Couleurs de chez nous : délestage

Samedi 21 Octobre 2017 - 10:20

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Le mot est français et il a sa place dans le dictionnaire de cette langue. Il est défini comme « la suppression momentanée du courant électrique pour une tranche de clientèle non préférentielle.»
 

Le mot est français et il a sa place dans le dictionnaire de cette langue. Il est défini comme « la suppression momentanée du courant électrique pour une tranche de clientèle non préférentielle.» Au Congo, il se résume à ceci : « coupure d’électricité pendant un temps pour être rétabli plus tard ». Peu importe la zone car tous les quartiers sont frappés sans être avertis. Et la durée de cette coupure n’est pas définie, etc. Mais pour l’opérateur, la société nationale, des raisons expliquent cet état de choses.

Peu importe, mais ainsi vont les choses dans ce pays et les gens s’en sont accommodés. En effet, « le délestage », en tant que mot, hante tellement l’esprit et la vie des Congolais au point qu’il est devenu un véritable phénomène de société.

Pour peu qu’un individu soit infidèle à ses engagements, on parle de délestage. Est principalement visée toute attitude qui suppose l’inconstance. En clair : le mot a intégré le vocabulaire sentimental en raison des pratiques observées dans ce domaine. On dira d’un individu qu’il fait du délestage lorsqu’il passe d’un partenaire à un autre et vice versa ; lorsque sa présence est irrégulière. « Bolingo ya délestage », en français : délestage en amour. Or, qui dit « délestage » dit « délester ». Il n’est pas étonnant d’entendre des Congolais médire des leurs en parlant d’« amour délesté », c’est-à-dire  un amour réduit ; un amour non entièrement vécu ; un amour toujours interrompu et dont on jouit peu ou pas.

Les mots subissant l’influence de leurs auteurs comme la langue celle de ses locuteurs, « délester » a accouché « délaissé ». « On l’a délesté » de son amour devient : « On l’a délesté » puis, enfin : « On l’a délaissé ». Dits ainsi, les propos ne traduisent aucune sympathie pour la personne en mal d’amour. Au contraire, ils sont chargés de raillerie. La personne, sujet du débat entre Congolais, est présentée non seulement comme une victime mais comme un « mal aimé ». C’est à peine si ses détracteurs ne poussent pas le pion pour lui proposer d’aller « prier » ou voir à l’église s’il n’y a pas, comme elle, une « âme seule », « une âme sœur », donc  un « cœur abandonné ».

Il n’y a pas que l’amour qui est gagné par le délestage. Dans certaines familles nombreuses, le délestage est considéré comme cette pratique de sauter des repas ou de privilégier les enfants pour le petit-déjeuner pendant que les plus grands ou les adultes sont priés de « supporter ». Ici, le délestage est un jeu « économique », une démarche rationnelle et d’orthodoxie pour assurer le juste minimum à chacun et à tous. Pour qui vit au Congo ou connaît le pays, l’actualité et le contexte donnent de la couleur et de l’allure au mot « délestage ».  

Van Françis Ntaloubi

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