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Davos, le rendez-vous de l’irréalité

Lundi 26 Janvier 2015 - 10:05

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Rien, finalement, ne rend mieux compte du fossé qui se creuse entre les différentes parties du monde que le Forum de Davos, cette grand’messe annuelle aussi bavarde que prétentieuse à laquelle participe tout ce que la planète riche compte de banquiers, d’entrepreneurs, de responsables politiques, de penseurs, de communicants et autres grands esprits. Au total quelques deux mille têtes aussi bien faites que déconnectées de la réalité parce que vivant en vase clos dans un monde aseptisé où l’argent, le profit, le pouvoir, le cynisme sont rois, mais où les réalités humaines ne sont guère prises en considération.

Ce que nous vivons dans le moment présent, même si le Forum de Davos ne s’en est guère préoccupé, n’est pas autre chose qu’une révolution dont surgira à plus ou moins long terme une équation internationale totalement différente de celle qui a occupé les esprits durant ces quelques journées. Avec quatre changements majeurs que nous avons maintes fois exprimés ici même, mais qu’il convient de répéter jusqu’à ce que la prétendue « élite » mondiale s’en pénètre.

Premièrement, le gonflement démesuré d’une bulle financière qui tôt ou tard éclatera, plongeant le monde dit « riche » dans un chaos dont on ne peut prédire avec certitude ce qu’il sortira, mais dont les dégâts seront sans aucun doute considérables. Surendettés au-delà du raisonnable et incapables de réduire leurs dépenses publiques des pays réputés stables comme la France en Europe, le Japon  en Asie, la Russie entre deux continents se trouveront un jour prochain en état de cessation de paiement, incapables de payer leurs dettes, ni même d’ailleurs d’assumer les intérêts de ces mêmes dettes comme la Grèce aujourd’hui. En quelques heures l’édifice sur lequel prospéraient jusqu’à présent les financiers – omniprésents bien sûr à Davos – s’effondrera et débutera probablement une crise analogue à celle qui dévasta l’Europe dans les années trente.

Deuxièmement, les crises en série que génèrent dans deux régions de la planète les interventions aussi anarchiques qu’absurdes des « Grands » ne peuvent que plonger dans le chaos des zones qui étaient restées longtemps stables. Je n’en citerai que deux : le Levant où les Etats-Unis ont semé sans raison le désordre après le 11 septembre 2001 en abattant Saddam Hussein, en s’abstenant de soutenir Bachar al-Hassad contre les extrémistes syriens, en encourageant Israël dans son refus d’aider à la création d’un État palestinien, en s’engageant dans une bataille sans issue en Afghanistan pour ensuite se retirer sans avoir rien réglé ; l’Afrique du nord où la France et ses alliés ont tout mis en œuvre pour abattre Mouammar Kadhafi, livrant du même coup le Sahel aux trafiquants comme aux extrémistes de tout poil et aggravant la menace djihadiste qui pesait sur les populations de l’Afrique de l’Ouest et qui gagne maintenant l’Afrique centrale.

Troisièmement, les litiges territoriaux et stratégiques qui avaient marqué, dans l’hémisphère nord, la deuxième moitié du vingtième siècle sont en voie de résurgence comme en témoignent, en Europe, la ré-annexion de la Crimée par la Russie, l’interminable guerre intestine qui détruit l’Ukraine, l’affrontement larvé entre les Etats-Unis et la Russie, mais également, en Asie, l’aggravation continue des tensions entre la Chine et le Japon, ou la guerre qui ne dit pas encore son nom entre les deux Corées. Même si le pire, c’est-à-dire des conflits ouverts, n’est pas encore tout à fait certain, la montée des tensions dans ces deux parties du monde ne laisse présager rien de bon. Elle risque en effet d’élargir démesurément le fossé qui se creuse entre les grandes puissances et de provoquer une nouvelle « guerre froide ».

Quatrièmement, l’émergence du tiers-monde, et tout particulièrement de l’Afrique noire s’accélère. Tenue à Davos pour une donnée négligeable du monde actuel la croissance du continent se confirme de jour en jour. Certes elle ne se traduit pas encore par une remise en question des grands équilibres mondiaux, mais pour qui veut bien ouvrir les yeux elle est la donnée fondamentale de ce début de millénaire. Si les pays africains unissent leurs efforts pour se faire une place au soleil dans les institutions de la gouvernance mondiale ils provoqueront très vite un déplacement des lignes politiques, économiques, stratégiques qui leur confèrera un pouvoir à la mesure de leur poids humain qui ne cesse de grandir. Il en va évidemment de même de l’Amérique latine qui occupera demain une place éminente dans l’équilibre ou le déséquilibre stratégique de la planète.

Si les notables réunis à Davos avaient été sages ils auraient fait aux représentants du monde émergent la place que celui-ci occupera inévitablement dans les années à venir. Mais cette ouverture les aurait contraints à changer leur vision du monde, ce que, bien sûr, ils ne pouvaient pas faire compte-tenu de la conviction qui est la leur selon laquelle ils en sont toujours les maîtres.

Qui organisera donc un Davos africain où le monde sera décrit tel qu’il est et non tel que l’imagine le petit club de « nantis » réuni au cœur des Alpes suisses ?

 

 

 

 

Jean-Paul Pigasse

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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