Littérature : une écrivaine camerounaise parmi les quatre finalistes du prix Goncourt

Jeudi 29 Octobre 2020 - 19:51

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Le 10 novembre prochain, le prix Goncourt, plus prestigieux prix littéraire du monde francophone, sera peut-être décerné à une nouvelle pépite de la littérature africaine ; la Camerounaise Djaïli Amadou Amal, qui fait partie des quatre finalistes retenus pour remporter ce prix.

Son roman, « Les impatientes », d’inspiration autobiographique paru aux éditions Emmanuelle Collas plonge le lecteur dans la vie de trois femmes (Ramla, Hindou et Safira). Polygamie, mariage précoce et forcé, violences conjugales. Depuis qu’elle a pris la plume pour exprimer ses maux, Djaïli Amadou Amal s’impose dans chacun de ses ouvrages comme l’une des figures de proue de la lutte pour les droits des femmes du continent. Née en 1975 sur les pourtours de Maroua, dans le septentrion camerounais, Djaïli Amadou Amal est une écrivaine et militante féministe connue pour ses ouvrages traitant des violences et des discriminations dont sont victimes les femmes du continent africain.

L’écrivaine n’en est pas à ses débuts et son roman « Les Impatientes » rassemble des sujets qui la travaillent depuis longtemps. Enfant, dit-elle, elle lisait beaucoup. Amadou Hampaté Bâ, Ferdinand Oyono, Ken Bugul, ainsi que des romans sur le mariage comme « Une si longue lettre », de Mariama Bâ, et « Sous l’orage », de Seydou Badian Kouyaté, qui l’ont fortement inspirée.  En 1998, Djaïli Amadou Amal a quitté son époux, un « milliardaire » qui l’avait demandée en mariage lorsqu’elle n’avait que 17 ans, alors qu’elle rêvait de devenir journaliste. « Après avoir vécu cinq années difficiles à ses côtés, j’avais juste envie de me suicider, confie-t-elle. Il n’y a pas de psy dans ma région, l’écriture a été un exutoire. » Son manuscrit, pétri de colère, reste dans les tiroirs.

Dix ans plus tard, elle quitte un deuxième époux, violent, et s’installe à Yaoundé. Son entourage tente de la convaincre de revenir et son mari kidnappe leurs deux filles pour la punir. Mais elle se bat, travaille grâce à son BTS en gestion, les seules études que son époux l’a autorisée à suivre. Elle vend ses bijoux en or, achète un ordinateur, une table, une chaise et écrit. « Walaande », l’art de partager un mari paraît en 2010 aux éditions Ifrikiya, à Yaoundé. Il raconte l’histoire de quatre femmes vivant dans la même concession et qui ne font qu’attendre leur tour auprès de leur époux.

L’année suivante paraît chez le même éditeur « Mistiriijo », la mangeuse d’âmes, un roman qui parle d’accusations de sorcellerie et de la tradition du « hirdé » : dans une case, une femme « libérée du mariage » recevait des hommes pour des joutes oratoires, avant de désigner le gagnant et de décider jusqu’où elle souhaitait aller avec lui. « La colonisation puis la montée du wahhabisme ont eu raison du hirdé », regrette l’écrivaine, qui veut « décrire tout ce qui est beau dans sa culture et dénoncer tout ce qui est faux dans notre société, parce qu’il faut savoir dire “non” quand les traditions engendrent de la souffrance ».

L’écriture de Munyal, les larmes de la patience (éd. Proximité, Yaoundé, 2017) vient peu après. L’histoire croise les destins de Ramla, amoureuse d’Aminou mais mariée de force au riche époux de Safira, et de sa sœur Hindou, contrainte d’épouser son cousin Moubarak, qui la viole quelques heures seulement après la cérémonie. Révoltée, battante ou battue, les femmes prennent la parole à tour de rôle dans ce roman dont la construction et le propos sont avant tout didactiques : chaque partie montre une forme de violence subie dans le mariage. La description du « pulaaku », l’ensemble des règles morales et sociales qui déterminent la manière d’être peule, l’injustice des situations vécues et la crudité de certains dialogues frappent le lecteur, bien plus que le style simple et direct et les personnages un peu archétypaux.

A Ramla, qui voudrait devenir pharmacienne et épouser celui qu’elle aime, à Safira, qui se sent trahie par l’arrivée de la coépouse, à Hindou, qui manque de défaillir sous les coups, les femmes de la concession disent : « Munyal ! » « A l’origine, la patience est une valeur, explique l’autrice. Mais en vérité, cela veut dire : “Supporte, accepte, soumets-toi parce que tu es une femme et que tu dois faire ce qu’on attend de toi !” ».

Si les parents agissent de la sorte pour protéger leurs filles, le mariage précoce demeure « la plus pernicieuse des violences, celle qui, privant les jeunes filles d’éducation, engendre les autres violences car elle crée de la dépendance », ajoute-t-elle.

En 2019, son roman « Munyal » reçoit le prix Orange du livre en Afrique et Emmanuelle Collas lit pour la première fois Djaïli Amadou Amal à cette occasion. L’historienne de l’Antiquité qui a fondé une maison indépendante à son nom en 2018, et qui suit l’autrice depuis longtemps sur les réseaux sociaux, veut « retravailler le texte pour qu’il devienne universel, qu’il puisse être lu partout dans le monde ». Pas question d’enlever les mots en peul qui émaillent le texte en français, ni de multiplier les notes de bas de page. Le livre est paru en France en septembre sous le titre « Les Impatientes ». L’annonce du vainqueur le 10 novembre dira si l’éditeur a bien eu le flair en décidant de publier cette douloureuse et si banale histoire africaine.

Boris Kharl Ebaka

Légendes et crédits photo : 

Photo: l'écrivaine camerounaise Djaïli Amadou Amal

Notification: 

Non