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Il y eut le 6 juin 1944 et…

Lundi 9 Juin 2014 - 2:14

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Il y eut, en effet, le 6 juin 1944 où l’armée des États-Unis débarqua en force sur les côtes normandes avec ses alliés pour mettre fin à la barbarie nazie qui ensanglantait l’Europe depuis une décennie. Et puis, il y a eu ce 6 juin 2014 qui a vu la France célébrer avec éclat le soixante-dixième anniversaire du débarquement grâce auquel sa dignité lui fut rendue en même temps que sa liberté, mais qui a révélé aussi l’ampleur des changements en cours dans la sphère internationale.

Mettons-nous un instant dans la peau d’un diplomate de haut rang et de nationalité indéterminée qui aurait assisté aux cérémonies officielles en France et qui devrait en rendre compte aux plus hautes autorités de son pays. Voici, résumé en quelques phrases, ce qu’il pourrait écrire.

« Monsieur le Président,

Le 6 juin 2014 a marqué le retour en force des États-Unis sur le sol européen. Au-delà même du spectacle mis en scène par la France, la présence du président Barack Obama et plus encore les propos qu’il a tenus publiquement ou fait rapporter à la presse par ses proches ont montré que le Vieux Continent avait repris sa place, toute sa place, dans les préoccupations américaines. Ce retour en force résulte d’une analyse stratégique dont les éléments principaux sont à mon sens les suivants.

1. La Russie, après deux décennies d’effacement, a entrepris avec succès de redevenir une puissance majeure. Débarrassée du communisme qui la conduisait droit à la ruine, elle reconstitue sans le dire son empire, ou plutôt entreprend de reconstruire autour d’elle une communauté d’États capable de tenir tête aux Occidentaux. En témoigne la reprise en mains de la Crimée, et plus encore des régions russophones qui bordent ses frontières. Cela rend probable, sinon certaine, une montée des tensions dans l’est et le sud de l’Europe au cours des années à venir.

2. Face au retournement de situation stratégique que constitue la politique conduite par le président Vladimir Poutine, l’Union européenne se révèle incapable d’agir. Minée par ses dissensions internes, paralysée par la pesanteur de ses institutions, rongée par la crise économique et financière qui affaiblit des pays clés comme la France, elle se contente de discourir à perte de vue sans prendre les dispositions qui feraient d’elle un interlocuteur, voire un adversaire valable aux yeux des Russes. Faute de s’unifier sur le plan politique, elle ne pèse rien ou presque dans la nouvelle équation stratégique.

3. Cela est d’autant plus vrai que l’ampleur des cérémonies organisées par la France pour commémorer le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914 et la libération de son territoire en 1944 creuse, contrairement aux apparences, un nouveau fossé entre les Allemands et les Français. Les premiers considèrent, sans le dire évidemment, qu’il est temps de refermer les blessures du passé ; les seconds tentent de reconstruire leur unité mise à mal par la crise qui les ronge en ressuscitant avec ostentation les pages réputées glorieuses de ce même passé. Un fossé se creuse ainsi entre les deux pays, qui pourrait bien mettre en péril à brève échéance la construction européenne.

4. Pour les dirigeants américains, la cause est entendue : une mise sous tutelle de l’Europe est non seulement souhaitable, mais nécessaire. Souhaitable, parce que les dissensions croissantes entre la France et l’Allemagne empêcheront à l’avenir l’Union européenne de tenir tête à la Russie dans la recomposition plus ou moins déguisée de son empire. Nécessaire, parce que sans le poids économique et humain de l’Europe, les États-Unis s’avèreront incapables de contrebalancer sur la scène internationale le poids conjugué de leurs deux grandes rivales que sont, et seront de plus en plus, la Chine et la Russie.

Il me semble, Monsieur le Président, que nous devrions tirer sans plus attendre de ce qui précède les conclusions qui s’imposent pour notre pays et de façon plus générale pour notre continent. »

Voyons maintenant si l’histoire confirmera ou infirmera les propos prêtés à ce diplomate, qui n’existe, bien sûr, que dans notre imagination.

Jean-Paul Pigasse

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Édition Quotidienne (DB)

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