Evocation : Isandhlwana, lieu de mémoire anglo-zoulou en Afrique du Sud

Jeudi 11 Avril 2019 - 23:27

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Isandhlwana, aussi transcrit par Isandula, colline à la tête de bœuf, est une plaine surélevée par une crête au nom éponyme située dans le Kwazoulou Natal, à l’est de l’Afrique du Sud. Silencieux, inébranlable et insouciante, la plaine que surplombe le massif rocailleux est périodiquement l’objet de cérémonies dédiées tant à la mémoire des soldats britanniques qu’à ceux de l’armée zoulou. En effet, ici, au cours de la journée fatidique du 22 janvier 1879, voici 140 ans, se déroula une violente bataille entre l’armée zoulou et les troupes coloniales britanniques dont la défaite fit sensation en  Europe.

Exilé en Angleterre, le philosophe et révolutionnaire allemand, Friedrich Engels, consigna alors dans ses notes que les Zoulous avaient fait ce qu’aucune armée au monde ne pouvait faire, à savoir réussir l’exploit de battre à coups de sagaies l’armée britannique vainqueur du lion français, Napoléon Bonaparte, à Waterloo.

Les Zoulous, ethnie bantoue de la côte est sud-africaine, fut fondée comme nation militaire par le conquérant Chaka, au début du XIXe siècle. Fils du chef Senzangakona (il eut deux frères de mères différentes, Dingane et Mpandé), le spartiate Chaka porta l’art militaire zoulou à son apogée. Quand il succomba, le 22 septembre 1828, au complot fomenté contre sa vie par le félon Dingane et le général traître Umlhangana, Chaka laissa à sa postérité la plus formidable machine de guerre jamais conçue dans les pays bantous, de l’Afrique australe à l’Afrique centrale. Quasiment un demi-siècle après sa mort, l’armée ou impi en langue zoulou fera la démonstration de ses moyens face à six régiments britanniques qu’elle balaya.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Cetshwayo, fils de Mpandé, avait été intronisé roi en 1873 suite à la mort de son père. A la même époque, la couronne britannique qui avait déjà sur place en Afrique du Sud une colonie des sujets de sa Majesté, la reine Victoria, envoya en 1877, dans la ville du Cap, un proconsul nommé Henri Bartle Frère. Voulant confédérer sous la bannière de son pays, les colons boers d’origine hollandaise, les sujets de la couronne britannique et les royaumes africains, Bartle Frère conçu le nuisible projet d’éliminer le royaume zoulou qu’il jugeait comme un sérieux obstacle à sa vision. Obsédé par la poursuite de son objet, le belliqueux anglo-saxon profita d’un incident mineur pour lancer une provocation au roi Cetshwayo. Son ultimatum de décembre 1878 à l’endroit de ce dernier était, en effet, assorti de l’exigence du désarmement de l’Impi, son démantèlement et la perte de l’indépendance du royaume. Toutes choses que seule la contrainte des armes pouvait imposer.

De son côté, le roi zoulou ne voulait pas de la guerre. Il avait de bonnes raisons pour cela. Ses sagaies ne pèseraient pas lourd face à la puissance de feu des Européens armés jusqu’aux dents. La sanglante défaite du Blood River face à une poignée de Boers conduite par Andries Pretorius pendant la royauté de Dingane et d’autres escarmouches avec les Européens recommandaient la plus grande prudence.

Toutefois, à l’expiration de l’ultimatum en janvier 1879, face à l’arrogance de l’ennemi, le roi Cetshwayo n’eut d’autres choix que de mettre ses soldats en ordre de bataille. L’armée d’invasion britannique, forte de reize mille hommes, équipée de toute sorte d’armes, était commandée par le général Frederic Tesiger, baron (lord) de Chelmsford. Ce dernier scinda sa troupe en cinq colonnes devant converger sur Ulundi, la capitale de Cetshwayo. De son côté, l’Impi marcha à la rencontre de l’ennemi. Elle était forte de vingt mille hommes essentiellement armés de sagaies.

La colonne de lord Chelmsford, la plus dangereuse des cinq contre laquelle le commandement zoulou avait dirigé son armée, avait établi un camp au pied de la colline d’Isandhlwana. Au matin du 22 janvier 1879, lord Chelmsford, à la tête de trois mille hommes, se mit en marche à la recherche de l’Impi qu’il voulait détruire. Sur place, il laissa des régiments qu’il fit renforcer par une des colonnes  celle du colonel Dunford, qu’il avait fait formé. Au total, six régiments de mille sept cents soldats gardaient les arrières du général britannique.

 Dans le même temps, se préparant à attaquer l’ennemi le 23 janvier, l’Impi, par un mouvement de contournement, se cachait en silence non loin de la plaine où s’élevait le camp britannique au pied de la colline d’Isandhlwana. C’est par hasard que les Anglais découvrirent ahuris, établis non loin de leur base, l’inamicale présence de l’armée qu’ils recherchaient. Découverte, la machine de guerre zoulou engagea immédiatement le combat. Elle réussit, afin de limiter les tirs meurtriers des Martini-Henry, Kalachnikovs de l’époque, à briser les positions britanniques. On se battit au corps à corps, baïonnettes contre sagaies. Dans l’après-midi, à 2h 29, le ciel lui-même décida de se mêler à la bataille pour quelques minutes. Une éclipse solaire survint qui jeta son ombre sur ce champ aux sinistres hurlements où la mort avait donné rendez-vous aux hommes sans passer par le Tribunal du jugement dernier.

A l’heure du bilan macabre, l’Impi zoulou avait balayé six régiments anglo-saxons. Le colonel Dunford, le lieutenant-colonel Pulleine et leurs soldats, soit mille trois cents hommes, avaient laissé leurs peaux. Quatre cents autres individus avaient réussi à s’enfuir. Du côté des Zoulous, mille soldats manquaient à l’appel sans compter des dizaines d’autres blessés.

Le roi Cetshwayo, qui espérait que le bain de sang d’Isandhlwana inciterait ses ennemis à enterrer la hache de guerre, ignorait tout de la mentalité guerrière britannique. Au contraire, nourris par un élan de vengeance, Chelmsford et acolytes rendirent la vie difficile aux Zoulous contraints de se battre pied à pied contre un féroce ennemi jusqu’à la chute d’Ulundi, son incendie et la déposition le 4 juillet 1879 du roi Cetshwayo. Devenu prisonnier de guerre, le roi fut conduit à Londres où il vécut exilé dans la pure tradition britannique avec son diadème royal sur la tête comme héritier du trône de Chaka.

Aujourd’hui, la plaine d’Isandhlwana est un lieu de mémoire que visitent régulièrement les touristes du Kwazoulou Natal. Respectés et assis au pied de  la colline à la tête de bœuf qu’ils prennent à témoin, se dressent un ossuaire des soldats anglo-saxons et un monument à l’Impi zoulou. Ossuaire et monument témoins de la violence de cette fatidique journée du 22 janvier 1879 révèlent, en silence, au visiteur la fragilité de l’être humain balloté par des passions contradictoires qui finissent par l’emporter.

 

 

François-Ikkiya Onday-Akiera

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