Interview. Tony C. Bolamba : « La gratuité de l‘enseignement est un droit constitutionnel »

Lundi 9 Septembre 2019 - 17:45

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Disparu des radars depuis plusieurs mois, l’ancien gouverneur de l'Equateur a refait surface à la faveur de l’entretien exclusif accordé au Courrier de Kinshasa, dans lequel il livre ses réflexions par rapport à la marche du pays en surfant sur quelques sujets d’actualité. Au-delà, il fait des projections sur sa carrière politique tout en martelant sur son indépendance d’esprit, un trait de caractère dont il n’est pas prêt à se départir et pour lequel les portes de l’hémicycle lui ont été fermées alors qu’il avait remporté les dernières législatives à l'Equateur. Foi d’un ex-gouverneur qui pense avoir été floué par la Commission électorale nationale indépendante (Céni).

Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Que pensez-vous du programme du gouvernement Ilunkamba récemment adopté à l’Assemblée nationale ?

Tony Bolamba (T.B.) : C’est un programme ambitieux. Je ne sais pas si c’est réaliste. Je reste dubitatif et je suis très sceptique. Je ne sais pas s’il sera mis en pratique au vu des éléments sur le terrain que nous avons et que, peut-être, le Premier ministre n’a pas. Tout dépendra des acteurs qui vont mener ce programme, qui vont en donner l’impulsion. Le programme est une idée, une vision, et le mettre en pratique demande une certaine expérience de ceux qui vont l’appliquer. Je ne pense pas que ceux qui sont là ont la capacité requise de diriger l’Etat. Il y a peut-être cinq ou sept personnes qui ont déjà géré. Cela va prendre du temps pour que la mayonnaise tienne. On ne vient pas dans un ministère pour apprendre. On ne vient pas gérer l’Etat pour apprendre surtout dans les conditions dans lesquelles se trouvent nos pays africains. Ce qui nous lie en Afrique, c’est la misère. Raison pour laquelle il faudrait des acteurs aguerris.

L.C.K. : Et pourtant, la lutte contre la corruption figure en bonne place dans ce programme...

T.B. : La lutte contre la corruption, ce sont des mots. Ce n’est pas la première fois qu’on le dise. Moi, j’ai lutté contre la corruption, j’ai été combattu par tous les corrupteurs de la République, par ceux qui ont hiérarchisé la corruption dans ce pays. On ne peut pas faire de notre pays une puissance tant que la corruption va exister, tant que les mauvaises pratiques de toute part continueront à exister. Il faut attaquer le mal à la racine.

L.C.K.: Il y a aussi le recensement biométrique de la population. Qu’est-ce que vous en dites ?

T.B. : Rien du tout. Il faut connaître les tenants et les aboutissants de ce recensement.  Nous rencontrons beaucoup de problèmes à l’est du pays, nous avons des Mbororo qui viennent en Ituri. Il faudrait d’abord que nous puissions pacifier le pays. Après, nous pourrions aller au recensement parce qu’il y a toujours des poches de résistance. Pour le moment, si je prends le cas de l'est, on ne sait pas qui est Congolais et qui ne l'est pas. Il faut d’abord maîtriser la situation sécuritaire, particulièrement à l'est, avant de penser au recensement.

L.C.K.: La gratuité de l’enseignement est en train de devenir une réalité en RDC. Une donne à mettre à l’actif du nouveau pouvoir en place… 

T.B. : La gratuité de l'enseignement est un droit constitutionnel que nous avons déjà commencé à expérimenter lorsque nous gérions la province de l’Equateur, notamment dans la ville de Mbandaka. Le projet était de l’étendre dans toute la province. Malheureusement, nous n'avons pas pu mener ce projet salutaire à terme parce que j’avais quitté les affaires avant. L’Etat a plus que des moyens pour atteindre cette finalité, même jusqu’à prendre en charge les études universitaires. L’Etat a des moyens pour ça. Le budget du Congo, s’il est bien géré, nous pouvons atteindre les cent milliards de dollars. Malheureusement, cet argent va dans les poches de certains particuliers qui s’en servent à leur guise.

L.C.K. : Pour atteindre un budget de cent milliards, quelle est la clé ? 

T.B. : La lutte contre la corruption absolue et la volonté politique des acteurs qui vont gérer les institutions de ce pays.

L.C.K : Politiquement, où est ce qu’on peut vous situer aujourd’hui ?

T.B. : Je vous ai toujours dit que je n’ai jamais été de l'opposition. Moi, je suis un homme de la contradiction. Là où les choses se passent bien, j’applaudis. Là où elles se passent mal, je dénonce cela et je propose. Je garde mon indépendance d’esprit même si ça ne plait pas à tout le monde. Rien n’a changé dans ma vision de la politique. Je suis membre de l’AFDC-A. Je soutiens la démarche d’une vision de conciliation pour faire avancer les choses dans la République, voire une réconciliation de l’opposition parce que jusqu’à présent, celle-ci n’a jamais eu de porte-parole. Il faudrait que l’opposition s’unisse, mette des structures en place, qu’elle ait un porte-parole qui portera sa voix, une voix qui doit compter pour améliorer les choses.

L.C.K; : Votre avis sur le programme d’urgence de Félix Tshisekedi ? Pensez-vous qu’il soit dans la bonne direction ? 

T.B; : Tout début a toujours été difficile. Il prend ses marques. Il va certainement restructurer son cabinet. On va le laisser avancer. Il n’est qu’à son huitième mois. Nous avons eu, dans ce pays, un pouvoir qui est arrivé par les armes et qui a cédé le flanc à un parti politique d’obédience non armé. Ceci est un grand signal pour le pays. Il nous faut renforcer la démocratie. Nous nous attendons à un changement positif dont je ne ressens pas encore, à ce stade, les effets bénéfiques.

L.C.K. : Vous continuez à soutenir avoir remporté les élections législatives dans votre fief de l’Equateur. Sur quoi se fondent vos assurances ?  

T.B. : Il n’est un secret pour personne que j'ai remporté les législatives à l'Equateur. J'ai des éléments  de preuves. Un homme d’Etat n’est pas un homme politique. Il travaille pour les générations futures tandis qu’un acteur politique travaille pour les élections. J’avais gagné les élections en tant qu’homme politique. Il semble qu’il y a des personnes qui ne voulaient pas me voir siéger dans l'hémicycle à la suite de mon état d’esprit que, du reste, je ne changerai pas. Mais je continue à être un homme d’Etat. En 2023, ils auront de grandes surprises.

L.C.K. : Un dernier mot à adresser à votre base de l'Equateur?

T.B. : Contrairement à ce que les gens disent ici, mon peuple m’aime. Je ne vois pas qui peut m’égaler à l'Equateur si les élections étaient réellement transparentes. C’est le peuple qui rétablit un homme. La Céni a des résultats des élections. Il y a même une autorité de cette institution d’appui à la démocratie qui m’a appelé pour me féliciter. J’ai eu plus de voix que le candidat président de l’ex-majorité présidentielle à l’Equateur. Le peuple équatorien a compris que j'étais le seul qui parlait pour servir sa cause. Aujourd’hui, la province est quasi délabrée alors qu’à l'époque, j’avais donné une certaine impulsion pour son développement. Que Dieu protège le Congo.

Propos recueillis par Alain Diasso

Légendes et crédits photo : 

Tony Bolamba

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