Interview. Jonathan Mboyo Esole : « Je voudrais faire avancer une culture d’excellence dans l’enseignement des sciences et la recherche scientifique »Lundi 23 Octobre 2017 - 15:00 Professeur de mathématiques à la Northeastern University (États-Unis), le scientifique congolais fait partie des 16 lauréats du Next Einstein Forum (NEF) qui se réuniront du 26 au 28 mars 2018 à Kigali, au Rwanda, à l’occasion d’une rencontre internationale où ils présenteront leurs recherches de pointe. Le Courrier de Kinshasa (LCK) : Qu’est-ce qui, selon vous, a motivé le jury pour vous sélectionner parmi les lauréats ? JME : Dans l’annonce officielle, il est écrit que c’était pour « l’excellence dans la recherche ». Il n’y a pas beaucoup d’Africains dans mon domaine de recherche qui est à l’intersection de la physique théorique et des mathématiques. J’ai obtenu plusieurs résultats importants publiés dans des revues prestigieuses et j’ai gagné des prix : prix du meilleur mémoire de la faculté des sciences de l'Université libre de Bruxelles (ULB) ; Wiener-Anspach fellowship (Bourse prestigieuse entre la Belgique et Cambridge et Oxford) ; Ford Fellowship ; Marie-Curie Fellowship (Bourse prestigieuse de l'Union européenne) ; NSF Grant (National Science Foundation) ; Benjamin Peirce fellowship. LCK : En quoi consistent les recherches que vous présenterez lors de la rencontre de Kigali ? Quel(s) problème(s) souhaitez-vous résoudre à travers les études que vous menez ? JME : Mes travaux sont à l’intersection de la théorie des cordes et de la géométrie algébrique. La théorie des cordes essaie de décrire les interactions fondamentales en physique en utilisant des objets à une dimension qui se propage dans l’espace temps. Elle est particulièrement élégante mais difficile à cerner. La théorie des cordes nous a ouvert les portes à beaucoup de nouvelles idées mathématiques qui sont comme des ponts entre différentes aspects des mathématiques. Mon intérêt pour la théorie des cordes est d’abord et avant tout lié à sa relation avec la géométrie. Nous avons de très beaux outils pour décrire les géométries basées sur des équations algébriques. Cela s’appelle la géométrie algébrique. Je travaille en particulier sur les questions liées à la géométrie algébrique des espaces singuliers. Pour la rencontre de Kigali, je ne vais pas donner un exposé formel car le public est un peu trop hétéroclite. Je présenterai plutôt une simple esquisse de certaines idées fondamentales. Je discuterai aussi des défis que nous devons relever en Afrique en matière de recherche dans les sciences mathématiques et physiques. LCK : Lors de l’annonce de votre sélection, vous avez estimé que cela vous donnera l'occasion d’opérer des changements positifs en Afrique. Quels sont ces changements que vous souhaitez apporter sur le continent et dans quel(s) domaine(s) ? JME : Au Congo, je voudrais faire avancer une culture d’excellence dans l’enseignement des sciences et la recherche scientifique. Je ne suis pas le seul à vouloir atteindre ce but. J’ai commencé un dialogue et des projets avec plusieurs personnalités qui partagent une certaine vision pour la recherche scientifique au Congo et le développement des sciences au Congo comme, par exemple, Raïssa Malou ou Sandrine Mubenga. L’un des objectifs est d’intéresser les jeunes aux sciences, détecter et encadrer les talents. Je suis en particulier très heureux d’annoncer ma collaboration avec la Semaine des sciences pour sa 5ème édition qui aura lieu du 11 au 14 avril 2018. Je voudrais aussi introduire au Congo des méthodes qui ont fait leurs preuves dans d’autres pays. J’ai des projets en cours pour une école d’été en sciences mathématiques à Kinshasa et aussi en programmation informatique pour 2018. L’idée est d’apporter au Congo les talents internationaux pour former, améliorer et garder à la page du jour les scientifiques congolais, briser leur isolement et les faire participer à des initiatives internationales. En particulier, il y a beaucoup d’initiatives entre pays africains et autres pays du sud. Je compte aussi beaucoup sur les réseaux sociaux pour garder un contact permanent et interactif entre les personnes qui partagent le même engouement pour les sciences. Il y a aussi des groupes qui font un travail formidable au Congo avec lesquels je voudrais collaborer comme le Lumumba Lab (LLab) avec qui je suis en contact. L’éducation des filles est aussi un dossier qui m’intéresse énormément. LCK : Quel pourrait être l’apport des sciences ou des scientifiques dans le développement des pays africains ? JME : L’Afrique a un potentiel énorme mais se limite souvent à l’exportation de matières premières sans aucune transformation ou valeur ajoutée. Face à nos problèmes, nous utilisons souvent des solutions qui ne sont pas faites spécifiquement pour nous. Mais avons une population très jeune ayant une force innovatrice impressionnante. Nous voulons que nos jeunes utilisent leur énergie créative pour résoudre les problèmes du continent. La science est l’une des clefs fondamentales au développement de l’Afrique. LCK : Quels sont, selon vous, les enjeux et les défis du domaine des sciences en général ou des mathématiques en particulier au niveau africain et de la République Démocratique du Congo (RDC), votre pays d’origine ? JME : C’est une question qui mérite des heures de conversation ! Je vais juste indiquer quelques pistes. L’Afrique a besoin de développer les collaborations et les programmes entre pays africains. Il y a beaucoup de choses qui deviennent possibles quand on travaille ensemble. Nous devons créer et entretenir des pipelines pour la découverte et la formation des jeunes talents. Nous avons besoin de discuter des problèmes propres à nos pays et d’essayer de promouvoir des solutions africaines aux problèmes africains. Les technologies de l’information et les réseaux sociaux peuvent nous permettre d’accéder aux jeunes africains partout sur le continent. Développer l’accès à l’internet sur le continent est une priorité absolue. La notion d’excellence doit être célébrée comme une nécessité dans tout ce que nous faisons. Mon père nous disait toujours que « l‘excellence est juste assez bonne pour nous ». L’Afrique a besoin de réclamer la notion d’excellence, de demander l’excellence à tout niveau et de ne pas se contenter d’autre chose que de l’excellence. C’est une façon de penser, de se projeter dans le futur qui définit souvent le résultat de nos actions. LCK : Quels sont vos différents projets scientifiques ? Comptez-vous enseigner en Afrique ou en RDC dans le futur ? JME : Avec mes étudiants, je suis en train de finir plusieurs projets de recherche sur les variétés elliptiques utilisées en théorie des cordes. Je compte donner des cours en Afrique chaque année et aussi organiser des formations dans différents pays africains.
Propos recueillis par Patrick Ndungidi Légendes et crédits photo :Photo: Jonathan Mboyo Esole. Crédits Photo Matt Modoono Notification:Non |