Interview : Tony Bolamba : « Nous devons réduire le train de vie du gouvernement »

Mercredi 25 Décembre 2019 - 16:07

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Commentant l'actualité politique du pays, l’ancien gouverneur de la province de l’Equateur livre, au détour d’un entretien à bâtons rompus avec « Courrier de Kinshasa », ses idées-forces en rapport avec la marche du pays à l’aune du discours du chef de l’Etat prononcé devant les deux chambres du Parlement.

Courrier de Kinshasa : Partagez-vous l’avis selon lequel l'allocation de Félix Tshisekedi du 13 décembre devant le congrès  a été plus un discours-programme qu’un véritable état des lieux de la première année de son quinquennat ?

Tony Cassius Bolamba : J'ai suivi et écouté religieusement l'allocution du président de la République qui était un état des lieux de sa première année à la tête du pays et sa projection pour les quatre ans restant de sa gouvernance. Quatre années passent vite !

C.K : Le chef de l’Etat a réitéré son engagement à consolider la coalition FCC-Cach. A-t-il les moyens de pérenniser cet acquis fondateur de l’alternance ?   

T.B : Je ne saurais me prononcer ! Seul l'avenir nous le dira. 

C.K : Son adresse était marquée par une série de grandes annonces, notamment la mise en place, l’année prochaine, des structures du Fonds spécial pour l’emploi et l'entrepreneuriat destiné aux jeunes. Qu’en dites-vous ?

T.B : Une très bonne initiative si la volonté y est mise.

C.K : Que pensez-vous de la digitalisation de toutes les opérations en matière de mobilisation de recettes pour combattre la corruption et le coulage des recettes envisagée par le chef de l’Etat ?

T.B : Cela sera très difficile car la corruption est ancrée dans le système de la Fonction publique de notre pays. Ma crainte réside dans la concrétisation de cette vision car les hommes du changement positif ont toujours été combattus dans notre pays. Je suis mieux placé pour en parler car j'en ai fait les frais quand j'ai été gouverneur et aux dernières élections législatives où j'avais été massivement élu député comme le prouvent d'ailleurs les fiches des résultats de la Céni encore en ma possession mais non proclamés comme tel !

C.K : Certains analystes ont relevé l’inadéquation entre le budget présenté et les engagements pris par le chef de l’Etat. Etes-vous de cet avis ?

T.B : Je ne pense pas partager cet avis. C'est réalisable si le chef de l'Etat impose un régime d'austérité aux membres du gouvernement. Nous devons réduire le train de vie du gouvernement. Je l'ai expérimenté quand j'étais gouverneur. J'avais réduit le train de vie du gouvernement provincial par un plan d'austérité et de rigueur de ses membres. Un petit exemple, j'ai baissé ma rémunération de 15 millions à 5 millions de francs congolais et j'avais fait enlever le cortège du gouverneur. Cela nous a permis de donner de l'eau à nos populations et commencer à appliquer la gratuité en payant les études des élèves de l'école primaire. Malheureusement que certains ministres provinciaux avaient décidé de fuir ma gestion rigoureuse de la cité.

C.K : Pensez-vous qu’un budget de 10 milliards de dollars soit effectivement à la hauteur de la grandeur d’un pays-continent comme la RDC ?

T.B : Nous venons d'un budget moins que ça. Je suggérerais que le chef de l'Etat instruise au Premier ministre de réduire le train de vie du gouvernement. Nous ne sommes pas un pays rouge, on doit enlever les cortèges de nos ministres, baisser leurs salaires et diminuer certains avantages. Nous ferons des économies et cela permettra même de financer le Fonds spécial pour l’emploi et l’entrepreneuriat destiné aux jeunes par exemple et réaffecter d'autres sommes pour augmenter les rémunérations des fonctionnaires de l'Etat afin de les motiver dans leur mission pour la République. Cela contribuera aussi à baisser la corruption dans la cité.

C.K : Que dites-vous de la création imminente d’une Cellule du Climat des affaires avec, à la clé, la suppression de toutes les barrières sur toutes les routes d’intérêt national ainsi que sur ceux de desserte agricole. 

T.B : C'est une bonne initiative ! Mais il faut commencer par renforcer la lutte contre la corruption pour rassurer les investisseurs.

C.K : L’accès équitable à la justice de toutes les catégories sociales fait également partie des priorités de Félix Tshisekedi. N’est-ce pas une initiative à encourager ?

T.B : Absolument ! Sans la justice, on ne peut pas construire une nation forte. L'injustice conduit au ressentiment et crée beaucoup de problèmes au pays !

C.K : Que pensez-vous de la création d’une juridiction spécialisée dans la lutte contre la corruption, la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux ainsi que le détournement des deniers publics ?

T.B : Cela sera très difficile... A ce jour, la suite des quinze millions de dollars détournés reste muette mais un policier mal payé tentant d'extorquer 20 mille francs congolais est attaqué et condamnés devant toute la République !

C.K : Votre avis sur le débat en cours autour du changement du mode de désignation des gouverneurs des provinces ?

T.B : Je suis d'accord que l'on change des méthodes de désignation des gouverneurs, vu le réveil des démons du tribalisme qui se réveillent petit à petit au pays. Je suggère que les gouverneurs soient nommés par ordonnance présidentielle mais qu'ils soient des non originaires comme c’était le cas sous la deuxième République ou qu'ils soient élus le même jour que le président de la République. J'irais encore plus loin, je suggère aussi que les sénateurs soient élus par suffrages directs. Dans ce cas, nous allons faire des élections couplées le même jour comme au Nigéria : présidentielle, élection des gouverneurs, des sénateurs et des députés nationaux tout en supprimant les Assemblées provinciales. Pour contrôler la gestion des gouverneurs, le président de la République pourra créer une Cellule spécialisée composée des agents du ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation, des inspecteurs de finances et en incluant cinq sénateurs et cinq députés nationaux.

C.K : Félix Tshisekedi a également soumis à la critique constructive le choix d’un possible deuxième tour de l’élection présidentielle. Qu’en pensez-vous ?

T.B : Revenir à deux tours pour la présidentielle est une bonne chose. Cela pourra d'ailleurs définir clairement la majorité et l'opposition ou les oppositions.

C.K : Et quid de la double nationalité ? 

T.B : Je suis d'accord mais avec quelques restrictions. Comme la majorité des Congolais, je présume, je vis cette situation personnellement dans ma propre famille biologique. J'ai des frères, sœurs et mes propres enfants qui détiennent des nationalités d'autres pays. Mais je recommande vivement que ceux de nos compatriotes qui ont une autre nationalité que la nationalité congolaise n'occupent pas de fonctions dans les institutions de la République et dans la Fonction publique, afin de nous éviter par exemple le cas que le Pérou a connu avec leur ancien président Fuji Mori qui s'était réfugié au Japon... Ou mettre une barrière disant que lorsqu'on est Congolais et que vous avez commis un délit pénal, c'est la nationalité congolaise qui va primer afin d'éviter que ceux qui détiennent une autre nationalité puissent se cacher dans les pays dont ils détiendraient les nationalités.

C.K : A propos de la Constitution du 18 février 2020, Félix Tshisekedi milite à ce que les dispositions intangibles ou verrouillées ne soient pas touchées ni amendées. A-t-il tort ou raison ?

T.B : Le président de la République a raison, la RDC appartient à tous les Congolais. Il faudrait donner la chance à tous de la servir au plus haut sommet et à tour de rôle...

C.K : Un mot sur la réalisation du programme d’urgence des 100 jours.

T.B : Un élan positif pour la République. Pour la suite, je recommande au chef de l'Etat la vigilance pour nous éviter le spectacle désolant des chantiers inachevés pour le paraphraser ! Et j'observe...

C.K : L actuel coordonnateur de Lamuka, Adolphe Muzito, estime que faire la guerre au Rwanda demeure la seule alternative pour la restauration d’une paix durable à l’Est. Votre réaction ?  

T.B : Heureusement que cette déclaration n'émane pas du vice-président honoraire Jean Pierre Bemba que je considère comme l'un des fins stratèges militaires de notre époque.  Il connaît la guerre et ses conséquences. L'honorable Mozito a été Premier ministre, s'il voulait vraiment que la RDC entre en guerre contre le Rwanda, il avait la possibilité de le proposer dans un Conseil des ministres. Mais je recommande de méditer cette citation de Georges Clémenceau : "Il est plus facile de faire la guerre que la paix."  Et lui suggère d'aller en guerre contre la corruption, les détournements des biens de l'Etat et l'enrichissement illicite dans notre pays.

C.K : Votre mot de la fin.

T.B : Grand défenseur de la laïcité, je terminerai exceptionnellement cet entretien par un verset biblique. Dans Deutéronome 28 verset 7, il est écrit : L'Eternel te donnera la victoire sur tes ennemis qui s'élèveront contre toi; ils sortiront contre toi par un seul chemin, et ils s'enfuiront devant toi par sept chemins. En harmonie avec moi-même. J'ai dit.

Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Le gouverneur honoraire Tony Bolamba

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