Interview. Léonard-Emile Ognimba : « Repositionner le groupe ACP équivaut à revoir sa vision, ses missions et ses priorités »

Lundi 15 Février 2016 - 17:45

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Originaire du Congo-Brazzaville, l’ambassadeur Léonard-Émile Ognimba est le sous-secrétaire chargé des questions politiques et du développement humain, du groupe des États ACP. À l’approche du prochain sommet au mois de mai-juin et de de la fin de l’accord de Cotonou, prévue pour  2020, il estime qu’il faut faire la nécessaire évaluation de l’impact qu’a eu ce partenariat. 

Les Dépêches de Brazzaville : Pourriez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

Léonard-Émile Ognimba : Je suis diplomate de carrière. J’ai travaillé au Congo au ministère des Affaires étrangères et à la présidence de la République, avant d’être affecté, dans les années 80, à l’ambassade du Congo à Addis-Abeba en qualité de conseiller. De là, j’ai intégré l’OUA – aujourd’hui Union africaine - où j’ai évolué pendant plus de 25 ans. Par la suite, j’ai été nommé ambassadeur du Congo en Afrique du Sud. De là, j’ai rejoint le Secrétariat général du groupe des États ACP à Bruxelles. J’occupe ce poste depuis trois mois.

LDB : vous êtes actuellement le sous-secrétaire général des ACP chargé des affaires politiques et du développement humain. En quoi consiste votre travail ?

LEO : Je m’occupe des affaires politiques et essentiellement du troisième pilier de l’accord de Cotonou. Les piliers fondamentaux de l’accord sont le commerce, la coopération au développement et le dialogue politique. Je fais le suivi de ce dialogue qui se déroule fondamentalement au niveau des États. C’est un dialogue régulier. Le Congo participe également à ce processus qui consiste notamment à consulter régulièrement l’Union européenne, ou vice versa, sur des sujets d’intérêt commun. Au-delà, nous faisons également le suivi de l’article 96 qui est une seconde phase du dialogue politique mais à un niveau plus sensible et où quelquefois les sanctions sont envisagées. Nous suivons également la situation politique et sécuritaire dans les États membres des ACP, la situation au niveau de la gouvernance démocratique et des droits de l’homme. Nous en rendons compte aux organes compétents, à savoir le comité des ambassadeurs, le conseil des ministres et, éventuellement, aux chefs d’États. Par ailleurs, je m’occupe également du fonctionnement d’un certain nombre d’institutions, particulièrement de l’Assemblée parlementaire paritaire. Je prépare les réunions et je suis la mise en œuvre des résolutions adoptées par cette institution.   Le deuxième volet qui est le développement humain est lié à la gestion d’un certain nombre de projets dans les domaines de la santé, de l’éducation, des technologies, de la recherche, de la culture, de la migration et bien d’autres. Dans le contexte actuel, ce travail s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des objectifs du développement durable adoptés par la communauté internationale en septembre de l’année dernière.

LDB : Quelle différence existe-t-il entre être ambassadeur du Congo dans un autre pays et le fait d’évoluer dans une institution comme l’Union africaine ou encore aujourd’hui aux ACP ?

LEO : C’est un privilège pour moi d’avoir travaillé à la fois au pays au ministère des Affaires étrangères et à la présidence, pour le pays dans le cadre d’une ambassade à Addis-Abeba où j’étais conseiller et puis comme ambassadeur en Afrique du Sud  et pour l’Afrique en général au niveau de l’OUA/Union africaine et aujourd’hui pour les ACP. C’est une expérience enrichissante. À chaque niveau existent des points de convergence et de divergence. À l’OUA/UA, je m’occupais essentiellement des questions africaines et de la relation entre l’Afrique et les autres continents. Au niveau de l’ambassade, je m’occupais de la promotion de la politique du pays et de la coopération avec l’État où j’étais accrédité. Les domaines d’intervention sont différents. Au niveau de l’OUA, j’avais un éventail plus large, ce qui m’a d’ailleurs permis de visiter la quasi-totalité des cinquante-quatre États de l’UA. J’effectuais également des missions en Europe et aux États-Unis pour promouvoir la cause de l’Afrique. J’ai été souvent dans des zones de conflit comme la Somalie, le Burundi, dans les moments les plus difficiles, en Sierra Leone et au Libéria, entre autres. En revanche, au niveau de l’ambassade, on est beaucoup plus sédentaire. On promeut la politique de son pays à partir d’un poste bien défini. La charge du travail est donc moindre. Aujourd’hui, après cette expérience dans une ambassade, je ressens encore la charge d’une institution internationale. C’est d’autant plus lourd que dans les ACP, nous avons non seulement l’Afrique mais aussi les Caraïbes et le Pacifique. C’est donc plus de travail et beaucoup de rigueur car il y a une forte attente en terme de résultats. Je représente la région de l’Afrique centrale, mais je ne peux pas dire que je ne représente pas le Congo. C’est mon pays d’origine qui a soumis la candidature à ce poste. Il existe donc un lien je dirais naturel, qui reste avec mon pays, en dehors du fait que je suis un fonctionnaire international.

LDB : Les pays ACP sont en train de réfléchir aujourd’hui sur le fait de comment repositionner le groupe afin de répondre aux défis du développement durable. En tant que sous-secrétaire chargé du développement humain, comment entrevoyez-vous ce repositionnement stratégique ?    

LEO : C’est une question importante. Repositionner les ACP équivaut à revoir toute la philosophie qui a prévalu à la mise en place de cette institution, revoir sa vision, ses missions et ses priorités. Tout ceci dans un contexte où l’accord de partenariat appelé « l’Accord de Cotonou » tire à sa fin en 2020. Une réflexion a été engagée pour tracer de nouveaux horizons et de nouvelles perspectives. Que sera le groupe ACP dans un futur proche, c’est-à-dire au-delà de 2020 ? Quelle sera sa relation avec son partenaire immédiat, à savoir l’Union européenne ? La réflexion a été engagée à notre niveau par un groupe de travail d’ambassadeurs qui a été présidé par l’actuel secrétaire général le Dr Gomes. Le groupe a produit un rapport. Nous attendons un deuxième rapport qui sera présenté par le groupe d’éminentes personnalités qui a été mis en place. D’une manière ou d’une autre, ces deux rapports, essentiellement celui des éminentes personnalités, seront soumis à l’examen du huitième sommet des chefs d’États qui se tiendra en Papouasie-Nouvelle Guinée au mois de mai et de juin de cette année. Le thème central du sommet portera sur le repositionnement des ACP pour répondre aux objectifs du développement durable. Il s’agit, en définitive, de faire la nécessaire évaluation de l’impact qu’a eu le partenariat Afrique/Union européenne et, au-delà, sur la coopération intra ACP. L’objectif stratégique d’éradication de la pauvreté sur lequel s’articulent tous les autres objectifs n’a pas été atteint. Au-delà de la nécessité de repositionner le groupe, il s’agit donc de revisiter les différentes stratégies qui ont été mises en place pour éradiquer la pauvreté. Il faudrait aussi réfléchir aux relations entre l’Union européenne et les ACP dans un contexte international nouveau, celui de la mondialisation, de l’élargissement de l’Europe et de l’apparition des pays émergents, entre autres au niveau de la coopération intra ACP, ressouder le groupe afin qu’il ait une voix qui porte, coopérer avec d’autres groupes comme les BRICS pour consolider la coopération avec des pays. L’Union africaine sera également un partenaire important car dans la réflexion qui a été engagée sur l’avenir des ACP, il existe un fort penchant pour la régionalisation.

LDB : Vous avez participé au dernier sommet de l’Union africaine pour parler notamment des futurs domaines stratégiques des pays ACP. Quels sont ces domaines ?

LEO : Le premier et le plus important c’est l’éradication de la pauvreté. C’est le domaine capital d’où découlent tous les autres. Mais il existe d’autres domaines d’importance mondiale : le changement climatique, toutes les questions liées au développement, c’est d’ailleurs l’une des raisons d’être des ACP, la migration, pour ne citer que ceux-là.

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

L'ambassadeur Leonard-Émile Ognimba

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