Interview. Fredy Massamba : « Je suis un militant de cette Afrique »

Mardi 11 Juillet 2017 - 19:30

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Son deuxième concert livré le 24 juin à Kinshasa, le chanteur originaire du Congo-Brazzaville vivant en Belgique l’a vécu comme un moment exceptionnel, à l’instar du premier à l’inauguration du Théâtre de Verdure. Il était réjoui de voir le public chanter ses morceaux en chœur et sortir les téléphones qui pour filmer, qui pour immortaliser le moment avec un selfie. Dans cet entretien exclusif accordé au Courrier de Kinshasa, il parle de son répertoire à travers quelques morceaux joués à la soirée de Guez Arena question de mieux se faire connaître au public kinois.

Fredy Massamba sur la scène de Guez Arena

Le Courrier de Kinshasa : Pour ceux qui ne vous connaissent pas, comment devrait-on vous présenter ?

Fredy Massamba  : Je suis un musicien et chanteur qui fait de l’afro-soul. Dans mon premier album Ethnophony apparaît le côté ethnique avec ma langue et tout ce que je connais, j’y ramène aussi les sons pygmées, les musiques phoniques. Je travaille le côté son, je suis un artiste tout simplement.

L.C.K. : À la fin de la chanson Bidilu-bio vous avez dit  "voilà ma prière". Comment devrait-on comprendre cela  ?

F.M. : Il y a un bon moment que le Congo vit des moments difficiles. Même les médias étrangers semblent fermer les yeux face à ce massacre à ciel ouvert qui se passe à Beni, au Kasaï, à Goma ou encore dans nos villages. C’est tout de même étonnant alors qu’il y a justement la Monusco avec le contingent le plus important des casques bleus au monde qui se garde d’intervenir cela vous reste dans la gorge. C’est une sorte de colère que l’on ressent. Le seul moment où il nous est donné de le crier haut et fort afin que les gens le comprennent et écoutent, c’est en prenant la plume pour écrire un morceau pour ses femmes et ses enfants violés mais aussi pour ces jeunes emprisonnés pourtant innocents et font la prison à la place de ceux qui méritent d’y être. C’est inacceptable. Pour moi, c’est capital d’en parler, de tirer la sonnette d’alarme.

L.C.K. : Pouvez-vous nous offrir une lecture succincte des morceaux joués ce soir ? Quel est l’essentiel du message que l’on peut retenir de Destiny  ?

F.M. : Destiny fait référence à cette génération dont je fais partie. J’ai vu tous ces jeunes qui, avant la guerre à Brazzaville en 1998, avaient envie de rester au pays et ne pensaient pas bouger. Mais quand la guerre s’est déclanchée, ils ont été obligés à parcourir plusieurs kilomètres pour arriver au Bénin, En Europe, etc. Certains sont partis au Sénégal, au Mali, … tout un destin totalement piétiné, un rêve totalement coupé dans son élan. Notre destin était unique, rester au pays, y monter nos affaires. Aujourd’hui, Dieu a fait en sorte que la vie a repris, si je puis le dire ainsi. Le destin de chacun est important lorsque tu prends ta destinée en main et que tu as une direction à suivre, fais-le. Sois le maître de ton destin.

L.C.K. : Et si, comme le dit l’adage, à quelque chose malheur est bon… , au bout du compte, partir vous a ouvert d’autres voies, un autre horizon  ?

F.M. : Cela fait partie du destin, c’est certain mais cela s’accompagne de la foi que nous avons eue de ne pas baisser les bras. Nous sommes partis nombreux en Europe. Beaucoup ont abandonné la musique et se sont lancés dans autre chose, seul Dieu sait où il m’a mené jusqu’ici. C’est un nouveau destin, oui mais porté avant tout par la patience, la foi et l’amour en soi. Je n’ai pas quitté ma langue car je chante dans les langues du pays. Je discute tout le temps avec mes amis à Brazzaville, à Kinshasa, au Gabon, au Sénégal, au Mali, en Guinée, l’Afrique est en moi. Je vis en Europe mais mon âme est en Afrique. C’est un destin accompagné de beaucoup de choses et de bonnes vibrations.  

L.C.K. : Votre second album a pour titre Makasi, peut-on savoir à quoi il renvoie  ?

F.M. : Makasi est un mot lingala, langue parlée dans les deux Congo, qui veut dire la force ou la puissance. Je viens du Congo-Brazzaville mais la RDC, le Congo-Kinshasa, est le pays du léopard, ngo. Kongo est formé des mots Ko et ngo. Ko, dans ma langue, en kilari, veut dire chez. Au Congo, c’est donc « Chez le léopard », ce n’est donc pas par hasard que Mobutu avait sa toque en peau de léopard. Et ce qui définit le ngo, c’est sa force ou sa puissance, Makasi. Et donc pour en revenir à mon opus, le dernier jour où nous faisions son écoute au studio pour tout finaliser avec des professionnels, le mot qui revenait à toutes les bouches c’était « Album oyo eza makasi » (cet album est fort ou puissant). Ainsi, je me suis dit je vais tout simplement l’appeler Makasi.Fredy Massamba

L.C.K. : Y a-t-il un titre de Makasi qui revêt un sens particulier?  lequel ? Et pourquoi ?

F.M. : Il y a un, plutôt deux morceaux qui me parlent beaucoup. Unity où je cite les noms des pays. Je me suis inspiré de la chanson Le Bucheron de Franklin Boukaka qu’avait composée Manu Dibango. C’est ainsi que j’ai fait un morceau où je cite tous les pays du monde. Et pour le deuxième morceau qui me tient à cœur, je m’étais dit l’on ne va pas tout le temps pleurer dans un album, être dur avec les mots. Je voulais juste que l’on soit dans une ambiance de joie, d’où Nkembo. « Ku Mavoula bilumbu nionso nkembo, na Kinshasa mikolo nionso nkembo », (À Mavoula c’est la joie tous les jours, à Kinshasa, c’est la joie tous les jours). C’était important pour moi, car quoique l’Afrique ou le Congo vive des moments très difficiles, ce qui est capital c’est la joie de vivre des gens, le sourire. Heureusement que nous l’avons. Cela veut dire que malgré tout, « Nkembo eza na kati » (la joie demeure).

L.C.K. : Une phrase revenait souvent dans le dernier morceau chanté ce soir :. Comment doit-on comprendre cela  ?

F.M. : Je disais : « Tokobanga te, tokokima te, tokokufa te, toza se na se » (Nous n’avons pas peur, nous ne fuirons pas, nous ne mourons pas, nous sommes juste à terre). Dans ce morceau, j’insiste sur le fait que nous n’avons plus peur de quoi que ce soit. Il y a une autre génération qui arrive, elle a le droit d’avoir sa place que ce soit au niveau de l’éducation, la science, la technologie, etc. L’on a toujours l’impression que les politiques veulent s’affronter avec elle. Quoiqu’ils soient d’une certaine génération, ils veulent toujours tester les jeunes. C’est une sorte de cri comme pour leur dire que nous n’avons pas peur. Nous allons continuer à croire en notre destin, en notre pays et à la prospérité du lendemain.

L.C.K. : Dans vos deux albums, il est toujours question de l’Afrique que vous portez toujours dans votre âme comme vous le dîtes mais votre discours est aussi très revendicatif. Peut-on dire que vous êtes un artiste engagé ?

F.M. : Non, je suis totalement apolitique. Je n’ai vraiment pas d’amis politiques. Par contre, je suis un militant de cette Afrique, je suis un panafricain. Je sais d’où je viens. Je sais où sont nés mon père et ma mère. Je connais l’histoire de la division de l’Afrique à Berlin, etc. La seule chose c’est que j’essaie d’être vrai avec moi-même, avoir un discours qui est cohérent avec ma personne. J’ai vécu des moments très difficiles, j’ai connu la fuite, fait de longues marches, etc., je ne peux pas me présenter autrement qu’avec l’image que j’ai de moi-même. C’est important pour moi de dire que je suis du peuple et que je serais avec le peuple. Et s’il y a des choses à dire, nous le dirons sans fusil et dans l’amour pour pouvoir construire l’Afrique dans la prospérité.  

L.C.K. : Avec deux albums bien accueillis par les mélomanes, l’on peut dire que la carrière solo vous réussit… Quel est votre projet à venir, un troisième opus bientôt en route  ?

F.M. : C’est vrai que je tourne avec mon premier album Ethnophony sorti en 2010, et Makasi lancé entre fin 2013 et début 2014, j’ai monté un répertoire là-dessus. Depuis lors jusque maintenant en 2017, je l’ai revisité à ma sauce, j’y ai rajouté des choses. À côté de cela, il y a le Nzimbu project avec « Papa Ray » (Ray Lema), Ballou Canta et Rodrigo qui tourne aussi beaucoup. Et entre-temps, je suis dans un projet sur le Requiem de Mozart à Bruxelles avec Rodriguez pour 2018. Nous avons déjà 108 dates à jouer. Mais je reste toujours dans la production, je travaille sur le prochain album, je ne sais pas encore quand il va sortir.

Propos recueillis par

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Fredy Massamba sur la scène de Guez Arena Photo 2 : Fredy Massamba

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