Interview. Antoine-Béli Bokolojoué : « Le Congo ne donne pas l’opportunité aux architectes nationaux de jouer pleinement leur rôle »

Mardi 3 Avril 2018 - 15:15

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Brazzaville et les autres grandes villes du Congo sont touchées par des érosions qui mettent à mal la vie de plusieurs citoyens, surtout ceux qui vivent dans des quartiers périphériques. Dans une interview accordée à la presse, le président de l’Ordre des architectes du Congo (OAC) revient sur les causes de ce phénomène et propose quelques solutions.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Vous êtes architecte-urbaniste pendant que la ville de Brazzaville est frappée par des érosions. Quelles sont, selon vous, les causes de ces glissements de terrain ?

Antoine-Béli Bokolojoué (A.B.B.): Plusieurs causes sont à l’origine de ces érosions : le glissement de terrain provoqué par des pluies intenses, le manque de végétation, un drainage des eaux non adéquat. Il y a aussi des causes extérieures parmi lesquelles l’occupation anarchique des terrains, donc construction sans réglementation et bien d’autres.

L.D.B. :  La responsabilité sur ce phénomène est-elle partagée entre les pouvoirs publics et la population ?

A.B.B. : Oui ! En effet, la responsabilité est partagée dans ce sens que les gens ne respectent pas les lois et règlement. De son côté, l’Etat ne fait pas appliquer la loi. Personne n’est au-dessus de la loi et personne n’est plus fort que l’Etat. C’est l’occasion de faire une remise à plat des problèmes en ce qui concerne l’occupation des terrains. L’occasion pour les municipalités de notre pays d’élaborer des POS (Plans d’occupation des sols) et de règlementer l’urbanisme. En somme, une remise à plat de tous ces problèmes concernant l’urbanisation de nos villes.

L.D.B:. Actuellement, l’exemple probant qui fait couler beaucoup d’encre et de salive est celui de Ngamakosso, dans le 6e arrondissement Talangaï, où la deuxième sortie nord est coupée en deux. En votre qualité d’architecte-urbaniste, comment pouvez-vous expliquer cela ?  

A.B.B. : Mon avis est qu’il faut résoudre le problème d’une manière radicale, c’est-à-dire faire de telle sorte que les solutions techniques pour les travaux de drainage des eaux et de stabilisation de cet endroit puissent se faire d’une manière durable. Ensuite, il faut passer à l’étape de la prévention pour éviter ce genre de catastrophe qui coûte cher au pays. Bref, il faut des vraies études pour des vraies solutions. Une bonne solution technique produit nécessairement un bon résultat technique. Pour cela, il ne faut pas hésiter d’associer l’expertise nationale, il y en a.

L.D.B .:  Etes-vous d'avis que l’une des causes des érosions est liée aux problèmes d’urbanisme dont souffre la ville de Brazzaville?

A.B.B .: Comme je l’ai dit plus haut, il y a plusieurs causes dont les problèmes d’urbanisme. L’adoption des schémas directeurs d’aménagement de nos villes, la création des POS, par exemple, et d’autres textes sur l’urbanisme mettront, à coup sûr, de l’ordre dans ce domaine. Il faut regarder avec attention le problème de distribution anarchique des terrains. Le ministère chargé de l’Urbanisme et celui en charge du Foncier doivent travailler ensemble pour résoudre ce problème.

L’urbanisme est un enjeu politique. Dans notre pays, on avait de bonnes lois jusqu’en 1991, malheureusement une bonne partie d’entre elles a été effacée pendant la Conférence nationale souveraine. Aujourd’hui, chacun est devenu propriétaire terrien et décide de faire ce qu’il veut. On nous fait même des rues de 4 m alors que Brazzaville était l’une des villes les mieux tracées en Afrique et au monde, aujourd’hui on nous crée des ghettos partout. Je voudrais ajouter toutefois que l'on peut construire sur les collines mais en respectant les normes. L’Etat a une arme importante : le permis de construire. Si l’Etat décide de revaloriser le permis de construire, les gens ne feront plus n’importe quoi.

L.D.B. : Dans d’autres pays, les architectes construisent des villes, mais au Congo, il y a comme une démission de votre part, comment expliquez-vous cette attitude ? N’êtes-vous pas associés dans les actions de développement urbain ?

A.B.B. : Le diagnostic est sévère car les architectes sont au service de l’intérêt général et de la qualité des territoires urbains et ruraux. Rappelons-le, l’architecture est avant tout un acte politique et elle répond à des enjeux transversaux : culturels, économiques, environnementaux, sociaux. Plusieurs choses sans faites sans nous, je cite quelques-unes : la programmation des grands projets d’architecture ou édifices en cours de réalisation actuellement sur le territoire national se fait sans l’appui ou le conseil de l’OAC ; l’intervention d’architectes étrangers sur le paysage urbain de nos grandes villes à travers la conception d’immeubles ; la révision des documents importants d’urbanisme. Le Congo ne donne pas l’opportunité aux architectes nationaux de jouer pleinement leur rôle dévolu pour le développement économique et l’amélioration du cadre de vie.

L.D.B. : Pour terminer, peut-on parler de l’architecture sans urbanisme, ou du foncier sans urbanisme ?

A.B.B.: Entre les deux, le pas est très petit. L’urbanisme, c’est l’architecture à l’échelle du territoire alors que l’architecture, c’est à l’échelle parcellaire. C’est pour cela que l’urbanisme réglementaire est important car il régule tout. Je pense aussi qu’on ne peut pas dissocier le foncier de l’urbanisme, parce que les deux sont condamnés à marcher ensemble.

Propos recueillis par Parfait Wilfried Douniama

Légendes et crédits photo : 

Antoine-Béli Bokolojoué/Adiac

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