Interview : Alexis Peskine : « Il faut déconstruire et reconstruire les imaginaires »

Lundi 3 Avril 2017 - 16:56

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Cheveu au vent, allure de dandy des temps modernes, Alexis Peskine est un artiste multidisciplinaire basé entre Paris, Dakar et New-York. Son travail « Raft of Medusa : le retour de la vague » inspiré de l’œuvre de Théodore Géricault, « Le radeau de la Méduse », est présenté à Paris jusqu’au 21 mai 2017 dans la très ambitieuse et originale exposition « Afriques capitales » organisée dans le cadre du festival 100% Afrique à la Villette.

 

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B) : Dans « Raft of Medusa : le retour de la vague » vous explorez avec finesse les questions des migrations, du colonialisme et d’autres sujets brulants. Quel est le point de départ de ce travail ?

Alexis Peskine (A.P) : J’avais envie de créer un parallèle entre les naufrages des bateaux de migrants que l’on voit de plus en plus et le tableau de Théodore Géricault, « le radeau de la méduse », que l’on peut voir au Louvre. On y voit le naufrage de la frégate de la méduse d’où sont restés en mer pendant deux semaines les plus pauvres qui n’ont pas pu partir avec les barques. Théodore Géricault a peint ce tableau dans lequel on voit du désespoir et beaucoup d’émotions humaines. Ce tableau m’a beaucoup touché depuis l’enfance (C’est son père qui l’a fait découvrir cette création au musée du Louvre, à Paris. NDLR). A partir de là, j’ai créé une œuvre plutôt abstraite en recréant un radeau que l’on voit très brièvement au milieu du fleuve. J’ai ajouté à cela des costumes (fait en sac immigré. NDLR), des tours Eiffel vendus à la sauvette à Paris et d’autres symboles de migrants.

L.D.B : Il y a de la mélancolie, du desespoir mais vos personnages dans la vidéo demeurent dignes…

A.P : Dans mes œuvres les personnages sont dignes et forts, même dans l’adversité. Mon travail questionne souvent l’identité noir et celle des afro descendant, ce que l’on appelle des « blacks experiences » de façon global. Les questionnements dans lesquelles les personnes sont confrontées sont intenses, mais elles gardent toujours une certaine force. Je pense que face à l’adversité nous avons une créativité énorme. Et il est hors de question de nous voir à terre.

L.D.B : L’identité noire, le colonialisme sont au cœur de cette œuvre pleine d’émotion et d’humanisme. Est-ce une œuvre politique ?

A.P :Certes, il y a un côté qui évoque des questions qui peuvent être vu de manière politique. En réalité, en tant qu’artiste je parle à l’humain. Aux gens à qui je veux parler avec des émotions et des images au-delà de la langue. Vous remarquerez que l’œuvre de la vidéo du radeau de la méduse n’a ni texte, ni parole. Il n’y a que de la musique et des images. Je parle à l’être humain de ces questions. Ce sont des questionnements qui touchent les afro descendants, les Africains, les gens du Brésil et ceux de partout. Et j’ai recrée un espèce d’univers qui parle de colonialisme parce qu’en fin de compte lorsque l’on parle des problèmes liés à l’immigration, on parle très peu des raisons pour lesquels ces migrants viennent, ni des guerres dans lesquelles l’occident a des intérêts.

L.D.B :Le corps noir tient une place fondamentale dans votre œuvre …

A.P :J’utilise le corps noir parce qu’il faut déconstruire et reconstruire les imaginaires. Certains conflits sociaux qui datent de la période du développement de l’esclavage, de la traite négrière, du colonialisme ont montré que le corps noir a été chosifié. Dans l’imaginaire collectif, le corps noir est un bien public. Que ce soit aux Etats-Unis ou en France, on voit comment les policiers giflent, touchent, viols ou tuent des jeunes des quartiers.  De la même manière que certaines personnes vont se permettre de toucher les cheveux (naturels) d’une femme noire, après qu’elle a passé des heures dessus. Tandis qu’une femme blanche qui aurait pris des heures à se coiffer, on la trouvera jolie mais on n’ira pas jusqu’à la toucher simplement parce que le corps blanc n’appartient pas à l’espace public.

Propos reccueillis par Meryll Mezath

Légendes et crédits photo : 

Légende 1: Alexis Peskine devant l'une de ses oeuvres présentées à "Afriques Capitales"

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