Professeur Simra Arom : « Les Akas sont les grands maîtres et les génies de la musique »

Lundi 11 Juillet 2016 - 15:15

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Le professeur Simra Arom, 86 ans, Ethnomusicologue, directeur de recherche émérite au Centre national de recherches scientifiques (CNRS-France), est souvent présenté comme la référence mondiale en matière de recherches sur la musique polyphonique des populations autochtones Akas. Les Akas passent à ses yeux comme les maîtres et les génies de la musique.

Les Dépêches de Brazzaville : De plus en plus des voix s’élèvent pour évoquer une possible extinction des populations autochtones en général et les Akas en particulier. Leur musique serait également menacée de disparition. Partagez-vous cet avis ?

Professeur Simra Arom : Il est vrai que si les Akas disparaissent, leur musique va également disparaître avec eux. Pour le moment on ne parle pas encore de disparition des Akas. Je suis très étonné de l’entendre. Chez les Akas de la Centrafrique (au nord de la République du Congo), il n’y a pas non plus d’extinction, mais leur culture est en déperdition parce qu’ils la pratiquent de moins en moins.

Or, ils doivent prendre conscience pour conserver cette culture. Tous les Akas ont une musique d’une valeur exceptionnelle parce qu’il n’y a pas beaucoup de populations qui pratiquent la polyphonie en Afrique. C’est leur culture. On ne peut pas les forcer, on ne peut pas les pousser à faire quoi que ce soit. Mais, il faut leur expliquer l’intérêt de la conserver. J’ai passé toute ma vie à faire ce travail.

LDB : Quelle est la particularité de leur musique ?

S. A : La particularité ! C’est une musique où l’on trouve plusieurs voix : quand quatre pygmées chantent ensemble, ils ne chantent pas la même chose. Selon la tradition chacun chante quelque chose de différent.

Dans l’ensemble c’est une musique d’une très grande beauté, mais aussi d’une grande complexité tant sur le plan des mélodies qu’ils font  de la sonorité dans l’ensemble, que sur le déroulement du rythme de chacune des parties.

LDB : Vous avez longtemps étudié cette musique. Aviez-vous le sentiment d’avoir achevé votre travail ?

S.A : J’ai l’impression que le travail n’a pas été achevé parce qu’il est très difficile d’obtenir des pygmées des réponses aux questions qu’un chercheur se pose. Ils ne font pas la théorie de la musique. Ce sont les grands maîtres, les génies de la musique. Mais, ils ne savent pas expliquer ce qu’ils font. Il faudra tout découvrir ensemble soi-même.

Celui qui vient chez eux et les observe doit faire ce travail. Il est de très longue haleine. On ne peut jamais être assuré que ce que l’on observe et ce que l’on pense est juste tant qu’on n’a pas les moyens de le vérifier avec eux.

Par exemple, je ne peux pas chanter moi-même plus d’une partie. Je ne peux pas chanter de la polyphonie avec moi-même. Je ne peux pas vérifier dans leur répertoire si ce que je chante est vrai ou faux.

LDB : Vous dites à qui veut vous entendre que vous avez pris la retraite, alors que votre travail est inachevé. Aviez-vous préparé la relève ? 

S.A : Oui ! J’ai préparé la relève : j’ai pas mal d’étudiants que j’ai emmenés parfois sur le terrain. Ces étudiants sont maintenant des chercheurs. Mais, aller maintenant dans les régions comme le sud-est de la République centrafricaine, c’est extrêmement dangereux. Je ne permettrais à aucun de mes étudiants d’y aller (…).

LDB : Sorel Eta est un jeune ethnologue congolais que vous avez formé. Comment appréciez-vous son travail ?

S.A : Je trouve formidable ce qu’il fait. Je suis désolé que personne d’autre ne le fasse au Congo, et que son association ne trouve pas souvent d’aide. Le Congo doit être fier d’avoir encore aujourd’hui des groupes de pygmées Akas qui suivent et pratiquent leur culture ; puis la représentent surtout à l’étranger.

La Rédaction

Légendes et crédits photo : 

Le Pr. Simra Arom; le groupe Ndima sur scène/ Photos DR

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