Interview. Chouna Lomponda : « Je traduis des objectifs d’entreprise en objectifs de communication »

Samedi 16 Janvier 2016 - 13:38

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Originaire de la RDC, Chouna Lomponda est responsable de la communication et des partenariats du musée juif de Belgique. Experte en relations publiques et relations de presse depuis plus de 15 ans, elle est diplômée de l’École française des attachées de presse, aujourd'hui ECS Bruxelles. Dynamique et entreprenante, elle est également consultante en communication.

Les Dépêches de Brazzaville : En quoi consiste votre travail au sein du musée juif de Belgique ?

Chouna Lomponda : Mon poste consiste à garantir l'image et la notoriété du Musée Juif de Belgique en assurant sa promotion auprès des médias et du grand public. Et pour cela, j’implémente des stratégies, et je mets en place des partenariats afin de toucher de nouvelles cibles. Je représente fréquemment le musée dans le cadre d'événements, de salons et de foires. C'est le volet relations publiques...  En qualité de porte-parole, mon rôle est aussi de faire connaître la position du musée à l’extérieur et de gérer les relations avec les institutions (politiques, culturelles, diplomatiques, européennes...). Il arrive que j’intervienne dans les recherches de subsides ou de sponsoring. Une autre tâche liée à ma fonction consiste à superviser et développer la communication Web du musée. Pour résumer : je traduis les objectifs d'entreprises en objectifs de communication. À ce titre, 2015 a été une année fructueuse pour le Musée Juif de Belgique, à titre d’exemple c’est un total de  30.000 visiteurs qui ont pu découvrir l'histoire des Juifs en Belgique et s'interroger en admirant nos collections...Une année riche en événements marquants pour la communication: Nous avons été récompensés  des Prix du Bruxellois de l'Année toutes catégories, du Visit.Brussels Honorary Award... autant de réalisations qui ont positionné cette institution culturelle sur le devant de la scène.

LDB : comment avez-vous débuté votre expérience au sein du Musée Juif ? Quelles ont été les premières étapes ? Connaître l’histoire des juifs sans doute ?

CL : Dès mon arrivée, je me suis efforcée d'en savoir un peu plus sur le musée, sur l'histoire du musée et sa mission. Je ne l’ai pas vécu comme une corvée. Je trouvais que c’était un apprentissage normal et indispensable. Et puis, la culture juive ne m’était pas étrangère car j’ai vécu par intermittence en Israël, où mon père était ambassadeur de l’ex-Zaïre à l’époque.

LDB : Le fait d’avoir vécu en Israël a-t-il favorisé l’obtention de ce poste ?

CL : Je ne compte plus le nombre de fois où cette question m'a été posée. Non. Lors de mon engagement, je me suis retrouvée face à une institution qui a pris le parti de ne regarder ni ma couleur de peau, ni ma confession religieuse, ni mon séjour en Israël, mais mes compétences, mon expertise et la qualité de ma personne.  De mon côté: Au-delà de la « judaïté » de ce musée, le plus intéressant pour moi était le challenge : être responsable de la communication pour une institution dans laquelle on n'imagine pas un "non-juif" travailler. C’est un défi : être là où on ne vous attend pas. Et ça me plaît!

LDB : Qu’est-ce qui fait la particularité de votre travail par rapport à une autre institution ?

CL : Communiquer sur une institution telle que le Musée Juif de Belgique, c'est aussi faire de la pédagogie. Faire connaître l'autre, briser les clichés, pousser le public à s'interroger, leur apprendre quelque chose ... en véhiculant un message d'ouverture, un discours vrai. C'est la particularité de mon travail. Il nécessite de la polyvalence, un sens de l'écoute et des relations humaines, de la créativité, de l'audace et un côté avant-gardiste! J’estime que ma présence, contribue modestement à changer les mentalités  quant à la perception que l'on a des communautés juives. Avoir une porte-parole qui est une femme, noire et non-juive, dans une institution culturelle aussi importante, est un pied-de-nez à de nombreux préjugés. J'ai rencontré plusieurs personnes qui pensent que pour entrer dans ce musée, il faut être juif. Ce qui n’est pas vrai car le musée s’adresse avant tout aux non-juifs afin qu'ils découvrir cette culture et qu’il en ait une meilleure compréhension. Car on ne combat pas ce que l'on connaît. 

LDB : Justement, en tant que Congolaise d’origine, avec un poste-clé au sein du musée, votre travail est-il facile ou difficile ? 

CL : La difficulté, c'est la pression professionnelle. Dans la communication, on veut des résultats et très vite! Il faut avoir les nerfs solides, mais lorsque l’on a des idées, une bonne organisation, une dose de pragmatisme et que l'on est positif, on peut assumer cette fonction de manière efficace. Parfois les gens ont des des à-priori. Mais lorsqu’ils sont face aux résultats, ils ne seront peut-être pas obligés de vous accepter, mais ils vous respecteront en reconnaissant que vous êtes la personne qu'il faut pour le Job. ( large sourire)

LDB : Comment avez-vous vécu l’attentat perpétré contre le musée le samedi 24 mai 2014 ?

CL : Cela a été une tragédie. J’avais prévu d’aller travailler ce samedi-là pour préparer mon assistant à la réunion de comité scientifique et j'ai finalement changé mon programme... Et ça m'a sauvée.

Après, tout s'enchaîne... et apprendre qu’on a tiré sur son lieu de travail, c’est très violent. C’est comme si on venait briser tes repères et fragiliser tout un pan de ton existence. C’est là que l’on se rend compte que ça n’arrive pas qu’aux autres. Les premiers jours ont été très difficiles, mais très vite il a fallu se remettre au travail  parce qu'en cette période de crise, la communication était en première ligne.  Je me souviens que pendant plusieurs  mois, je rédigeais des communiqués de presse parfois jusqu'à minuit ou une heure du matin. Le rythme était soutenu. Il fallait répondre aux sollicitations des journalistes -plus de 700 demandes de presses nationales et internationales gérées à cette période-, organiser des visites de recueillement d'autorités: celle du président français François Hollande, du chef de gouvernement italien Mattéo Renzi, mobiliser des personnes  pour la venue annoncée de Barack Obama, qui, par ailleurs, n'est pas venu...Il en est ressorti une capacité de résistance très forte et la conscience que cette vie est fragile et qu’il faut s’efforcer de bien vivre le moment présent. J’ai un immense sentiment de reconnaissance envers Dieu d’être toujours là, en vie.  La présidente du Lobby uuropéen des femmes, Viviane Teitelbaum, a recueilli mon témoignage de  cette horrible tragédie pour son nouvel ouvrage " Je ne suis pas antisémite, mais...", qui présente l'antisémitisme actuel. Dans le chapitre qui m’est consacré, je reprends une citation de Bob Marley qui dit "Tu sais que tu es courageux le jour où le courage devient ta seule option." Il n'y a rien à ajouter.

LDB : le Musée entretient-il des relations avec l’Afrique ou le Congo?

CL : Ce n’est pas le musée qui a un lien avec le Congo, mais bien un certain nombre de juifs d'Afrique. Il existe une communauté juive très active au Congo, même si elle s’est réduite avec le temps. Dans l’exposition permanente du musée, nous avons une chaise de circoncision qui nous a été léguée par la famille du Rabbin Moïse Lévy de Lubumbashi. C’est un patrimoine culturel qui nous lie à ce pays. L'histoire de ces Juifs de Rhodes qui se sont établis au Congo, nous l'évoquons d’une certaine manière par cet objet emblématique, présent dans notre exposition permanente. Nous avions également organisé une soirée d'hommage aux Juifs du Congo dans le cadre d'un événement qui devait déboucher sur une exposition. C'était étonnant  de découvrir l'origine de la migration d'une communauté qui a tenu un rôle majeur dans l'histoire du Congo et leur apport à l'économie..

LDB : comment arrivez-vous à combiner votre vie de famille et votre travail?

CL : Mais je n'arrive à rien du tout! (rires) Ce n’est pas facile, mais tout est question d’organisation et de simplicité. C’est très compliqué de concilier une vie active et une vie de famille, surtout avec  les fonctions que j'exerce. Mes fils sont ma priorité, c'est une évidence! Je suis présente dans leur vie, je les écoute, je leur transmets des valeurs, je les ouvre au monde... Je les aide à utiliser leurs ailes, pour que, le jour où ils s'envoleront, ils ne se cassent pas la figure. Et pour le reste, j'ai assez d'humilité pour ne pas être trop sévère avec moi-même. Je ne suis pas une maman parfaite! Mais lorsque je les regarde, je me dis que je ne m’en sors pas trop mal.

LDB : Quels sont les projets de Chouna Lomponda pour le musée et à titre personnel ?

CL : Le 15 mars 2016, je tiendrai une conférence avec le journaliste culturel Sébastien Hanesse, au musée BELvue sur le  thème « Comment communiquer à l’ère du 2.0 ». J’ai planifié cette conférence car j’ai souvent été interrogée sur la politique de communication menée pour le Musée Juif de Belgique et sur les stratégies mises en place pour faire d'une institution peu connue une actrice majeure de la sphère culturelle belge. 

C'est de là que m'est venue l'idée de cette conférence dont mon binôme et moi, nous nous sommes fixé l'objectif de donner quelques clefs et des pistes pour aider celui qui le souhaite à développer sa marque culturelle pour ne pas passer inaperçu. Dans les mois à venir, une consultance dans le cadre du lancement d’un projet numérique. Un autre projet, ou plutôt souhait, serait de remporter le prix de l'Action féminine, organisé par l'Union des femmes africaines, pour lequel j'ai l'honneur d'être nominée. Ce prix récompense, depuis dix ans, l' entrepreneuriat féminin dans divers domaines et vise à honorer toutes celles qui œuvrent à améliorer l'image de l'Afrique. La cérémonie aura lieu dans quelques jours en présence de nombreuses personnalités et de la presse internationale. Obtenir ce prix serait une motivation supplémentaire... 

 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Chouna Lomponda Crédit Photo Philippe Geenen

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