Interview. Jerry Dilan Dilama : « Le respect de la Constitution est le schéma idéal de sortie de crise »

Mardi 3 Octobre 2017 - 19:15

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Juriste et analyste politique établi en France, Jerry Dilama ne rate pas une seule occasion pour participer au débat politique dans son pays apportant ses idées. Du "passeportgate" à la dernière intervention de Joseph Kabila à l’ONU en passant par le vote électronique et d’autres dossiers d’actualité, le secrétaire national en charge des Relations internationales du Congrès africain des démocrates livre sa lecture des faits en toute indépendance d’esprit. Sans détours ni euphémismes.  

Le Courrier de Kinshasa : Sur la tribune de la 72e session ordinaire de l’ONU, Joseph Kabila a réaffirmé l’irréversibilité des élections sans toutefois avancer une date. Qu’en dites-vous ?

Jerry Dilan Dilama : Le président de la République a indiqué que « le cap vers des élections crédibles, transparentes et apaisées est définitivement fixé » et que « la marche dans cette direction est irréversible ». Ce n’est pas la première fois qu’il tient ce genre de discours. S’il s'est félicité de l'enrôlement de 42 millions d'électeurs sur une prévision initiale fixée à 45 millions, il n'a cependant pas avancé une quelconque date quant à l’organisation effective des élections. Aujourd’hui, le pouvoir en place parle d’un calendrier réaliste. Cette option prouve à quel niveau l’actuelle majorité s’attache au pouvoir et ne pense surtout pas à le quitter. Qu’est ce qu’un calendrier réaliste ? Elle est seule à savoir ce qu’il en retourne. En plus, Joseph Kabila n'a donné aucune indication sur son avenir politique, alors même que la Constitution et l'accord de la Saint-Sylvestre sont catégoriques sur ce point : pas de troisième mandat pour lui.  Autre signe tendant à démontrer que Joseph Kabila ne compte pas quitter le pouvoir de si tôt, c’est le fait de faire appel à la réduction des effectifs de la Monusco. Cette demande sonne très mal parce que très maladroite. Lorsqu’on connaît, en effet, la situation sécuritaire dans l’ensemble des territoires de notre pays, il y a de quoi s’interroger sur l’implication directe ou indirecte de nos dirigeants politiques dans la désorganisation du pays avec, à la clé, une crise humanitaire sans précédent dans le Grand Kasaï. En cas des violations des droits de l’homme, la Monusco pourrait apparaître comme un témoin gênant. Ceci explique donc cela…

L.C.K : Croyez-vous sincèrement à l’organisation d’ici fin décembre des élections en RDC conformément à l’accord du 31 décembre ?

J.D.D : La classe politique congolaise ne facilite pas les choses, l’opposition comme le pouvoir sont loin de se préoccuper du vrai problème des Congolais et sont dépourvus du bon sens. Objectivement, nonobstant les contraintes financières, les conditions matérielles rendront impossible l’organisation des élections même présidentielle seulement au 31 décembre 2017.  En revanche, une telle perspective ne pourrait se concrétiser que si le président Kabila comprend que le temps est déjà consommé pour lui, et qu’il doit de facto rendre le tablier en bon citoyen civilisé.

L.C.K : La Céni propose le vote électronique qui serait moins coûteux en lieu et place du vote manuel traditionnel pour les prochains scrutins...

J.D.D : Une équipe de chercheurs, conduite par Rop Gonggrijp et Willem-Jan Hengeveld, a réalisé une étude sur le fonctionnement de la machine par le vote électronique et a conclu : « N'importe qui, ayant un accès bref aux périphériques à n'importe quel moment avant une élection, peut obtenir un contrôle complet et pratiquement indétectable des résultats de l'élection. Le développeur de logiciels Groenendaal a été récemment utilisé dans environ 90 % des votes néerlandais. Nedap prévient que « tout peut être manipulé » mais que « c'est bien plus difficile qu'avec des bulletins papier ». La mort suspecte et non encore élucidée de Chris Msando en dit long. À quelques jours du scrutin du 8 août 2017, le directeur informatique de l'IEBC a été enlevé, torturé, puis brutalement assassiné alors qu'il venait d'opérer les dernières vérifications du système informatique d'identification des électeurs, de centralisation et de transmission des résultats. Les élections annulées par la juridiction supérieure du Kenya peuvent justifier la sordide intention de l’équipe dirigeante actuelle au Kenya. Feu Msando était gênant pour elle. Son assassinat a plané le doute sur les urnes. Au regard de toutes les tractations liées à l’organisation des élections en RDC, l’objectivité des résultats pourrait être sujette à caution dans le vote électronique surtout quand on connaît la facilité avec laquelle l’on peut tripatouiller les résultats.

L.C.K : Le gouvernement a décidé d’invalider, d’ici le 14 janvier 2018, les passeports semi-biométriques au profit des passeports biométriques. Comment réagissez-vous à cela ?

J.D.D : Face aux échéances électorales à venir dans notre pays, une telle mesure, au plan politique, peut être un instrument pour anéantir des adversaires politiques en  portant atteinte à leur liberté d’aller-retour. Les raisons d'ordre financier peuvent aussi justifier une telle décision à mon sens hâtive et inappropriée. En 2017, l’agence Reuters a révélé un scandale sur des passeports biométriques congolais. D’après les conclusions de cette agence, ces passeports étaient au cœur d'un business très lucratif pour des proches du président Joseph Kabila car, sur les 185 dollars du prix du passeport, le gouvernement congolais n'en percevait que 65 dollars. Il s’est avéré qu’une société basée en Belgique et une autre aux Émirats arabes unis contrôlées par quelques hommes du sérail présidentiel percevaient la majorité des revenus estimés à plusieurs millions de dollars car, chaque année, la RDC délivre entre 2 à 3 millions de passeports. Et contrairement à ce que le ministre des Médias et Porte-parole du gouvernement a laissé entendre, à savoir que le passeport biométrique imposé par l'Organisation de l'aviation civile internationale est obligatoire pour l’ensemble des pays membres, il est à noter que la transition vers les passeports électroniques devrait être achevée en  décembre 2015. En revanche, le DOC9303 n'oblige pas les États membres d’émettre des passeports biométriques mais seulement des passeports lisibles à la machine.

L.C.K : Le Rassemblement de l'opposition veut d’une « transition sans Kabila » avec une personnalité consensuelle à sa tête. Un tel schéma a-t-il des chances d’aboutir ?  

J.D.D : Seule la pression internationale pourra plier Joseph Kabila. Je ne crois pas à cette opposition congolaise désorganisée au plan interne, évoluant souvent en ordre dispersé et incapable de parvenir au résultat pour l’intérêt général de la République. Toutefois, cette formule paraît irréaliste en ce moment sauf si le peuple ou la communauté internationale décide de mettre définitivement fin au régime politique actuel en RDC. À défaut, je pense que Joseph Kabila restera toujours en poste  même au-delà de décembre 2017. Il est notamment couvert par l’arrêt de la Cour constitutionnelle rendu public le 11 mai 2016 au sujet de l’interprétation de l’article 70 de la Constitution. Bien plus, la Constitution rend aberrante toute idée consistant à penser à une transition qui révoquerait le président en exercice. En fait comme en droit, le slogan « Transition sans Joseph Kabila » viole manifestement la Constitution en ce sens qu’il est acté que « le président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu ». 

L.C.K : Quel est d’après-vous le schéma idéal pour une sortie de crise en RDC ?

J.D.D : Le schéma idéal, c’est le respect de la Constitution. À ce jour, la sortie de la crise dans notre pays tourne autour de la personne de M. Kabila. C’est identiquement la même histoire qui se répète comme à l’époque du feu maréchal Mobutu, ce que personnellement, je ne souhaite pas pour lui. Il est encore très jeune et a tout intérêt à voir les choses autrement. Le drame est qu’il est amadoué par un groupe d’individus spécialisés dans l’accompagnement des responsables politiques vers une fin de règne désastreuse.

L.C.K : Que pensez-vous de l’idée d’un troisième dialogue politique ?

J.D.D : Nous sommes dans une démocratie. Le dialogue est un principe et un mode civilisé pour régler nos différends. Malheureusement, dans notre pays, il est devenu une arme de manipulation, un moyen de fraude. Je pense que le dialogue sert à régler le conflit ou un différend entre les personnes qui sont avant tout de « bonne foi ». Mais il ne s’agit pas de dialoguer pour justifier et organiser la tricherie. Je ne pense pas qu’il soit encore idéal de dialoguer dans le contexte politique actuel où les jeux sont clairs. 

L.C.K : La rue peut-elle aussi changer la donne politique en RDC ?

J.D.D : Ceux qui pensent recourir à cette voie en application de l’article 64 de la Constitution n’ont pas du tout tort. Notre pays est par terre, le peuple congolais n’est pas respecté dans son propre pays. Il est humilié par ses propres dirigeants. En appliquant la théorie du choc à la solution, on comprend que le gouvernement n’a pas l’intention de créer un climat de paix et de liberté mais, au contraire, veut davantage contrôler la vie de ses « sujets », restreindre les libertés, et imposer à la fin un état d’urgence. D’où, je pense que l’usage de l’article 64 serait l’ultime recours pour sauver la patrie.

 

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Dilan Dilama

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