Union africaine: après l’autopsie, l’heure de l’action a sonné

Samedi 7 Mai 2016 - 16:00

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Les ministres africains des Affaires étrangères et leurs équipes de diplomates se sont dits fiers de la moisson de leur retraite, à Nairobi, du 05 au 07 mai. La qualité et le format des débats sont considérés par d’aucuns « comme une évolution ».

Le rendez-vous du Kenya est le quatrième du genre. Il a lieu à deux mois du sommet des chefs d’Etat prévu à Kigali. Pendant trois jours, seules les questions de développement ont dominé même si les participants n’en étaient pas les spécialistes. Mais appelés à décider sur le plan diplomatique, il leur revient de définir les contours des thématiques et l’agenda général du continent.

A propos, l’Afrique en dispose déjà (l’Agenda 2063) et « tout le problème réside au niveau de sa mise en œuvre » comme l’a reconnu la présidente de la Commission, Nkosazana Dlamini Zuma. « « Il reste beaucoup à faire à l’Afrique. Il faut aller vite », a-t-elle lancé, ajoutant, un tantinet péremptoire : « Ne subissons pas le système mondial. Ne soyons pas perturbés. Il nous faut agir pour changer les choses… »

Principal orateur, le vendredi 6 mai, le docteur Carlos Lopes, secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (Nations unies), a cristallisé l’attention des participants à travers un exposé fort illustré avec une forte dose pédagogique sur « Le paradoxe africain ». Comment un continent aussi riche peut-il abriter une population qui vit dans la misère et peine lui-même à se développer ?

La suite de sa communication, faute d’être une sentence pour les dirigeants ou les Occidentaux, est un appel à l’éveil. Plutôt au réveil. De l’exposé du docteur Carlos, tous ont compris que « Le paradoxe africain n’est pas un point de vue mais une réalité ».

Modérateur de ce débat, le ministre éthiopien des Affaires étrangères n’a pas hésité, au vu des enjeux, de détendre le climat avec ces propos : « J’ai commis la maladresse de porter ma cravate, car les débats d’aujourd’hui nous imposent d’être informels, de discuter sans formalités ou formalisme ». 

 

Des chiffres ignorés qui fâchent

L’étude a démontré que l’Afrique ne représente que 2% du PIB mondial alors que ses réserves de pétrole s’élèvent à 15%. Pourtant, le continent n’est pas des plus mal logés. « Quel est le pays africain le plus endetté que le Porto Rico dont la dette s’élève à 70 milliards d’euros ? »

Derrière cette interrogation se cache une vérité : « La dette africaine représente à peine 35% de son PIB alors que le Japon doit deux fois plus que la taille de son économie. » En d’autres termes : l’Afrique ne va pas mal. Donc, explique le docteur Carlos Lopes : « Nos produits de base sont entre les mains des traders dont le rôle est négatif en termes de volatilité et de fluctuations », explique-t-il non sans condamner le système mondial.

« Pourquoi mendier pour construire les infrastructures ? », s’interroge-t-il en pointant du doigt le système fiscal africain dont le taux de pression de 18% ne peut garantir le décollage économique du continent. Ce taux suppose une importante masse d’argent qui se volatilise. Pour la gouverne des Africains, la moyenne au niveau mondial est de 35%. S’ajoute le flux financier illicite avec, par exemple, 854 milliards de dollars de pertes enregistrées entre 1990 et 2008.

« Il faut renverser la tendance et changer la réalité», propose un ministre après que le conférencier a démontré que la fortune des 50 plus riches d’Afrique s’élève à 100 milliards de dollars contre 400 milliards de réserves pour l’ensemble du continent.

Entre condamnations et remises en cause des pratiques, les débats de Nairobi ont servi de « miroir » d’autant plus que le rapport présenté par le docteur Abdalla Hamdock, le 7 mai, sur l’indice de l’intégration régionale en Afrique a achevé l’orgueil des uns et des autres les contraignant à « changer » et à unir les forces. « Nous n’avons que les drapeaux et les hymnes mais nous ne sommes pas libres car après avoir gagné le combat de la liberté qui nous avait unis, il nous faut gagner celui du développement pour lequel nous devons rester aussi unis », plaide la ministre de la Namibie.

Ce n’était pas les seuls sujets abordés au cours de ces débats qui n’ont pas manqué leur côté cocasse quand le ministre zimbabwéen a pris la parole pour expliquer leurs bonheur et malheur après le retrait des terres aux fermiers et agriculteurs blancs.

Pourquoi l’Afrique n’arrive-t-elle pas à se développer ? Les richesses naturelles : malédiction ou bénédiction ?

Questions des intervenants, tous des ministres, à eux-mêmes d’abord, dans une sorte de ping-pong. « Nous devons transformer les termes du dialogue avec nos partenaires pour espérer gagner la bataille », dit l’un. « Ce n’est pas en s’opposant au système (mondial) qu’on va gagner. Il faut être dans un protectionnisme intelligent », renchérit l’autre. « Il faut chercher ce qui marche pour soi et non imiter pour imiter », ajoute un troisième. « Mieux vaut connaître le produit plutôt que produire seulement », explique celui qui pense que l’Afrique manque d’expertise pour s’afficher sur le marché mondial ou se lancer dans l’industrialisation. Bref, dit un autre encore : « Il nous faut associer à ces débats les ministres du Plan et d’autres acteurs civils ».

Faut-il désespérer de l’Afrique ?

« Je refuse d’être frustré. Je suis déterminé », déclare un conférencier avec un optimisme affiché. Le sourire est revenu lorsque la présidente de la Commission, Nkosazana Dlamini Zuma, a annoncé la disponibilité du passeport africain. Celui-ci sera remis aux chefs d’Etat et aux ministres, en juillet à Kigali, en même temps que le seront les recommandations de la retraite de Nairobi.

Bref, « si votre rêve ne vous plaît pas, c’est qu’il n’est pas suffisamment grand », a signifié un ministre pour exhorter ses pairs à l’action. La délégation du Congo était conduite par le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et des Congolais de l’étranger, Jean-Claude Gakosso.

Jocelin Francis Wabout

Légendes et crédits photo : 

Nkasazana Dlamini Zuma échangeant avec le docteur Carlos, un des conférenciers

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