Evocation : le temps des pronunciamientos

Jeudi 3 Octobre 2019 - 20:27

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L’Afrique des indépendances. Et, cette question centrale, thème d’un colloque d’universitaires et journalistes, qui aurait pu servir de boussole à la marche des peuples libérés : la liberté et après ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’anarchie était la réponse la plus sérieuse qui puisse satisfaire la question énoncée supra.  En effet, l’anarchie était inscrite dans l’ordre naturel des choses dans le réveil des peuples d’Afrique suivant une logique historique qui a rarement failli quand les conditions de la probabilité de sa réalisation sont réunies comme au moment des indépendances des pays africains en 1960. Le passage de l’esclavage à la liberté, on l’a vu dans les révolutions du XVIIIe au XXe siècle (révolution française, révolution haïtienne, indépendances des pays d’Amérique latine, révolutions russes, …) a toujours constitué un temps redoutable, propice à l’anarchie institutionnelle et sociale.

De 1960 à 1990, soit durant une période de trente années, l’anarchie institutionnelle régna en maître sur la quasi-totalité des pays d’Afrique, de l’Algérie à l’Angola en passant par l’Ethiopie, occasionnée par des révolutions ou des pronunciamientos, des coups d’Etat militaires.

Le Congo, notre pays, n’échappa guère à cette anarchie institutionnelle. C’est le sort que les conditions d’accès à la liberté lui avaient préparé. Dès août 1963, trois ans après son accession à la souveraineté internationale, son président, l’abbé Fulbert Youlou, était emporté par une révolution populaire. Son successeur, Alphonse Massamba-Débat, déjoua pendant quasiment cinq années les intrigues intérieures et extérieures avant de décrocher le 4 septembre 1968. Il venait d’être victime d’un sévère tacle le 1er août de la même année. Allongé et dépouillé des attributs de l’imperium, il se résigna à échanger le Palais présidentiel contre la villa Miriam Makéba. Le départ du président Massamba-Débat par la force inspira des prétendants à la charge suprême qui s’acharnèrent dès lors sur le commandant Marien Ngouabi, son tombeur.

« Que dieu me préserve de mes ennemis, mes amis, je m’en charge » . Les amis du président Ngouabi furent les premiers à tenter le coup contre lui en février 1969. Le commandant Félix Mouzabakany croupissait en prison pour tentative de putsch contre le gouvernement du président Massamba-Débat, quand Ngouabi le sortit le 2 août 1968 ensemble avec un comparse, le lieutenant Pierre Kinganga alias Sirocco. Devenu ministre de l’Intérieur, il fit un faux pas selon qu’il est écrit que « qui a bu, boira ! ». Sa nouvelle tentative fut étouffée dans l’œuf comme la première contre Massambat-Débat. En juin-juillet 1969, l’affaire fut instruite avec son lot de condamnations.

L’année 1969 s’approchait de sa fin, mais le président Ngouabi n’avait pas encore fini avec la cohorte de ses contestataires. Le suivant qui entra en lice s’appelait Bernard Kolélas. Son nom n’était plus inconnu des services de sécurité depuis que les farouches baïonnettes de la jeunesse du parti de Massamba-Débat l’avait refoulé de l’autre côté du fleuve Congo. C’était en 1965. Condamné à mort, il vivait en exil à Kinshasa quand le nouveau président aussitôt arrivé l’amnistia en août 1968. Mais, comme écrit ci-dessus, « qui a bu, boira » . Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1969, Bernard Kolélas débarqua à la tête d’une équipée de trente-cinq personnes en provenance de l’autre côté du fleuve. Tous furent faits prisonniers. Présentés au stade Eboué, le 12 novembre, la Cour révolutionnaire de justice prononça quatre condamnations à mort. Marien Ngouabi qui avait promis au stade Eboué devant une foule surchauffée de ne pas faire fusiller Bernard Kolélas et son groupe, tint sa parole.

Le dernier débarquement de Bernard Kolélas fut aussi la dernière tentative éventrée sans déclaration solennelle des putschistes. Les services de sécurité ne verront que du feu au cours des deux tentatives suivantes.

La première eut lieu un 23 mars 1970. Le lieutenant Pierre Kinganga susmentionné, condamné à mort par contumace et déchu de son grade dans l’affaire Mouzabakany, rangeait son frein à Kinshasa quand il se rappela son pays. De mèche avec le capitaine Augustin Poignet et quelques gendarmes, il eut la mauvaise idée de mener son coup alors qu’à Brazzaville, le groupe révolutionnaire au pouvoir était euphorique, juché sur un nuage après l’institution du Parti congolais du travail. Militairement, l’aventure des gens venus de Kinshasa tourna court. L’immeuble de la radio (actuel ministère de l’Enseignement primaire et secondaire) où Kinganga avait lu sa bravade fut le témoin impuissant de leur fin terrestre

Inaugurées par la trahison de son ministre de l’Intérieur, les tentatives de pronunciamientos contre le président Marien Ngouabi s’arrêteront avant sa disparition tragique en 1977 avec l’échec de ses amis révolutionnaires de le pousser vers la sortie, le 22 février 1972. Ce coup qui démarra en fait dans la nuit du 21 février se braqua également sur le même immeuble de la radio comme élément psychologique déterminant. Centré sur l’enlèvement et le meurtre de certaines personnalités dont le président Ngouabi, l’échec de cette opération entraîna la fuite du lieutenant Ange Diawara, le principal auteur de cette tentative.

Ainsi, de 1969 à 1972, le régime du président Marien Ngouabi fut déstabilisé à quatre reprises par des tentatives de renversement. Si les deux premières crises furent résorbées sans dommage collatéraux pour le régime, la tentative de Kinganga jeta le pays dans les bras de l’extrême gauche alors que celle de Diawara signait la défaite de cette même extrême gauche. Cette instabilité institutionnelle avait fini par garroter le régime de Marien Ngouabi réduit à végéter dans l’invective, synonyme en politique d’une stratégie d’auto conservation fondée sur le refoulement de la réalité en dépit de l’affichage de bonnes intentions.

François-Ikkiya Onday-Akiéra

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