le populisme en monnayant les adhésions ou les présences aux activités du parti.

Faire boire ses militants, ou leur promettre un « pot », est une garantie de les voir répondre « massivement » à l’invitation. D’ailleurs, chaque fois qu’un Congolais reçoit une carte d’invitation, son regard glisse vers le bas où il espère lire «Un apéritif vous est offert à la fin de la cérémonie ».

Une phrase aux allures de promesse qui a son effet sur le moral des invités souvent peu portés à écouter les discours. Il n’est pas rare que certains servent un bon sommeil aux conférenciers durant les exposés. Même lorsque vous aurez réuni les conditions pour une communication animée, avec PowerPoint, par exemple.

Même dans les milieux sportifs, « On boit où ? » revient toujours. Tel est un moustique, la question finit par agacer parfois les oreilles de celles et ceux qui se portent candidats à la tête des fédérations sportives ou des clubs. Une question récurrente à la fin de chaque séance d’entraînement et bien plus au terme de chaque match. On peut même dire que certains ont dû renoncer à leurs responsabilités afin d’échapper à cette contrainte de devoir débourser inutilement.

La culture est si répandue et partagée que certaines personnalités doivent leur notoriété à leur générosité à faire boire leurs supporters. Ici, la bière est un argument  qui convainc plus que toutes les théories.

Les journalistes ne sont pas exempts de critiques à ce sujet. Il suffit d’observer leur attitude lors des cérémonies qu’ils couvrent. Elle rejoint bien celle de leurs concitoyens en termes de désintérêt affiché aux discours et d’entrain pour les apéritifs. En dehors des extraits pour nourrir leurs journaux, mes consœurs et confrères se donnent rarement la peine de fouiller l’information ou de chercher à en comprendre les enjeux. Comme les autres, ils se laissent aller au sommeil pour ne se réveiller qu’à la fin avec deux questions : «Qui s’occupe de nous ? » ; « On boit où ? »

Van Francis Ntaloubi

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