Evocation. Les premiers millionnaires congolais (suite et fin)

Jeudi 19 Décembre 2019 - 21:47

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Au commencement était le soleil, et, le soleil était dans les cieux. Alors, Dieu ordonna au soleil d’apporter la lumière aux hommes. Mais, sur le bout de terre situé entre le fleuve Congo et l’océan Atlantique, le coût de l’interrupteur solaire était au-dessus de toutes les bourses. Alors, dieu éclaircit son discours afin que les nuls le comprennent sans poser d’autres questions. Dieu cria à haute et intelligible voix : au commencement était l’épargne !

Les trois millionnaires de Louingui, André Bikoumou, Pierre Matingou et Demolaï Kanoukounou étaient de la race des selfs made man, des débrouillards tractés par un invincible rêve de réussir. Cette voie de la débrouillardise sera le boulevard sur lequel marcheront dans tout le pays leurs émules. Mais, dans le top 4 des meilleurs épargnants des années 1950, figurait une fortune dont le propriétaire ne pouvait pas être qualifié de « débrouillard » au sens où l’on entend ce mot. Joseph Ibara, ressortissant de la préfecture de Fort-Rousset, Owando actuel, était en matière d’épargne la démonstration du fameux tous les chemins mènent à Rome. Ibara vivait à Poto-Poto, dans la rue Makoua, entre l’avenue du Marché (actuelle Marien-Ngouabi) et l’avenue des Popos (celle qui suit Marien- Ngouabi dans la direction de l’avenue de la Paix). Joseph Ibara exerçait comme juge coutumier au tribunal de première instance. Selon l’organisation coloniale, il était le représentant de la tribu mbochie auprès de l’administration. C’est lui qui réglait les litiges des membres de cette communauté. En retour, l’administration lui rétribuait une indemnité. Un millionnaire de l’indemnité ! Les avares, on le voit, ne naissaient pas toujours sous les parois des montagnes de Louingui.

Après l’indépendance, sous la présidence de Fulbert Youlou, la proclamation millionnaire couronna deux nouveaux émules.

Quand Norbert Ntié-Ntié et Daniel Ebina débarquèrent dans la capitale comme nouvelles vedettes de l’épargne, André Bikoumou et Demolaï Kanoukounou se trouvaient en exil à Bangui. Mais, leurs faits d’armes étaient dans toutes les têtes. Norbert Ntié-Ntié, analphabète de son état, marchait sur leur voie. Il revenait de Boko, sous-préfecture dont dépendait Louingui, et s’établit dans le commerce sur l’avenue Miadeka, au marché Ouenzé. Ntié-Ntié avait la particularité de planquer ses gains à la Banque internationale de l’Afrique de l’ouest (Biao), une institution financière émettrice des billets de banque qui a existé dans notre pays. Quand son épargne atteignit le sommet millionnaire, le gouvernement le gratifia de façon exceptionnelle. On lui attribua trois bahuts de marque MAN, en guise de récompense et d’encouragement de ses efforts. Dans la mémoire des Brazzavillois, le nom de Ntié-Ntié n’éveille pas grand-chose chez les jeunes. Par contre, le nom de son frère cadet, Koulounda, qui n’avait rien à voir avec les affaires, est lié à un rond-point à Ouenzé. Pompiste à la station d’essence située à ce rond-point, Koulounda disparut en plein jour, alors qu’il était allé faire le footing. Ce drame émut toute la ville et fit attacher son nom avec le lieu de son travail. Les affaires de Ntié-Ntié périclitèrent après sa mort. Ses successeurs ne trouvèrent pas la bonne carburation   pour se maintenir à flot. A l’angle formé par la rue Dongou et l’avenue Miadeka, trône toujours l’immeuble bâti des mains de Norbert Ntié-Ntié aux jours de son Everest millionnaire.

Couronné millionnaire dès le début des années 1960, Daniel Ebina était un Téké du sous-groupe Nzikou, dans la préfecture de l’Alima-Léfini, actuellement préfecture des Plateaux. Ebina était le modèle typique du self made man. Tôt, il écuma routes et pistes de sa région avec ses bibelots en pédalant son vélo. Doté d’une extraordinaire vision prospective, Daniel Ebina était, au moment de son décès à l’âge de 78 ans survenu en 1998 à Cotonou, au Bénin, propriétaire à Brazzaville d’un impressionnant parc foncier que sa succession fructifie actuellement. Son fils Charles avait abandonné le lycée technique en classe de première pour assister son père au début des années 1960. Ce choix fut payant. Charles Ebina fut avant sa mort, le bâtisseur de l’hôtel Saphir situé au centre-ville, l’un des plus beaux fleurons de l’empire Ebina.

La perspicacité de Daniel Ebina annonçait l’arrivée d’un génie dans la galaxie des hommes d’affaires congolais qui tutoiera au début des années 1980, le milliard comme d’autres avaient, jadis, tutoyer le million dans les années 1950.

Pierre Otto-Mbongo entra dans la danse en suivant la voie de la débrouille comme ses illustres aînés. Né dans les parages de la ville d’Ollombo, au pays mbochi dans la préfecture de l’Alima-Léfini, il abandonna le collège technique où il était admis en 1966 pour suivre des cours de gestion financière par correspondance. Avec le soutien de son père vendeur de nattes, il s’essaya comme vendeur à la criée de chemises « Polo », devint vendeur de meubles d’un bel oncle et menuisier dans l’atelier de ce dernier. Son diplôme obtenu par correspondance lui ouvrit les portes d’une quincaillerie israélienne située à Mpila comme agent commercial. Victime d’une diffamation et d’un licenciement abusif, la réparation de ce tort par les juges transporta le jeune homme dans les cieux. Huit cent mille francs, et du cash ! On dit : jamais un sans deux ! Avec cette allonge, Otto gagnera un appel d’offres de la mairie de Brazzaville pour repeindre toutes les écoles de la capitale. Sans forcer, il venait de réussir l’exploit de sa vie. Sa vision et son génie feront de lui le premier opérateur national garant de l’Etat congolais dans les transactions financières internationales.  

François-Ikkiya Onday-Akiéra

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