Interview. Jacques Djoli : « La culture du respect des textes est la base de la fondation d’un État de droit en Afrique »

Jeudi 26 Mars 2015 - 18:45

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Professeur de droit constitutionnel, le sénateur Jacques Djoli revient sur la problématique de la révision constitutionnelle tout en insistant sur le besoin pour les peuples du monde civilisé de privilégier la force du droit.  

Les Dépêches de Brazzaville : Quelle lecture faites-vous sur la problématique de la révision de la Constitution en Afrique ?  

Jacques Djoli : Toute Constitution est révisable. Cette révision ne doit pas être opérée n’importe quand et n’importe comment. Cela doit être purement encadré, car c’est un pouvoir institué. Ce qui est à l’origine de cette controverse, c’est le fait que certains dirigeants africains (c’est le cas av la RDC) veulent utiliser la révision constitutionnelle pour atteindre des objectifs politiquement frauduleux. Donc, si l’on veut réviser dans le respect de la Constitution, dans le respect des dispositions verrouillées dans le souci de la consolidation de la démocratie, là on peut être d’accord. Mais si l’on veut le faire pour asseoir une confiscation du pouvoir par des tripatouillages ou déverrouillage des dispositions intangibles, là on n’est pas d’accord.  

LDB : Changer la Constitution pour l’adapter aux nouvelles réalités sociopolitiques, la démarche n'est-elle pas réfléchie ?  

JD : Pourquoi veut-on inventer une nouvelle Constitution ? Que reproche-t-on à la Constitution en vigueur pour chercher à écrire une nouvelle ? Ce sont là les questions fondamentales que l’on doit se poser face à toute initiative de révision constitutionnelle. Pour le cas de la RDC, est-ce que parce que l’article 220 gêne et empêche de faire trois mandats qu’il faut tomber dans le piège de la manipulation pour soi-disant élaborer une nouvelle Constitution et réessayer de remettre le compteur à zéro ? Nous connaissons l’économie juridique de la fraude constitutionnelle en Afrique. Donc, l’élaboration d’une nouvelle Constitution sert très souvent à justifier le mécanisme pour esquiver le plafonnement des mandats.   

LDB : Rien ne justifie donc pour l’instant une révision constitutionnelle en RDC et dans les pays africains qui se préparent à aller aux élections ?

JD : L’intérêt pour un tel exercice ne se justifie pas car l’élaboration d’une Constitution est un processus révolutionnaire qui intervient lorsqu’il n’y a plus d’État ou qu’on a plus de Constitution. Ce qui n’est le cas en RDC par exemple. Nous devons avoir la culture du respect des textes. Elle est la base de la consolidation et de la fondation d’un véritable État de droit en Afrique.

LDB : Et pourtant la constitution en vigueur en RDC comporte plusieurs insuffisances à corriger…  

JD : La Constitution de 2006 n’est pax un texte parfait mais il a permis d’asseoir de nouvelles institutions issues des élections. La RDC n’est pas malade des textes mais des acteurs qui ne veulent pas respecter les textes. Et cette maladie doit être combattue en respectant les textes surtout pendant les périodes électorales où le peuple est appelé à élire ses représentants.

LDB : Que faire si l’on doit absolument adapter la Constitution à la nouvelle donne ?  

JD : En Afrique, l’absence de consensus ou les révisions constitutionnelles intempestives et cavalières sont à l‘origine des frustrations qui conduisent à des élections contestées. Ainsi, la révision du 11 janvier 2011 a jeté les bases du chaos électoral que la RDC avait connu. À quelques mois des prochaines élections, il est important qu’on puisse avoir un cadre constitutionnel respecté par toutes les parties prenantes. Ceux qui aujourd’hui en RDC militent pour la révision constitutionnelle étaient hier des farouches défenseurs de cette même Constitution lorsque nous évoquions à l’époque quelques faiblesses théoriques afin de dépoussiérer le texte. Curieusement, ils retournent aujourd’hui leur veste par opportunisme simplement pour trouver des mécanismes de conservation du pouvoir envers et contre tout.

LDB : L’arbitrage du peuple à travers un référendum serait, pour certains analystes, la voie indiquée pour résoudre la polémique suscitée par la révision de la Constitution. Est-ce aussi votre avis ?  

JD : En son article 218, la Constitution de la RDC indique les personnes ou les organes qui ont le droit de l’initiative de la révision constitutionnelle. Il s’agit du président de la République, du gouvernement, d’un groupe de députés ou du peuple à travers une pétition de 100.000 signatures. Dans ce cas d’espèce, le référendum peut intervenir comme l’adoption d’une révision qui doit être juridiquement encadrée et organisée par le droit. A contrario, le référendum ne doit pas être utilisé comme un mécanisme qui aide à expurger les violations de la Constitution ou qui cache un coup d’État. L’on ne doit pas organiser un référendum inconstitutionnel. Rappelez-vous de l’Ukraine où des pseudo États qui ont organisé des référendums n’ayant aucune valeur juridique. La même chose s’est passée en catalogne en Espagne au nom du droit du peuple à l’autodétermination. Ce n’est pas le recours au peuple en tant que stratégie de fraude qui peut justifier un référendum. Cela peut être dangereux. C’est pourquoi des pays tels que l’Allemagne, une des grandes démocraties, a mis en index le référendum. En fait, Adolphe Hitler s’est installé au pouvoir par voie référendaire. C’est dire que le référendum n’est pas un élixir de fraude constitutionnelle. Grosso modo, il ne faut pas toucher à certaines dispositions constitutionnelles pour garantir l’alternance politique par le respect de deux mandats. Depuis 1960, l’irrespect des textes et la non-intériorisation des valeurs constitutionnelles sont à la base de notre dévoiement historique.

LDB : Que conseillez-vous aux Congolais à la veille des prochaines élections ?

JD : Nous sommes donc à la croisée des chemins. Et la seule alternance est le respect de la Constitution qui est notre architecture juridique. Nous devons vivre comme tous les peuples du monde civilisé en privilégiant la force du droit. A contrario, si nous refusons l’État de droit pour emprunter le schéma du droit de la force, de la violence et de la jungle, nous aurons nous-mêmes fait le choix de l’insécurité, de la violence, de la conflictualité et du chaos.             

 

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Jacques Djoli