Interview. Yoka Lye Mudaba : « Liyolo a popularisé les arts plastiques »

Jeudi 2 Mai 2019 - 21:02

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Le directeur général de l’Institut national des arts, ami de longue date du sculpteur décédé le 1er avril, a réservé un vibrant hommage au défunt, le 29 avril, à la cérémonie d’hommage académique organisée par l’Académie des Beaux-arts dont il était professeur émérite. Dans cet entretien avec Le Courrier de Kinshasa, à quelques instants de la solennité, l’écrivain et dramaturge évoque le mérite et le travail de l’illustre disparu qu’il avait en grande estime.

 

 Le Pr. Yoka Lye intervenant lors de la Semaine culturelle LiyoloLe Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Vous étiez parmi les brillants intervenants lors de la Semaine culturelle Liyolo organisée à l’occasion de ses 50 ans de carrière. Vous sembliez bien connaître l’éminent sculpteur, quel souvenir vous en reste-t-il ?

Yoka Lye Mudaba (Y.L.M.) : J’ai voyagé avec Me Liyolo un peu partout. Nous avons été ensemble à Libreville, à l’invitation de l’Unesco, à un festival à Lagos, à des semaines culturelles à Dakar et au Brésil mais aussi en Belgique, en France, en Autriche même, à Vienne. Le souvenir que j’ai de lui comme artiste, c’est qu’il était un travailleur acharné, perfectionniste. Et, il a pu s’imposer dans le pays par ses œuvres alors qu’il ne pratiquait pas un art majeur, les arts plastiques n’étaient pas populaires. Liyolo, c’est quelqu’un qui a popularisé les arts plastiques. Ses œuvres se retrouvent partout. Il y en a deux qui me frappent, il s’agit du "Militant" à N’Sele. Une œuvre très stylisée, très dépouillée mais très parlante aussi. Il y en a une autre, d’un autre genre, une tête de femme qui porte une bouteille d’eau. "Hommage aux mamans maraîchères", située au carrefour des voies qui mènent vers l’Unikin et Mont-Ngafula. Je lui ai demandé pourquoi il avait réalisé pareille œuvre, il m’a répondu que c’était pour rendre hommage à ces femmes qui nous réveillent le matin. Elles travaillent plus que nous, nous nourrissent dans cette ville de Kinshasa et dont personne ne parle vraiment comme il le faudrait. Cela m’avait beaucoup touché. Je n’ai pas parlé de ce qu’il a fait à la Primature d’un point de vue historique ! Il a reconstitué l’histoire de notre pays à travers les bustes de Premiers ministres, faisant de cet endroit un lieu de pèlerinage pour nos enfants. Je n’évoque pas la statue de Franco, celle de la Place des artistes, ces mains jointes un peu à la Rodin. Je pense qu’il était quelqu’un non seulement de son époque mais aussi de son espace qu’il a vraiment valorisé à sa façon. Mais comme personnalité, Liyolo était un homme du vrai, du direct. Il ne tournait pas autour du pot, quand il n’était pas content, il le disait tout haut, même en public. Mais toujours sans rancune, de bonne humeur. Tel était l’homme qui a beaucoup contribué à l’image de marque du pays au moment où il avait du plomb dans les ailes. Il a pu, comme tant d’autres que nous pleurons aujourd’hui, donner de l’espoir et de la joie, la passion de vivre à cette nation.

L.C.K. : En 2013, à la Semaine culturelle Liyolo, il était question de « Bronze passion ». Pourriez-vous nous redire un mot là-dessus  ?

Y.L.M. : Oui, il parlait de « Bronze passion » parce qu’il a sacralisé le bronze qui était, si l’on peut dire, sa matière première sanctuarisée.

L.C.K. : Me Liyolo était également un de vos amis, dit-on …

Y.L.M. : Un ami personnel que je connais depuis longtemps, devrais-je dire. L’on s’est disputé dix fois et l'on s’est réconcilié dix fois, toujours avec la même bonne humeur. Le Pr. Yoka Lye rendant hommage à Me Liyolo à ses funérailles

L.C.K. : Comment vivez-vous ce moment consacré à ses funérailles  ?

Y.L.M. : Dans l’ensemble, si je devrais évoquer aussi ce qui se passe avec les funérailles de Simaro, celles de Liyolo sont bien organisées par l’Académie des Beaux-arts. Mais il nous faut de la dignité. Même dans l’émotion, il faut de la dignité. Malheureusement, notre culture urbaine actuelle, c’est celle de l’émotivité pour l’émotivité. Organiser un deuil, c’est aussi faire du management et du marketing, mais surtout du management. Ce n’est pas un lieu pour les pleureuses seulement, mais c’est aussi un lieu d’organisation et d’hommage. Parfois, il me semble qu’il manque de la dignité, je ne parle pas de l’hommage à Liyolo qui, j’insiste, est bien organisé. Mais je parle notamment de celui des musiciens qui devrait mettre les conditions immédiates au second rang des conditions de la dignité.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Le Pr Yoka Lye intervenant lors de la Semaine culturelle Liyolo Photo 2 : Le Pr Yoka Lye rendant hommage à Me Liyolo à ses funérailles

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