Interview. Clarisse Fordant : « Globalement pour nous, le bilan est positif ! »

Samedi 1 Décembre 2018 - 10:46

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À cheval entre Kinshasa et Paris, depuis 2012, les Éditions Nzoï se sont assigné un triple but. Le premier pas consiste à faire connaître les auteurs congolais des de deux rives du Congo, avant d’étendre son spectre sur celles de l’Atlantique. Au cours de cette interview exclusive accordée au Courrier de Kinshasa, la Martiniquaise Clarisse Fordant présente l’approche spéciale de la maison d’édition venue à la sixième Fête du livre de Kinshasa, montrer et vulgariser ses publications dont le coup de cœur des Récréâtrales 2018, la pièce "Que ta volonté soit Kin" de Sinzo Aanza.

 

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourriez-vous nous présenter les Éditions Nzoï ?

Clarisse Fordant au stand des Éditions Nzoï à la sixième Fête du livre de Kinshasa Clarisse Fordant (C.F.) : Nous sommes une maison d’édition, avec une structure associative, qui se construit entre Kinshasa et Paris. Elle a pour but de faire connaître les auteurs congolais de la République démocratique du Congo (RDC) mais aussi du Congo-Brazzaville. Et, si nous sommes tendus entre les deux rives du Congo, nous le sommes aussi entre celles de l’Atlantique, dans le but cette fois de faire connaître les auteurs de la RDC sur le continent américain, avec notamment le développement d’un partenariat en Haïti (moi-même je suis Martiniquaise avec beaucoup d’amis en Haïti). Nous voulons aussi faire connaître des écrivains pas très connus des États-Unis, d’Amérique du sud et d’Amérique centrale aux Congo. Car, nous avons envie de développer des partenariats entre les Sud. L’autre but, c’est de faire connaître et faire circuler des littératures en langues nationales de la RDC car, nous publions des romans, de la poésie, de la bande dessinée et des essais en sciences sociales ou sciences politiques, en français, kikongo, ciluba et lingala. Ceci, dans le but vraiment de donner de la visibilité à toutes les productions littéraires en RDC.

L.C.K. : Qu’aviez-vous prévu pour la sixième Fête du livre de Kinshasa ?

C.F. : Je suis venue sur invitation de l’Institut français dont l’équipe est tombée sur nos ouvrages par hasard et a été intéressée par notre projet. Elle nous a alors proposé de venir les présenter et de répondre à toutes les questions qu’elle se posait à notre propos autour de différents ateliers. Du coup, nos auteurs sont très sollicités et moi je suis invitée ici en tant que membre de l’équipe éditoriale basée à Paris. Nous sommes très honorés alors même que les choses prennent une nouvelle envergure pour nous, parce que c’est une première forme de reconnaissance de notre travail ici en RDC. Nous venons de publier une pièce de Sinzo Aanza qui a reçu un prix de la Fondation Gabrielle von Brochowski aux Récréâtrales à Ouagadougou, en début octobre. Nous avons été en partenariat avec le Centre d’art Waza de Lubumbashi. En ce moment, les choses sont en train de se lier pour nous alors que nous existons depuis 2012. Nous avons commencé volontairement très modeste car, comme je l’ai dit au début, notre but était d’offrir une visibilité aux littératures nationales, faire connaître ce qui s’y fait. Mais aussi et surtout faire fonctionner la chaîne du livre en RDC; d’imprimer les livres ici et les faire publier principalement ici pour offrir des revenus à peu près stables, sur chaque ouvrage, à ceux qui nous aideraient à les faire circuler dans l’espace public. Au départ, l’idée était vraiment de trouver une équipe de vendeurs sur le marché et les aider à tirer des subsides intéressants pour eux et leurs familles à partir des livres.  

L.C.K. : Saviez-vous, en venant à Kinshasa, que le livre ne s’y porte pas si bien que cela, les maisons d’éditions peinant à vivre ?

C.F. : Je ne suis là que pour une semaine mais l’une des missions que je m’étais assignée était de recenser ces maisons d’éditions qui n’ont pas forcément de vitrine sur internet. De Paris, nous ne voyons pas forcément avec qui nous partageons ce marché, avec qui nous pourrions entrer en partenariat, fusionner nos moyens, par exemple, etc. Comment construire des ponts avec des gens qui font peut-être la même chose que nous car, pour l’instant, nous ne les voyons pas. En ce qui concerne le monde du livre, le paysage éditorial en RDC, les chiffres, les données auxquelles nous avons accès ne sont pas forcément récentes mais l’on sait que la situation est tendue. Nous savons que depuis le début des années 1990, les choses sont compliquées. Et, à l’instar des autres domaines socioculturels et économiques, le monde du livre a souffert des troubles politiques. Nous savons que le papier est importé en majorité, que comme les gens sont dans une telle situation de précarité, le livre est parfois un objet de luxe. C’est pour cela que nous tenions en premier lieu à réaliser des publications abordables de sorte que malgré le coût très élevé de la vie, les gens puissent se permettre quand même de s’offrir ou offrir des livres de Nzoï qui sont des littératures d’ici. Mais, c’est aussi à cause de ce constat d’absence ou de difficulté que le projet m’a plu, justement au départ. Et donc, je me suis dit, moi qui veux être utile, sais lire et faire des bouquins, pourquoi n’aiderais-je pas à permettre au lectorat de faire la reconquête de ses propres littératures nationales grâce à une publication? Est-ce que je ne peux pas aider des distributeurs à reconquérir des parts de marché grâce à des revenus plus ou moins fixes...  ? Nous avons été capables de se permettre l’impossible, ce qui nous était présenté comme un projet complètement fou. Même en Europe, lorsqu’on en parlait, l’on nous disait, vous perdez votre temps, vous ferez cela à fonds perdus, etc. C’était difficile de trouver les premiers fonds au départ. Nous avons fait un appel à dons à nos proches et au final, peu de gens y ont cru et voilà pourquoi nous sommes très heureux, au bout de six ans d’existence, d’être mis à l’honneur à la Fête du livre C’est une manifestation qui prouve que, malgré tout, il y a un intérêt pour le livre ici. J’avais hâte de participer aux différents ateliers pour voir qui y prend part, de voir comment vivent les auteurs et les personnes autour du livre à Kinshasa et de voir qui ils sont. Clarisse et Christian Gombo, un des auteurs de RDC publié chez Nzoï

L.C.K. : En six ans d’existence, quel bilan les Éditions Nzoï établissent-ils de leur travail  ?

C.F. : Globalement pour nous, le bilan est positif puisque l’on arrive à continuer d’éditer. Cette année 2018, nous avons édité quatre livres et nous sen sommes très fiers comme nous le sommes de chacun des ouvrages déjà publiés. Nous avons encore beaucoup de choses à travailler mais le bilan que l’on dresse est beau en matière d’édition, plus mitigé en matière de distribution, c’est là que le bât blesse. Et, nos livres sont tellement beaux et bien formatés qu’ils sont faciles à voler. D’après ce que nous disent les librairies, les gens intéressés par les livres ne les payent pas forcément, ils les emportent en les glissant dans leurs poches. Cela nous plaît aussi, cela démontre qu’il y a un vrai intérêt de la part de notre lectorat même si il ne paie pas. L’on est en fait presque content de l’apprendre. (Petit rire). Car le but n’est pas forcément de perdre de l’argent mais ce n’est pas non plus d’en faire mais de continuer à exister. Et donc, tant que nous avons de quoi faire éditer nos prochains livres dans les caisses car notre travail est bénévole de toute façon. Et, in fine, personnellement, c’est aussi le cas de Nicolas avec qui je m’occupe de la mise en page, du travail éditorial et de la finition des ouvrages, nous aimerions bien nous professionnaliser car nous adorons le faire. Si, au final, nous trouvons un mécène qui nous aide à faire exister Nzoï, nous dirons oui, forcément. En fait, notre bilan aujourd’hui est très positif parce que nous avons atteint nos objectifs et, en même temps, cela nous a montré que nous pouvons avoir plus d’ambition et qu’il faut s’en donner les moyens. Je crois qu’en RDC, l’on a aussi besoin de nous, notre existence. Et que, si l’on arrive à continuer à exister, cela peut être une aubaine tant bien pour les auteurs que pour nous, parce que l’on arriverait à tirer des revenus de nos activités qui ont commencé bénévolement. Moi, j’aimerais beaucoup cela. En tant que chercheuse en sociologie, j’affectionne bien mon travail mais en même temps un réel plaisir à travailler sur mes manuscrits. Je suis toujours très émue de recevoir de nouveaux manuscrits et d’aider l’auteur à en tirer quelque chose de plus pur et plus beau. En plus, j’aime le travail de finition de l’objet-livre, etc. Donc, j’ai découvert cette passion en travaillant avec les Éditions Nzoï.  

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo1 : Clarisse Fordant au stand des Éditions Nzoï, à la sixième Fête du livre de Kinshasa Photo2 : Clarisse et Christian Gombo, un des auteurs de RDC publié chez Nzoï

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