Interview : Denis Sassou N’Guesso : « La lutte contre le trafic de médicaments contrefaits est un enjeu vital pour l’Afrique »

Samedi 16 Juillet 2016 - 1:31

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Les Dépêches de Brazzaville : Monsieur le président, du 10 au 18 juillet se tient à Kigali un Sommet de l’Union Africaine auquel vous assisterez. Avez-vous l’intention de prendre une initiative lors de ce Sommet ?

Denis Sassou N’Guesso : Le développement du continent africain et le devenir des générations futures sont   gravement compromis par un sérieux problème de santé publique dû au trafic des médicaments contrefaits et des produits dangereux pour la santé. Je me suis ouvert de cette préoccupation auprès de plusieurs chefs d’Etats africains qui m’ont encouragé à prendre une initiative forte lors du prochain sommet de l’Union Africaine.  Je ferai donc une communication sur ce sujet à Kigali et je proposerai un certain nombre de mesures à prendre pour lutter contre ce fléau.

L.D.B : Si ce problème de santé publique est si préoccupant pourquoi attendre le Sommet de l’Union Africaine pour le dénoncer ?

D.S.N : Il ne s’agit pas seulement de dénoncer un risque sanitaire mais de prendre des mesures concrètes pour le juguler. Trop souvent des annonces solennelles, des promesses ou des engagements forts sur des sujets de société ne sont guère suivis d’effet faute de détermination et de courage politique. Le Sommet de l’Union Africaine est une tribune privilégiée pour sensibiliser le continent africain à un risque sanitaire qui touche tous les pays et pas seulement l’un d’entre eux. Mais parallèlement à cette initiative que je prendrai à Kigali je vais proposer au gouvernement d’initier au niveau du Congo des mesures concrètes afin de lutter contre ce trafic mortifère. Ces mesures devront s’articuler avec celles que je souhaite voir prises à l’échelle du continent.

L.D.B : Vous parlez d’un risque majeur pour la santé des Africains qu’engendre un trafic mortifère. En quoi ce trafic peu connu de l’opinion publique et qui n’intéresse guère les médias est-il une cause sanitaire  prioritaire ?

D.S.N : Le décalage entre une faible mobilisation de l’opinion publique et des gouvernants du monde face à un trafic dévastateur en terme de santé publique et des données objectives qui parlent d’elles-mêmes m’ont convaincu de la nécessité d’agir ici, au niveau de l’Union Africaine et en septembre à la tribune des Nations unies. Voici quelques données chiffrées non exhaustives sur le trafic qui se développe dans une insouciance générale sur tous les continents, mais qui touche plus particulièrement l’Afrique : il génère un revenu annuel pour le crime transnational évalué en 2015 à 200 milliards de dollars américains, plus que le PIB du Congo, et tue 800.000 personnes dans le monde chaque année. Face à ce fléau mondial les continents et les pays ne sont pas égaux puisque les pays développés sont plus épargnés que ceux en voie de développement : 1% des médicaments vendus en Europe ou aux Etats-Unis sont contrefaits, contre 30% en Afrique. Dans certains pays du continent ce taux monte à 70%. Par ailleurs ce sont les molécules les plus indispensables pour la santé qui sont contrefaites : antibiotiques, antipaludéens, médicaments contre le virus du Sida ou contre le cancer. Une revue scientifique américaine a fait état de ce que 120.000 jeunes africains sont morts en 2013 pour avoir suivi un traitement antipaludéen avec des médicaments frelatés. Face à ce constat l’on ne peut pas ne pas réagir. Je le ferai pour le Congo et pour le continent africain. J’y suis d’ores et déjà encouragé. Je suis convaincu que j’aurai l’adhésion de tous les pays membres de l’Union Africaine.

L.D.B : Quelles mesures comptez-vous prendre au niveau du Congo ?

D.S.N : J’ai dit que, sans attendre, je prendrai des mesures ici au Congo pour lutter contre ce trafic et ces marchands de mort. Je vais demander au Premier ministre de créer un Haut-Commissariat chargé de la répression du trafic illicite de médicaments contrefaits et de produits dangereux pour la santé à vocation interministérielle car ses missions seront transverses. Il sera chargé de mettre en œuvre les orientations prises par le gouvernement sous mon initiative pour lutter contre ce trafic sous toutes ses formes. Pour son fonctionnement, il disposera d’un appareil administratif dédié, dont un Conseil d’Orientation.  Le Haut-Commissariat sera épaulé dans l’exercice de ses missions par un Institut faisant appel à des personnalités universitaires, de la société civile, du monde politique et d’organisations non gouvernementales ou de fondations ayant pour objet la préservation de la santé ou la promotion de la Paix.

L.D.B : Espérez-vous que les Congolais vous apportent leur soutien pour cette initiative ?

D.S.N : Comment pourrais-je douter que les Congolais ne prennent pas la mesure de l’acuité de ce danger qui les frappe de plein fouet au cœur de leur foyer ? Qui peut réellement contester qu’il s’agit d’une cause nationale ?  Qui, dans ce pays et en Afrique, peut accepter que le continent africain soit la première victime d’une activité criminelle transnationale qui tue des centaines des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants de ce continent. Un crime contre l’humanité qui se développe à bas bruit dans une relative indifférence de la communauté internationale. Je n’accepte pas cette fatalité et je suis résolu à faire de ce combat une priorité politique. Ce combat doit être mené par tous. J’appelle donc tous les Congolais sans exclusive ni considération partisane à me soutenir dans cette lutte contre ce trafic, contre ces réseaux criminels qui sèment la mort dans ce pays en tuant de façon indiscriminée ceux qui prennent des médicaments censés les guérir. Sans le soutien de tous les Congolais et de la communauté internationale nous ne gagnerons pas ce combat.

D.S.N : Vous parlez de communauté internationale. Qu’attendez-vous d’elle ?

D.S.N : J’attends d’elle qu’elle se mobilise et en particulier les pays du Nord, les pays développés. La lutte pour la santé qui doit être une cause universelle commence par un combat international résolu contre le trafic illicite des médicaments contrefaits et des produits dangereux pour la santé. La communauté internationale doit être à la hauteur de cet enjeu aussi important que le réchauffement climatique car il hypothèque gravement le développement de nos sociétés et les générations futures. C’est un facteur d’instabilité qui   freine le développement, nourrit les peurs, ruine les attentes légitimes d’une guérison  espérée, attente gravement au principe d’un accès égal à des soins de qualité et exacerbe  les tensions socio-politiques .Il porte atteinte à la paix tant nécessaire aujourd’hui dans un univers sécuritaire volatil, notamment en Afrique. J’appelle la communauté internationale à me soutenir. Je convoquerai prochainement les ambassadeurs en poste au Congo pour leur faire part des mesures que j’entends prendre dans ce domaine et solliciter leurs concours.  Je ferai, par ailleurs, une communication sur ce sujet à la tribune des Nations unies en septembre prochain.

 

 

 

Propos recueillis par Les Dépêches de Brazzaville

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