Interview. Gisèle Mandaila : « Je suis favorable au dialogue mais pas à n’importe quel prix »

Lundi 23 Novembre 2015 - 15:15

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Ancienne secrétaire d’État aux familles et aux personnes handicapées au sein du gouvernement belge, Gisèle Mandaila est aujourd’hui conseillère communale et présidente de la section du parti Démocrates Fédéralistes indépendants (Défi, ex FDF) dans la commune d’Etterbeek  à Bruxelles. Néanmoins, elle demeure engagée sur le plan politique, social et économique dans son pays d’origine qu’est la RDC. Entretien à bâtons rompus. 

Les Dépêches de Brazzaville : quelle lecture faites-vous de la situation politique en RDC ?  

Gisèle Mandaila : La RDC se trouve actuellement dans une situation difficile, mais il faudrait juste un peu de bonne volonté pour sortir le pays de la situation dans laquelle elle se trouve. Cette volonté doit venir avant tout du gouvernement. Mais ce dernier semble aujourd’hui tergiverser et prendre des décisions qui risquent d’amener à une impasse. Le gouvernement doit être attentif à la tension qu’il y a au sein de la population. Je suis favorable au dialogue mais pas à n’importe quel prix. Les concertations ont déjà été organisées mais les recommandations qui en sont issues n’ont toujours pas été appliquées.

LDB : Est-ce que c’est facile d’être femme politique d’origine congolaise en Belgique ?

GM : Maintenant oui je pense. Au début, les matières qui touchaient aux populations d’origine étrangère nous étaient confiées d’emblée. Ce qui me semble un peu logique, mais la tendance était de vouloir nous cantonner exclusivement dans ces matières-là. Mais avec le temps, nous avons obtenu la gestion d’autres matières importantes comme la problématique des personnes handicapées, celui des logements ou encore des violences faites à la femme.

LDB : l’année dernière, la plus-value de la communauté congolaise en Belgique a été remise en  cause par le ministre à l’Immigration et à l’Asile du gouvernement belge. Vous avez adressé une réponse cinglante à ce sujet. Comment évaluez-vous cette plus-value des Congolais en Belgique ?

GM : je ne peux pas parler seulement des Congolais, mais je m’exprimerais à propos de toute la communauté de l’Afrique subsaharienne. Il existe aujourd’hui une forte plus-value surtout dans le domaine médical. Les hôpitaux aujourd’hui comptent beaucoup de médecins, d’infirmiers et d’aide-soignants noirs. Ce sont des métiers difficiles que d’autres personnes n’osent plus pratiquer. Ils font ce métier avec beaucoup d’empathie. C’est donc une plus-value, car si ces personnes ne pratiquaient pas ce métier, beaucoup d’hôpitaux ou de maisons de repos mettraient la clé sous le paillasson. En outre, les universités comptent énormément de professeurs et assistants dont on ne parle quasiment jamais. Actuellement, en partenariat avec une association de femmes, nous essayons de répertorier tous les corps de métier dans lesquels on retrouve des personnes d’origine subsaharienne. Vous serez étonnés de voir des Africains qui évoluent au sein des universités et dans des matières très pointues. À titre d’exemple, le responsable des statistiques à l’université libre de Bruxelles (ULB) est un Congolais. Au niveau des banques également, on retrouve actuellement beaucoup de jeunes africains qui évoluent dans le secteur financier. Par ailleurs, beaucoup de personnes d’Afrique subsaharienne évoluent également dans le domaine politique. C’est la majorité invisible que l’on ne voit pas. Le ministre a fait un amalgame avec une minorité qui n’est pas représentative de toute la diaspora. Nous avons réussi à lui démontrer son erreur et il a reconnu que ses propos avaient dépassé sa pensée. Ce sont des affirmations que l’on ne peut pas accepter.

LDB : Êtes-vous favorable à la double nationalité. Pensez-vous qu’elle peut être un élément-clé censé permettre aux Congolais ayant acquis une autre nationalité de rentrer investir dans leur pays d’origine, comme certains le soutiennent ?

GM : Je suis favorable à la double nationalité. Beaucoup d’études ont démontré que la diaspora peut contribuer énormément au développement du pays d’origine. Il est important d’octroyer cette double nationalité afin de permettre aux Congolais d’origine d’investir dans leur pays. En Belgique,  on se presse pour donner la nationalité aux grands hommes d’affaires qui viennent investir car le pays va beaucoup gagner en termes de capital ou de taxes. Néanmoins, Je demanderai aux Congolais qui réclament cette double nationalité d’avoir un peu de modestie car il ne s’agit pas d’un droit. Si on veut investir au Congo, on peut le faire que l’on soit Belge, Français ou Congolais. Ne cherchons pas toujours la facilité. Être un homme d’affaires c’est prendre des risques. Bien que je sois favorable à la double nationalité, je demande néanmoins aux Congolais de la diaspora de se remettre aussi en question.

LDB: Vous avez créé en Belgique la dynamique des femmes congolaises pour la justice et la paix ? En quoi consiste les activités de cette dynamique ?

GM : C’est une association qui œuvre en faveur de la paix au niveau de la RDC. L’idée de créer ce collectif est née du constat que nous avons fait sur la question de la violence faite aux femmes. Face à l’impunité relative à cette question, la dynamique a été créée pour dénoncer tous les faits de violence qui se déroulent en RDC. Le but est de sensibiliser la communauté internationale notamment au niveau de l’Union européenne et de certains ministères en Belgique qui entretiennent des relations économiques ou politiques avec la RDC. Ces derniers pourront ainsi essayer de faire pression afin que les droits de l’Homme en général et les droits de la femme en particulier soient respectés. Notre action de lobbying se fait également au niveau de l’ambassade de la RDC en Belgique.

LDB : Pourquoi demandez-vous la création d’un tribunal pénal indépendant pour la RDC ?

GM : Nous sollicitons la création de ce tribunal afin que les victimes de violences sexuelles soient poursuivies. Nous avons constaté qu’au niveau de la RDC, les auteurs de ces actes bénéficient d’une impunité totale. Ce tribunal devrait juger et condamner ces personnes en toute légalité, dans le respect des lois. Nous demandons également l’indemnisation des femmes victimes de viols et qui se retrouvent parfois enceintes. Il s’agit de rétablir les femmes dans leurs droits.

LDB : vous êtes également très engagée dans la lutte contre la drépanocytose en RDC. Comment en êtes-vous arrivée à militer pour cette cause ? Quelles sont les actions que vous menez à ce sujet ?

GM : j’ai été sensibilisée sur cette question par l’organisation internationale de lutte contre la drépanocytose lorsque j’étais ministre de la famille et des personnes handicapées en 2005. Depuis lors, je me suis engagée dans cette cause avec l’OILD qui m’a demandé de devenir ambassadrice notamment auprès des pays africains. Au niveau de la RDC, nous organisons chaque année des actions de sensibilisation du grand public, en partenariat avec des associations et des hôpitaux. Nous procédons également à la récolte de fonds en faveur des soins annuels des enfants drépanocytaires. Nous mettons un montant de 300 dollars par an et par enfant afin que ce dernier bénéficie d’un bon suivi médical au sein de deux institutions : l’hôpital de Monkole et celui de Yolo Mabanga. Nous travaillons désormais avec la clinique du Dr Manzombi qui est lui même drépanocytaire. Notre objectif est d’arriver à prendre en charge 100 enfants par an. Jusque-là, nous prenons en charge entre 30 et 40 enfants.

LDB : quels sont vos projets au niveau de la RDC ?

GM : Je continue de dispenser des formations aux femmes  pour les préparer aux futures échéances électorales . Le deuxième grand projet est relatif à l’organisation des assises des femmes du Bandundu. Ce sera un forum économico-social censé mettre en avant le rôle de la femme dans le développement de cette province qui est la troisième plus pauvre de la RDC alors qu’elle détient un énorme potentiel agricole ainsi qu’un potentiel intellectuel élevé. Le forum devrait se tenir au premier trimestre de l’année prochaine. Nous continuons également avec nos projets de lutte contre la drépanocytose et l’AVC. Au niveau de la Belgique, je me prépare pour les élections communales de 2018 en tant que président de la section de mon parti et je serai également candidate aux élections législatives de 2019.

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Gisèle Mandaïla

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