Interview. In Koli Jean Bofane : «La littérature est plus forte que l’argent »

Samedi 15 Février 2020 - 15:38

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L’écriture s’est imposée à l’auteur de Mathématiques congolaises, il déclare dans cet entretien avec Le Courrier de Kinshasa n’avoir pas choisi de son propre chef de devenir écrivain. Il s’est lancé à l’aventure avec beaucoup d’appréhension au début et a fait des études de gemmologie au cas où, mais la plume l’a emporté sur le diamant ! En séjour à Kinshasa, sa ville inspirante, sur invitation de la septième Fête du livre dont il est le parrain, il en a fait l’ouverture, le vendredi 14 février, après la conférence inaugurale qu'il a tenue conjointement avec Max Lobé.

Jean Bofane ( au micro),Diane Bajika et Max Lobé lors de la conférence inaugurale de Fête du livre de Kinshasa (DR)

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Kinshasa n’a l’habitude de vous recevoir qu’à des occasions spéciales. Qu’est-ce qui vous amène à y poser vos valises cette fois ?

Jean Bofane (J.B.) : Les parcours dans le monde m’empêchaient de venir à Kinshasa. J’étais trop occupé. Mais cette année-ci, après tous mes romans, la tournée de La Belle de Casa, j’ai pensé à me poser un peu. Et je commence à le faire à Kinshasa. Cette année, je vais essayer de moins bouger, me concentrer sur cette ville. Cette terre est mienne et c’est ici que je retrouve vraiment de la douceur et de bonnes choses. J’étais avec mon ex-belle-sœur tout à l’heure qui me disait : « Toi, tu n’as jamais vraiment aimé l’Europe ! » Quand j’ai épousé leur sœur, j’avais 30 ans et cela est toujours vrai. Mais aujourd’hui, Kinshasa m’est devenue indispensable. Je ne peux plus tourner autour, je suis là et pour cette fois, je reste un peu plus longtemps.

L.C.K. : Pour votre première participation à la Fête du livre, vous en êtes le parrain. Quel effet vous fait cet honneur de lancer l’événement ?

J.B.  : Je n’ai jamais vraiment eu l’impression de faire les choses pour moi-même. Lorsque l’on écrit un bouquin, on ne le fait pas pour soi-même. Si j’écrivais pour moi-même, le résultat c’est que je vais pleurer pour chercher la jactance et ne pas pleurer comme je le peux pour des personnages. Mais l’effet que cela me fait, c’est juste que cela ne m’appartient pas. Quand je me relis, je ne me reconnais jamais. Mes écrits me touchent autant que cela toucherait un lecteur. Lorsque j’ai fini un roman, je le relis deux à trois ans après et j’ai toujours l’impression que ce n’est pas moi qui l’ait écrit. Le fait d’être ici, je ne le perçois pas comme un mérite spécial. Oui, je fais un travail et j’essaie de le faire le mieux possible, mais je n’ai aucun mérite parce que ce que je fais est au-delà de moi-même. Mon impression quand les phrases viennent, quand le livre s’écrit, c’est que je suis une espèce de canal : tout passe par moi et se termine sur une feuille blanche. Ce n’est pas moi qui ai décidé de devenir écrivain. Tout à l’heure, j’ai expliqué au public que j’ai commencé à écrire à cause de la tragédie du Rwanda.

L.C.K. : En novembre, vous appreniez au Courrier de Kinshasa votre départ en résidence d’écriture en Algérie. Qu’en est-il à ce jour  ?

J.B.  : C’était super ! J’ai découvert le désert, ses habitants. J’étais dans une petite oasis à 1 300 km d’Alger au sud de Béchar. J’ai rencontré ce peuple en plein Sahara. Parmi eux des Blancs, des Noirs. Là-bas, cette différence entre Blanc et Noir n’existe plus, ce lieu est très hybride. Ce qui m’a surtout frappé, c’est qu’il n’y a rien. J’étais dans une petite ville perdue dans le désert nommée Taghit, grand comme le quartier de la Halle, pas plus. Quelques palmiers forment le décor. Mais ils ont une telle fierté de leur terre ! Il n’y a rien au point de se demander ce qu’y ferait un jeune comme activité pour vivre ! Ils y vivent et sont fiers de leur terre qu’ils ne songent jamais quitter, j’ai admiré ça, alors qu’il n’y a rien dans ce désert. C’est une fierté que les gens d’ici n’ont pas, ils veulent aller en Europe, na Mikili. Quand toute l’Afrique noire veut aller en Europe, ce n’est pas leur cas, ils ne veulent même pas aller à Alger, même pas à Béchar. Cela ne leur dit rien d’aller dans cette petite ville, ils lui préfèrent leur désert. J’ai aimé le lieu et le peuple. Ce lieu du silence, du recueillement m’a beaucoup apporté : j’y ai écrit, beaucoup.Jean Bofane, parrain de la septième Fête du livre de Kinshasa (DR)

L.C.K. : Et ce livre, il est en cours d’écriture ou l’avez-vous déjà fini ?

J.B.  : Non, il n’est pas encore fini. J’espère le terminer avant la fin de cette année, Inch Allah !, comme on dit là-bas dans le désert.

L.C.K. : De vos trois romans, Mathématiques congolaises, Congo Inc. et La Belle de Casa, lequel est à vos yeux le plus surprenant ou marquant, et pourquoi  ?

J.B.  : Du point de vue de la tragédie, Congo Inc. est le plus tragique avec cette guerre, cette mondialisation. Mais le plus étonnant, c’est peut-être Mathématiques congolaises. C’était mon premier souffle, il devait d’abord sortir. Evidemment, je n’ai pas fait dans la simplicité ! Mais tous ces textes ne me laissent pas indifférent. Quand un lecteur pleure ou rit, moi j’ai été le premier à pleurer ou à rire. Et moi, je ris et pleure beaucoup plus qu’eux, c’est clair ! (rires). Je ne sais pas comment le dire. Les romans, c’est quelque chose de très étrange qui vous dépasse. Nous sommes au XXIe siècle, c’est le règne de l’argent. Lorsque j’ai écrit Mathématiques congolaises c’était pour parler de la réalité, puis j’ai fait un cours en tri de diamant brut, j’ai fait de la gemmologie, me disant que si jamais le roman ne marchait pas, je deviendrais diamantaire. Je suis gemmologue, spécialiste en diamant brut, je les trie comme l’on ne peut l’imaginer ! C’est une activité qui rapporte de l’argent mais je n’ai pas exercé.

L.C.K. : L’acte d’écrire vous ouvre-t-il à de nouvelles voies d’exploration de la vie et de vous-même  ?

J.B.  : Oui ! Cela réveille des parties de moi-même. Ça peut réveiller un côté brutal parce que des fois mon écriture est un peu brutale. Mais ça réveille aussi toutes mes faiblesses, souvent ma tristesse parce que les histoires que j’écris ne sont pas toujours gaies. Mais c’est une tristesse que je vis seul. Elle ne peut pas se partager, même pas avec le lecteur. Je n’ai jamais trouvé l’occasion de la partager. 

Un aperçu du public à l’ouverture de la septième Fête du livre de Kinshasa (DR)L.C.K. : Qu’aviez-vous à l’esprit en venant à Kinshasa en rapport avec votre prochain roman dont l’histoire s’y passe en partie  ?

J.B.  : Depuis Congo Inc., il y a une nouvelle topographie à Kinshasa, c’est cela que je suis venu chercher. Ensuite, il y a des tendances qui se renouvellent tous les temps, des mots qui apparaissent. Chaque année, il y a au moins deux, trois ou quatre nouveaux mots. C’est cela que je suis venu capter. Savoir quelle énergie y circule car elle est toujours présente mais elle change, varie. Nous avons un autre règne politique pour l’instant ; je suis venu voir de quoi il s’agit, comment le Kinois le vit, le reçoit.  

L.C.K. : En écrivant, que cherchez-vous à susciter dans l’âme du Kinois  ?

J.B.  : Qu’il redécouvre sa congolité quelque part, comme si je lui disais : « Oza Congolais, mon cher ». C’est bien d’être Congolais et de le faire ressentir. Nous ne sommes pas nombreux, juste trois, dans la littérature à l’international. Blaise Ndala, Fiston Mwanza Mujila et moi. Qu’importe, nous faisons du bon travail. De leur côté, nos artistes contemporains étonnent le monde. Revenir au Congo 

L.C.K. : Quel est votre secret, tout en étant ailleurs dans le monde, comment faites-vous pour garder vivace cette flamme pour Kinshasa et l’entretenir  ?

J.B.  : C’est l’amour ! Vous pouvez être séparé d’un amour mais penser à elle tous les temps. Vous vivez selon le rythme de son souffle, à la manière dont elle respire même à 8 000 km. C’est l’amour qui maintient Kinshasa en moi. Mais, surtout ce pays m’a marqué car  je n’ai pas toujours été Kinois. Toutes ces choses sont là en moi, je ne peux pas m’en débarrasser : les traumatismes, les bouleversements de ma vie. Chaque fois que je suis parti en Europe, ce n’est parce que je le voulais partir mais c’est parce que ça tirait derrière moi. Toujours, toujours, il y a toujours eu des coups de feu quand je partais. Mais l’amour du Congo persiste. Même si on le voue aux gémonies, le maudit tous les jours, l’on continue d’aimer ce pays même l’on a un président que l’on n’aime pas. C’est cela que je veux montrer aux Congolais.

L.C.K. : Y revenir vivre à Kinshasa, y pensez-vous  ?

J.B.  : Je remarque qu’au sein de la diaspora, tout le monde veut revenir au Congo. Certains viennent, y passent deux ou trois ans, ils repartent parce que ça ne marche pas. Mais ils reviendront toujours. Et forcément écrire sur le Congo, cela ne peut qu’augmenter l’amour que l’on peut avoir pour ce pays. Donc, je reviendrais de plus en plus souvent. Chaque année, j’y reviendrais beaucoup plus souvent, deux ou trois fois, c’est promis !

L.C.K. : question de se ressourcer  ?

J.B.  : Pour être bien ! Être bien tout simplement, j’ai envie d’être bien.

Propos recueillis par

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Jean Bofane ( au micro),Diane Bajika et Max Lobé lors de la conférence inaugurale de Fête du livre de Kinshasa (DR) Photo 2 : Jean Bofane, parrain de la septième Fête du livre de Kinshasa (DR) Photo 3 : Un aperçu du public à l’ouverture de la septième Fête du livre de Kinshasa (DR)

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