Récupérer les cadavres de 800 migrants noyés, oui, mais pourquoi ?

Mercredi 13 Juillet 2016 - 18:56

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Le Premier ministre italien s’était engagé à ramener à la surface les corps de migrants naufragés. La polémique enfle car l’affaire prend des tournures politiques.

La décision du premier ministre Matteo Renzi partait d’un bon cœur. Le 18 avril de l’an dernier, quelque 800 migrants étaient engloutis en Méditerranée lorsque le rafiot à bord duquel ils avaient tenté la traversée depuis les côtes libyennes avait sombré dans le canal de Sicile. Chrétien et humaniste, le premier ministre italien avait affirmé que la différence entre son gouvernement et d’autres catégories de politiciens était dans le fait que pour lui, même mort, un migrant clandestin restait un homme. Il fallait donc repêcher ces migrants et leur donner une sépulture digne. Noble.

Au début de ce mois, les opérations de renflouement de l’épave gisant par 370 mètres de fond ont commencé. Confiées à la marine italienne qui jouit d’un savoir-faire indiscuté en la matière, les manœuvres ont permis de faire aboutir la première partie de l’engagement de M. Matteo Renzi. Le chalutier remonté a été conduit vers le port d’Augusta, en Sicile. Et le 7 juillet quelque 217 corps ont pu en être retirés. Des autopsies ont aussitôt commencé pour tenter de rétablir l’identité des malheureux et restituer les corps aux familles dans le deuil après un an de douloureuse incertitude.

L’affaire serait restée un bel exploit technique, une opération de grande générosité humaniste si la politique, dans l’ambiance anti-immigrée actuelle, n’avait commencé à insinuer le venin de la suspension. Intervenant au Sénat mardi, deux élus de droite ont vigoureusement interpelé M. Matteo Renzi. Les sénateurs Maurizio Gasparri et Carlo Giovanardi ont demandé au premier ministre « les vraies raisons qui ont justifié le repêchage de ces corps ».

« L’Italie, ont-ils fait valoir, n’avait aucune responsabilité dans ce naufrage. Au lieu de couvrir seule les frais de renflouement, elle aurait dû appeler les autres pays de l’Union européenne à apporter leur contribution pour soutenir l’opération si tant est qu’elle était nécessaire», ont rugi les deux élus du haut des travées. Ils disent avoir été choqués d’apprendre dans la presse que l’ensemble de cette opération de sauvetage « coûtera 20 millions d’euros » (1,4 milliard de francs CFA environ). Les deux hommes peu connus pour leur engagement philanthropique débordant hurlent littéralement au scandale.

Avec une telle somme, on aurait pu envoyer des médecins en Afrique, soutiennent les deux opposants. « On aurait pu adopter quelque 5000 petits africains et assurer leur maintien pour dix ans, leur assurant une instruction garantie. Ou bien, nous aurions pu accueillir 1700 migrants dans les centres de rétention pour demandeurs d’asile tout en procédant à l’expulsion des clandestins criminels ». La politique, on le sait, c’est aussi l’art de se saisir du premier argument venu pour embarrasser l’adversaire. On en a ici une illustration.

Le chien aboie, mais la caravane des bons sentiments passe. Toujours mardi Mgr Ignazio Sanna, évêque d’Oristano, en Sardaigne, a célébré (gratuitement sans doute, et sans aide de l’Union européenne !) une messe pour adresser à Dieu l’âme de tous les migrants morts en mer. « Cette île est le lieu idéal pour faire mémoire des innombrables victimes sans noms, mais aussi pour remercier tous ceux qui ont œuvré et qui œuvrent encore pour les sauver, parfois même au risque de leur propre vie », a dit le prélat. Puis il a lancé un bouquet de fleurs à la mer pour les morts d’un drame sans fin.

Lucien Mpama

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