Santé publique : des malades mentaux de plus en plus agressifs à Brazzaville

Jeudi 18 Février 2016 - 16:58

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Le nombre croissant des personnes présentant une psychose chronique dans les rues de Brazzaville devient un danger pour la population dont la quiétude est souvent perturbée par ces malades d’un autre genre qui déambulent dans des lieux publics.

Tous les jours, après avoir écumé les contrebas des ponts, ces débiles mentaux errent librement dans les rues comme des citoyens ordinaires. On les croise partout dans les abords des marchés, des hôpitaux, des ronds-points, des écoles, des lieux publics, ou à proximité des grands centres d’affaires parfois en tenue d'Adam et Eve.

Ils se nourrissent de ce qu’ils trouvent sur leur chemin. Certains sillonnent les mêmes quartiers depuis des années. D’autres, consommateurs de drogues sont venus grossir les rangs de ces laissés- pour- compte. Leur nombre  a, semble t-il, augmenté.

Quant aux femmes, elles sont constamment exposées au viol par des hommes zélés, et peut-être  aliénés. Ces actes  aboutissent parfois à des grossesses.

« L’Etat doit trouver une solution pour cette catégorie d’individus dont le sort est très déplorable. Les familles incapables de contenir les violences et les comportement étranges de certains d’entre eux ont choisi de démissionner », s’est plaint Maurice Kangou, un habitant de Moungali. En effet, ces malades mentaux posent souvent des actes d'incivisme et d'agression envers la population.

En témoigne le spectacle désolant que nous avons assisté devant  le Centre Hospitalier et Universitaire de Brazzaville (CHU)  où un malade mental presque nu courait dans tous les sens en proférant des injures grossières aux passants.

Une autre scène se passe aux alentours du lycée Lumumba où une jeune lycéenne s’est vue brutalement asséner une giffle en plein midi par un malade mental alors qu’elle attendait son bus.

« Ce fou devient très dangereux. Lorsqu’on l’aperçoit, on change automatiquement de direction, car il traumatise tout le monde ici. Il s’en prend parfois aux passants en leur jetant des pierres ou tout autre objet à portée de main », nous a confié Claudia, une vendeuse de pain.

La prise en charge s’impose

Spécialisé pour soigner les malades mentaux, le service de psychiatrie du Centre hospitalier Universitaire de Brazzaville est largement insuffisant pour contenir un nombre important de malades, explique le docteur Alain Mouanga, neurologue-psychiatre, chef de service de psychiatrie. Appréciant les efforts fournis dans le cadre des soins et de l’encadrement des malades mentaux, il souhaite que la prise en charge des troubles mentaux dans les soins de santé de base soit intégrée.

« Un seul centre pour une ville d’au moins 1 million d’habitant, c’est largement insuffisant, car, nous n’avons qu’une capacité de 40 lits d’hospitalisation pour le même bassin de population. Donc, il n’est pas pertinent de penser que le service de psychiatrie du CHU peut servir de support à la résolution des problèmes des malades mentaux errants », a indiqué le neuro- psychiatre. A noter que la durée moyenne du séjour dans ce centre est de 10 à 15 jours.

 « Ailleurs, lorsqu’un patient est rejeté, c’est la solidarité nationale qui se substitue à la solidarité familiale. Malheureusement chez nous, au moment où la famille baisse les bras, il n’y a personne pour récupérer le malade, puisqu’il s’agit dans certains cas d’affection chronique. Dans le cadre de la maladie mentale, lorsqu’on ne guérit pas, la prise en charge doit être à vie », a insisté le docteur Mouanga.

Il pense qu’il faut construire des lieux de vie médicalisés comme c’est le cas chez les personnes âgées qui sont dans les auspices. « Cela coûte de l’argent, mais c’est une question de volonté ».

 

Combattre la stigmatisation et la discrimination…

Souvent, les malades mentaux sont communément appelés « fous », une désignation que le docteur Mouanga n’apprécie pas du tout. Parler de fous, c’est péjoratif, a- t-il dit, précisant qu'il  s’agit  plutôt des personnes qui présentent une psychose chronique.

« Appeler les malades mentaux par fous, est une discrimination négative. Quand vous parlez de fous, vous chosifier des personnes qui ont pourtant une histoire. En plus, vous jetez le discrédit sur beaucoup de gens. Dans notre pays, il y a de nombreuses personnes qui souffrent des troubles mentaux, surtout avec les conflits que nous avons connus », s’est indigné le psychiatre. Et d'ajouter, « le regard stigmatisant et discriminant de la société à l’égard des personnes présentant une psychose chronique réduit l’impact des efforts de soins, d’appui et de traitement ».

Le Dr Alain Mouanga a aussi souligné le cas des enfants qui, dès  les premiers signes de troubles, sont assimilés à des sorciers et mis hors de la société.

En effet, certaines croyances font que la société regarde les malades mentaux avec mépris. D'autres par contre les ignorent et leur jettent des pierres dès qu’ils deviennent agressifs. Régulièrement, on les retrouve enchainés parce qu’on arrive plus à les maîtriser.

« Beaucoup ne se rendent pas compte que personne n’est à l’abri de telles maladies et d’autant plus dans un pays qui a connu autant de violences. Ces troubles peuvent apparaître juste après les violences mais aussi bien plus tard. Pensez-que la maladie mentale est différente des autres maladies, c’est faire de la discrimination », a insisté le medécin.

Le Dr Mouanga a expliqué que d’autres facteurs comme des antécédents familiaux de maladie mentale, une enfance marquée par des abus physiques, sexuels ou psychologiques, des épisodes antérieurs de maladie mentale, des traumatismes psychologiques ou une accumulation importante de stress peuvent également favoriser le développement de troubles mentaux. Aussi, les troubles anxieux, dépressifs, les troubles de sommeil, la peur, la frigidité, l’impuissance sexuelle les schizophrénies sont des maladies d’origine mentale. « Parler de fou n’a aucun sens ».

Le chef de service de psychiatrie au CHU a plaidé pour la mise en place d’une loi de santé mentale. Car, précise -t-il, depuis son indépendance le Congo n’a jamais voté une telle loi. Elle permettrait,  selon lui, d’organiser la prise en charge des  malades et le financement pour remédier aux troubles mentaux les plus importants.

Yvette Reine Nzaba

Légendes et crédits photo : 

1-Un malade mental errant dans les rues 2- un malade mental en plein sommeil 3- une vue du Centre psychiatrique de Brazzaville

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