Evocation. Le premier congrès extraordinaire du PCT : délire gauchiste, casse générale (suite)

Jeudi 7 Novembre 2019 - 19:45

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

La situation créée par l’intrusion intempestive du lieutenant Pierre Kinganga alias Sirocco à la Radio nationale, le 23 mars 1970, bouleversa l’équilibre des forces politiques au sein du bureau politique du parti à peine constitué. Ce bureau politique était passé de huit à dix stratèges dont cinq militaires et cinq civils. Parmi les cinq militaires, seul le lieutenant Ange Diawara, ancien commandant de la Défense civile, était trempé dans le bain politique depuis des années sous l’aile d’Ambroise Noumazalay. Les quatre autres, les commandants Ngouabi et Raoul, les capitaines Kimbouala et Sassou étaient des militaires professionnels arrivés en politique par la force des choses. Sur les cinq civils, Ambroise Noumazalay et Ernest Ndalla étaient les durs à cuire du socialisme scientifique que le président Massamba-Débat avait vainement tenté de dribbler. Ange Edouard Poungui, leader estudiantin, inclinait vers ces deux-là. En principe, le juge de paix de cette équipe, l’homme aux positions médianes, devait être le président Marien Ngouabi. Malheureusement, échaudé par l’attaque de Kinganga contre son pouvoir et impressionné par la promptitude de la contre-attaque du lieutenant Diawara, le président Ngouabi, au cours de ce congrès, s’aligna sur des positions naguère qualifiées d’utopie par son prédécesseur.

Ce dernier, face à la fougue de l’extrême gauche, avait alerté sur les dangers que courrait le pays en cas de politisation abusive de l’administration. Or, durant ce congrès, on prit la résolution d’accélérer le démantèlement de l’appareil d’Etat néo-colonial. Par ce vocable d’appareil d’Etat néo-colonial, on sous-entendait l’administration publique léguée par les colons français. Après seulement dix ans de tutelle nationale, son démantèlement supposait son remplacement par un autre modèle administratif performant en termes de gestion de l’Etat et surtout totalement indépendant du modèle néo-colonial français. Ce type de modèle n’existait dans aucune ancienne colonie française même au stade expérimental. Le démantèlement promu avait donc toute l’apparence d’un délire de gauchistes, une gesticulation politicienne destinée à renforcer le camp des tenants de la politisation à outrance de l’administration publique et de l’Armée.

Après le congrès, la suite ne se fit pas attendre. Les braillards prirent le dessus partout dans l’administration civile et militaire. Il fallait être politiquement mûr pour gravir rapidement les échelons administratifs. Citer à tout vent les passages des dieux Marx, Engels, Lénine, Mao rassurait. Un stage de six mois à Moscou, Berlin-est, Sofia, La Havane ou Pékin était synonyme d’un grade administratif. Les braillards avaient le vent en poupe alors que l’administration périclitait.

Après l’administration publique, les congressistes ne levèrent pas le pied. L’extrême gauche triomphante avait encore deux petits comptes à régler. La gendarmerie était dans son viseur. On s’était souvenu à temps que les gendarmes garants de l’ordre public avaient rendu la vie difficile aux militants de la JMNR. Certains d’entre eux en avaient gardé de cuisants souvenirs. On s’était rappelé qu’en 1965 et 1966, les gendarmes avaient exigé la dissolution de la JMNR/ Défense civile et étaient prêts à lancer un assaut contre ceux qu’ils qualifiaient de délinquants en treillis. Avec la participation de certains chefs de la gendarmerie au coup de Kinganga, les anciens de la Défense civile prirent leur revanche. Le congrès ne se contenta pas d’épurer les éléments dégénérés de la gendarmerie, mais décréta la fin de cette institution. Ce fut à cet instant, l’une des décisions les plus tragiques de ce congrès. La gendarmerie comme l’administration publique étaient les deux attributs positifs du legs colonial qui symbolisaient l’Etat. A la campagne comme dans les villes, la gendarmerie était le garant du rapport de force entre citoyens en termes d’impersonnalité de la loi, et par conséquent, en termes de la sécurité des biens et des personnes. En détruisant ce corps et en le remplaçant par des miliciens analphabètes, ignares, sans la moindre éducation, le congrès avait transformé et promu l’Etat congolais à être une jungle. Malheur et compagnons étaient, d’ailleurs, déjà à l’affût pour se jeter sur les citoyens désormais sans défense. En effet, la disparition de la gendarmerie coïncida étrangement avec la montée du phénomène de la secte des sorciers-malfaiteurs dit Andzimba. Abandonnés à eux-mêmes, les paysans organisèrent des pogroms contre toute personne accusée de sorcellerie. Certainement, les congressistes ne savaient pas que leur enthousiasme avait promu quatre décennies de saignée, de familles disloquées, de villages abandonnés, des corps à jamais marqués par des stigmates. Pour faire bonne mesure, la casse générale ne se limita pas à ces deux symboles de l’Etat.

La chefferie traditionnelle, dernier édifice de la base de l’Etat congolais, n’échappa pas à « la réforme » des congressistes. Ici encore, la rancune n’était pas nouvelle. Dans un opuscule intitulé « L’école des cadres du MNR », datée de 1965, l’extrême gauche avait clairement indiquée le lumpenprolétariat des villes et des zones rurales comme son principal allié.  Les désœuvrés et déclassés de toutes sortes devaient prendre le pouvoir et exercer leur dictature. Les jours des chefferies traditionnelles et des propriétaires fonciers étaient comptés ! A l’époque, le président Massamba-Débat, qui commençait à soupçonner ses jeunes alliés de quelque folie, avait dû calmer leur ardeur.

Au premier congrès extraordinaire du PCT, avec le fantôme de Kinganga à ses trousses, le président Ngouabi se rallia à leurs thèses. Quand, plus tard, il poussera des grands cris contre des « aventuriers gauchistes », il ne retrouvera sa lucidité des jours d’août 1968 qu’avec beaucoup de peine, de désillusion et de retard. Ce congrès qui avait vu le triomphe de l’extrême gauche avait décidément marqué au fer rouge et le pays et son président. Le sirocco, un vent chaud et sec était passé par là.

 

 

 

 

François-Ikkiya Onday-Akiera

Notification: 

Non