Interview. Rudy Yaone : « C’était sa photo préférée »

Vendredi 4 Novembre 2016 - 22:29

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La superbe photo des funérailles de Papa Wemba, exposée du 2 au 4 mai dans le hall central du Palais du peuple, a été conçue et réalisée par Rudy Yaone. Dans cet entretien exclusif avec Les Dépêches de Brazzaville, le jeune photographe autodidacte, qui n’en est pas moins talentueux, nous apprend que lors de ce dernier shooting réalisé deux semaines avant la disparition du chanteur, soit le 10 avril, Vieux Bokul avait dit son coup de cœur pour ce fameux cliché où il a la tête baissée et arbore un haut de forme rouge rehaussé d’une plume assortie.

Rudy YaoneLes Dépêches de Brazzaville : Comment pourrait-on vous présenter à nos lecteurs  ?

Rudy Yaone  : Je suis Rudy Yaone. Je me définis aujourd’hui comme étant un graphic designer, photographe et entrepreneur en même temps. De par mon cursus universitaire, j’ai poursuivi des études en économie et développement à l’Université catholique du Congo. J’ai obtenu ma licence en entrepreneuriat et gestion en 2010. Mais, depuis plusieurs années, je suis passionné de photographie, tout ce qui est graphisme, design et digital marketing, cela date de l’époque où j’étais encore aux études. Depuis 2005, à l’université, en premier graduat, je faisais déjà des photos et mes premières retouches sur Photoshop des photos de mes amis juste pour m’amuser. En troisième graduat, j’ai rencontré Patrick Mbungu, il a réorienté ma profession en m’offrant un stage académique au sein de Pentagone Conception qui gérait Synergy Group et le magazine Entreprendre.

C’est là que j’ai commencé mes débuts en graphisme. Après quoi, j’ai travaillé avec Marie-Laure Yaone, le manager de Papa Wemba sur des projets de la star. Mon premier billboard était consacré à ses 60 ans, en 2009. C’était la première fois qu’un panneau de ma conception était affiché dans les rues de la ville. Le travail avec Papa Wemba s’est poursuivi avec le projet des 3 dates, 3 stars et 3 concerts autour de Nathalie Makoma, Papa Wemba et Nash. Nous avons été à Kinshasa et Brazza pour la promotion de l’album Notre Père en 2011. Papa Wemba m’a toujours encouragé le long de ma carrière et tenait absolument à ce que j’élabore et propose certains concepts événementiels dont je réalisais aussi les affiches. Cela a été le cas pour certains de ces grands concerts, notamment celui des 35 ans de Viva La Musica.

Pour l’heure, je reste attaché à mon premier amour, la publicité. Je travaille dans l’agence Optimum Communication comme graphiste et responsable du digital marketing. Pendant mes heures libres, je fais de la photographie pour mon compte personnel. Au fil du temps, j’ai acquis du matériel et je le fais de façon professionnelle. Je réalise des photos de campagne publicitaire, des shoot individuels, des photos événementielles, mariages et autres. Mais je suis beaucoup plus spécialisé dans les portraits et photos artistiques. C’est depuis 2013 que j’ai commencé à prendre cela au sérieux et que je suis vraiment à fond dans la photo. Je prête mes services au magazine Opt1mum depuis fin 2015.La photo de l’affiche 3 dates, 3 stars, 3 concerts

L.D.B. : Comment êtes-vous arrivé à réaliser les dernières photos de Papa Wemba  ?

R.Y.  : J’ai été sollicité par Papa Wemba et son manager Marie-laure pour lui faire des photos en prévision d’un concert qu’il devait livrer le 20 mai. Nous avons réalisé un super shoot photo le 10 avril, deux semaines avant sa mort. Nous avons passé toute une journée ensemble et fait toute une série de photos superbes dont certaines ont servi à ses funérailles.

L.D.B. : Pourriez-vous nous en dire un peu plus à propos du dernier shoot avec Papa Wemba  ?

R.Y.  :. Je dirais que c’était une découverte de la personne. Je le connaissais depuis très longtemps mais là, j’avais l’occasion de passer du temps avec lui. La photographie a sa magie, c’est un art qui amène à découvrir certaines facettes d’une personne que l’on ne soupçonne pas. J’ai redécouvert l’artiste autrement, en tant que père et ami. Il y a eu un rapprochement entre nous pendant ce shoot photo. C’est visible dans la vidéo, le making-of que nous avons réalisé pendant cette longue séance de travail. Pour moi, ce moment a été une bénédiction car il m’a dit : « Petit poisson deviendra grand ». Il m’a toujours encouragé depuis le début, je rappelle que mon tout premier billboard portait sur ses 60 ans, et il m’a incité à aller de l’avant, c’est une bénédiction, une sorte d’héritage qu’il m’a laissé.

L.D.B. : Où avez-vous fait ce shooting et combien de photos avez-vous prises  ?

R.Y.  : Nous l’avons fait chez lui. Nous avons commencé la mise en place à 8 h. Il était très ponctuel, nous lui avions dit que nous serions là à 8 h, il nous attendait déjà. Nous avons terminé le shooting à 16 h sans faire de pause. Je ne sais pas encore dire exactement combien de photos il y a, je n’ai pas encore classé les bonnes. Ce d’autant plus qu’il y a plusieurs séries dans plusieurs tenues. Certaines ont été faites en studio, dans son bar personnel, son jardin, son salon et devant ses disques d’or, son petit salon extérieur où il recevait tout le monde. Il y en a un tas en tout cas.

La photo du « Parrain »L.D.B. : Huit heures de shooting, c’est long. N’était-ce pas lassant au bout du compte  ?

R.Y.  : L’ambiance était très conviviale. Il nous a mis à l’aise et l’a même confirmé dans le making-of. Et même à la fin, c’est lui qui a demandé une photo d’ensemble, on a fait une photo de famille. Photo de famille, c’était vraiment le cas de le dire parce que j’étais avec ma nièce, la fille de Marie-Laure, qui est mon assistante. Dans l’équipe il y avait Papa Wemba, Marie-Laure, sa fille Inès, Sony et moi. C’était tellement convivial que l’on n’a pas vu le temps passer. Et d’ordinaire, moi quand je commence, je ne m’arrête pas. Je déploie beaucoup d’énergie pour faire profiter au maximum mes services à mes clients.

L.D.B. : Qu’en est-il du choix des tenues, les lui avez-vous proposées, en avez-vous décidé ensemble avant le shooting  ?

R.Y.  :. Au départ, il y avait un thème sur lequel j’avais prévu de me baser, « Le parrain ». Je l’avais proposé à Marie-Laure qui voulait un thème pour l’évènement, le fameux concert. Cela avait été le sujet d’une longue discussion avec Papa Wemba. C’était un monsieur très humble, il ne voulait pas s’identifier en tant que parrain de la rumba congolaise ou de la sape. Mais, moi, je considérais que c’était le cas car il avait beaucoup donné à la génération actuelle et montante de la musique. Du reste, pour tout ce monde, c’est une référence et pour moi, être validé par lui était à considérer comme une sorte de parrainage parce qu’il assurait ensuite un suivi. Mais il se considérait plutôt comme coach que parrain. Pour en revenir aux tenues, moi j’avais choisi la veste avec la petite rose, celle que Papa Wemba porte sur la photo officielle des funérailles. Elle rappelle celle du parrain dans le film The Godfather ou Le Parrain, mais il n’était pas très à l’aise avec le concept du parrain. Il trouvait que cela avait une connotation maffieuse comme dans le film où le parrain était un maffioso tout fait. Nous avons dit que c’était juste une métaphore, une sorte de figure de style pour la touche artistique mais il a choisi d’essayer d’autres tenues. Il y a eu celle avec le chapeau rouge. Ainsi, il s’est fait qu’il a aimé la photo avec le chapeau rouge et la cravate. C’était carrément sa préférée. Il avait lui-même choisi cette tenue avec l’aide de Sony Kamana et après, nous lui avons donné une petite direction artistique, savoir comment il pouvait allier le tout. Mais il ne faut pas oublier qu’il était sapeur lui-même, c’était un monsieur qui savait s’habiller.

L.D.B. : Et la posture avec la tête baisée dans la photo où il porte le chapeau rouge, a-t-elle une symbolique  ?

R.Y.  :. Je ne sais pas dire si cette posture a une signification particulière mais c’était sa photo préférée. Mais à présent que j’y pense ça donne l’air d’une personne qui fait sa révérence. Un peu comme si elle était prémonitoire, qu’il tirait déjà sa révérence. Il aimait vraiment cette photo, quand il l’avait regardé, il avait dit tout de suite  : « C’est ça la photo ». Comme s’il avait déjà prévu la manière de faire ses adieux. Et il était d’avis qu’on ne devait même pas continuer à faire d’autres photos. Nous avons insisté pour en faire encore mais pour lui c’était décidé, il pensait que c’était le meilleur cliché. Bien qu’il nous ait demandé d’arrêté, nous voulions le prendre ailleurs qu’en studio et sous différents angles, dans son bar, par exemple. Il avait accepté alors nous avons continué et le reste des photos ont été prises là, mais aussi dans son jardin et d’autres lieux de sa parcelle.

L.D.B. : Quel autre usage vous réservez aux photos de Papa Wemba dans la suite maintenant qu’il est mort et que les funérailles sont passées ?

R.Y.  : Pour la suite, je m’abstiens encore de dire ce qu’on envisage parce que beaucoup de choses se font en ce moment. Mais peut-être qu’elles pourraient servir à une exposition. Nous devrions voir dans quelle mesure les utiliser pour un grand hommage à titre posthume. Ce sont quand même ses dernières photos, nous devons faire en sorte qu’elles servent à cela pendant longtemps. J’ai vu des simulations sur Internet où ses portraits apparaissaient sur des billets de banque, des francs congolais. Ces photos pourraient peut-être servir à ce genre de choses ou inspirer une statue, un monument, etc. Nous restons comme dans l’attente de bonnes idées. La photo favorite de Papa Wemba

L.D.B. : L’idée d’une vente aux enchères ne vous aurait-elle pas effleuré  ?

R.Y.  : Les bonnes idées seront les bienvenues tant que cela peut servir de façon artistique et historique, surtout.

L.D.B. : Combien avez-vous été payé pour ces fameuses photos  ?

R.Y.  : C’était justement l’objet d’une discussion avec Marie-Laure avant le shooting. Papa Wemba était un grand. Je pensais que l’argent était une question mineure, nous aurions le temps d’en discuter et ce qui importait c’était d’abord de lui faire ces photos. La facture n’allait de toute façon pas être salée de sorte que c’était là mon apport pour le concert qui se préparait et je voulais avoir de ses photos pour mon portfolio. J’avais depuis un moment fait cette demande et c’était l’occasion qui se présentait de réaliser ce shooting, alors je l’ai fait. Je nourris le projet de faire de nouvelles photos avec différents artistes qui n’ont pas de photos « éternelles » si je puis le dire ainsi. J’ai commencé avec Papa Wemba sans savoir qu’il allait partir presqu’aussitôt après. Juste après j’avais déjà contacté des proches de Werrason pour cela. Je pensais aussi faire des photos de Nyoka Longo, Mbilia Bel et beaucoup d’autres artistes.

La photo de famille à la fin de la séance de shooting avec Rudy, Sony, Inès, Papa Wemba et Marie-LaureL.D.B. : Pensez-vous qu’ils seront intéressés  ?

R.Y.  : Bien sûr. Dans mon idée, ces photos devraient servir à illustrer l’histoire du pays, des grands artistes, à présenter chacun sous son vrai jour, dans son univers. Et, pour cela, j’irai jusqu’à trouver des thèmes qui cadrent avec leur personnalité. C’était cela ma vision des choses lorsque je prenais Papa Wemba en photo. C’est un projet que je nourris toujours. J’ai commencé avec lui et on verra pour la suite. Peut-être que ses photos pourront servir à beaucoup plus que ce que je n’imagine pour le moment…  

Propos recueillis par

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Rudy Yaone Photo 2 : La photo de l’affiche 3 dates, 3 stars, 3 concerts Photo 3 : La photo du « Parrain » Photo 4 : La photo favorite de Papa Wemba Photo 5 : La photo de famille à la fin de la séance de shooting avec Rudy, Sony, Inès, Papa Wemba et Marie-Laure

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