Mémoire : le colloque sur Loango a démarré

Vendredi 3 Mai 2019 - 17:00

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

D’éminents spécialistes congolais et étrangers débattent, depuis le 2 mai à l’Institut français du Congo (IFC) de Pointe-Noire, au sujet du site qui a abrité le plus important port d’embarquement des esclaves africains. L'événement se tient sur le thème « Histoires et héritages».

La conférence, initiée par l'IFC, vise à susciter une réflexion contemporaine à partir des connaissances sur les traites, la colonisation et les sociétés post-esclavage. Parlant de l'importance des travaux, Michel Pré, conseiller culturel de l’ambassade de France au Congo, est revenu sur les concepts de la mémoire commune et de l’imaginaire commun (se souvenir du passé et construire l’avenir ensemble) évoqués par le président français, Emmanuel Macron, dans son discours devant les étudiants au Burkina Faso, en novembre 2017. Le colloque de Loango, a-t-il dit, intègre ces concepts dont la construction demande un effort scientifique. «Il est fondamental de mener une vraie réflexion ensemble, une construction objective sur les événements qui nous unissent sur une longue date d’histoire», a-t-il fait savoir.

Les thèmes développés le premier jour ont été axés sur l’histoire de l’esclavage et de la colonisation, à travers une communication du Dr Jean-Pierre IIboundo, chef du bureau de l'Unesco à Kinshasa, sur le rôle de l’Unesco dans la protection et la promotion de la mémoire de l’esclavage. Deux autres communications ont été faites, notamment sur les quinze siècles de traites en Afrique - de l’esclavage au travail forcé par Catherine Coquery-Vidrovitch, historienne spécialisée dans l’étude des traites en Afrique et de la période coloniale, professeure émérite de l’université de Paris Diderot, et la traite atlantique et les sociétés esclavagistes aux Antilles par Myriam Cottias, historienne du fait colonial, spécialiste de l’esclavage caribéen. 

Outre ces communications, deux tables rondes ont été organisées. La première a porté sur Loango et les routes de l'esclave, un sous-thème scindé en deux volets : «Les civilisations Loango confrontées au commerce triangulaire», développé par Frédéric Pambou, expert en patrimoine culturel africain et Loango, responsable associatif  au centre d’études de civilisations Loango; et «La compagnie royale d'Afrique et les commerçants négriers anglais sur la baie de Loango», présenté par Arsène Francoeur Nganga, enseignant chercheur en histoire ancienne, membre du laboratoire d’histoire et d’anthropologie de l’Université Marien-Ngouabi. La seconde, quant à elle, a réuni les cinq intervenants et permis de voir les «Impacts contemporains de l'histoire de l'esclavage et de la colonisation».

Les exposés ont permis de saisir la différence entre les traites trans-sahariennes et infra-africaines (à l’intérieur de l’Afrique actives pendant douze siècles, qui ont mis en esclavage entre huit et douze millions de personnes) et la nuance entre la traitre transatlantique (commerce des Noirs pendant trois siècles) et l’esclavage (enlever toutes libertés à un individu pour en faire une simple force de travail) qui date de l’antiquité. Un phénomène mondial, selon Catherine Coquery-Vidrovitch. «Le système esclavagiste est un système mondial. Toutes les sociétés ont connu l’esclavage. Les traites humaines ont existé à l’intérieur de l’Afrique avant la traite transatlantique», a-t-elle rappelé. 

Toutes ces formes d’esclavage ont comme cause le sentiment de supériorité et le profit. Si la traite transatlantique qui a occasionné la déportation d’environ vingt millions de personnes aux Amériques a été abolie, la colonisation et l’esclavage par contre demeurent car, selon une étude de l’Organisation mondiale du travail, on compte encore quarante millions d’esclaves dans le monde.  

Reconstruire l’histoire générale de l’Afrique

Il ressort aussi des exposés et des échanges que la traitre transatlantique pratiquée par les Européens a profité à leur continent et aux Américains alors qu’en Afrique, elle a transformé les équilibres économiques, politiques et sociaux mais pas dans le bon sens. Par ailleurs, il a été relevé le fait que l’histoire de l’esclavage est peu ou mal connue à cause de la volonté de déconstruire l’histoire générale de l’Afrique, construite sur la base d’un savoir mal bâti. Des recherches approfondies doivent donc être menées et des enseignements sur ces aspects doivent être inscrits dans les programmes scolaires pour une meilleure connaissance de l’histoire et pour briser le silence autour du phénomène de l’esclavage.

Pour Myriam Cottias, la réparation de l’esclave doit être prise au sérieux pour un rééquilibrage des rapports entre l’Afrique et l’Europe.  Les exposés ont aussi fait mention des influences linguistiques et musicales des Noirs déportés aux Amériques, particulièrement d’Afrique centrale, qui ont emmené leur culture, leur tradition et leur vision du monde. Des influences qui ont donné, entre autres, naissance à des styles de musique comme le jazz et le funk.  

Le port de Loango

Situé dans le département du Kouilou, à 20 km de Pointe-Noire, capitale économique du Congo, le site de Loango a abrité un port d’embarquement des esclaves qui étaient acheminés par «La piste des caravanes». Il est considéré comme le plus important (40 % des personnes déportées aux Amériques) de l'histoire de la traitre transatlantique.« Aujourd’hui, on peut prouver que le site de Loango était le plus grand site d’embarquement des esclaves de toute la côte atlantique et plus même que la côte orientale, parce que Loango était le point de chute de plusieurs pistes des esclaves en provenance de plusieurs sous-régions. C’est une caractéristique unique sur tout le continent africain», a précisé Arsène Francoeur Nganga. 

Malheureusement, ce site historique demeure peu connu et valorisé. Toutefois, les Congolais espèrent le voir mis en lumière à travers la réalisation du projet sur la Route des esclaves. Fréderic Pambou s’est montré optimiste. «Dans le cadre du projet de la route des esclaves, il y a lieu de mettre en lumière, à côté d’autres ports africains comme Gorée et Ouidah, le port de Loango afin que ce devoir de mémoire soit perpétué à travers les générations et qu’on puisse aboutir à une sorte de dialogue interculturel autour de ce thème douloureux de la traite transatlantique. Il faut replacer Loango dans un contexte universel », a-t-il estimé.

Notons que le colloque Loango est organisé avec l’appui de l’ambassade de France au Congo, le soutien de l'Unesco bureau de Brazzaville, en partenariat avec SBV Consulting et la Chambre de commerce, d'industrie, d'agriculture et des métiers de Pointe-Noire. Le deuxième jour des travaux (à l’IFC)  portera sur les héritages et le troisième jour  (à la Chambre de commerce) sur le tourisme culturel, tourisme mémoriel, développement local.

Lucie Prisca Condhet N’Zinga

Légendes et crédits photo : 

-Une vue de la salle lors des travaux du premier jour/ Adiac -L'affiche du colloque/ Adiac

Notification: 

Non