Vie des partis: focus sur l'Udps, la fille aînée de l'opposition congolaise

Jeudi 30 Mai 2019 - 18:39

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Le parti de feu Etienne Tshisekedi, membre de l'Alliance progressiste et membre observateur de l'Internationale socialiste, a été fondée le 15 février 1982 par ce dernier et Marcel Lihau ainsi que d’autres personnalités politiques. Mais, en tant que mouvement politique d’opposition contre la dictature du régime du maréchal Mobutu, cette formation a vu le jour le 1er novembre 1980, jour de la publication de la lettre ouverte des treize parlementaires adressée au président Mobutu.

La lettre  des treize parlementaires fut, depuis le coup d’État militaire du 24 novembre 1965 par lequel le régime Mobutu s’était installé au pouvoir, la toute première contestation non violente, sous forme d’une analyse critique, rigoureuse et globale de l’ensemble du système politique du maréchal Mobutu, la toute première remise en question de l’ensemble d’un régime qui était jusque-là soutenu par tout l’Occident, en pleine guerre froide et au moment où Mobutu était au sommet de sa puissance et de sa gloire. Cette lettre se terminait par dix propositions invitant Mobutu à démocratiser le système politique, conformément aux aspirations profondes et légitimes de la population et au Manifeste de la N’sele, document fondateur du Mouvement populaire de la révolution (MPR) qui, dans sa conception, faisait de cette formation un parti politique démocratique à côté d’un deuxième dont la création était prévue à l’article 4 de la Constitution du 24 juin 1967. Pour les treize parlementaires donc, dont le leader a été Etienne Tshisekedi wa Mulumba, Mobutu était un déviationniste par rapport à l’essence même du MPR et un traître par rapport à l’aspiration profonde et légitime de la population à l’avènement d’un État de droit souverain, démocratique, pluraliste, moderne et prospère au cœur de l’Afrique.

La répression contre Tshisekedi et ses pairs

Au lieu d’écouter les treize parlementaires, Mobutu se livra à la répression (relégation dans leurs villages d’origine, emprisonnements, traitements cruels, inhumains et dégradants, tortures, bannissements, déchéance de leurs droits civils, politiques, sociaux, etc.). Ayant sous-estimé la détermination et la résistance intérieure des treize parlementaires et l’écho favorable que leur message avait eu chez des nombreux compatriotes, Mobutu obtint le résultat tout à fait opposé : plusieurs compatriotes rejoignirent les treize parlementaires dans la lutte clandestine contre le régime de Mobutu. Le 15 février 1982, les treize parlementaires et les autres cofondateurs qui les avaient rejoints dans le combat politique créèrent un deuxième parti politique d’opposition en pleine dictature à parti-État (MPR) : l’Union pour la démocratie et le progrès social (Udps). Pour fragiliser ce nouveau parti, Mobutu est venu puiser en son sein et réussit à y créer des départs.

Les derniers Premiers ministres de Mobutu furent donc puisés à l’Udps. Ce fut le cas de Mulumba Lukoji, Nguz-a- Karl Ibond, etc. Ce vent amené par l’Udps a quand même conduit à la création d’autres partis politiques qui formèrent, avec elle, la dynamique opposition qui a combattu le pouvoir de Mobutu jusqu’à le fragiliser et de préparer le terrain à l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), entrée au pays sous la conduite de Laurent-Désiré Kabila.

Et l’AFDL prit le contrôle du pays

L’Udps et ses alliés ont donc balisé la route pour l’AFDL, cette rébellion partie des territoires de l’est de la République démocratique du Congo. Tshisekedi avait même personnellement appelé les Congolais, mieux les Kinois, à accueillir ceux qui venaient en libérateurs. C’est cet appel qui fit que certains territoires du pays, dont Kinshasa, ont été pris sans combat parce que les forces fidèles à Mobutu ne pouvaient pas, seules, contenir cette rébellion qui avançaient avec les Kadogo et qui avait l’appui du peuple. A Kinshasa, Etienne Tshisekedi et son Udps ont fustigé la conduite des ceux qui ont accompagné Laurent-Désiré Kabila et ont refusé de participer ou de continuer à pactiser avec ce pouvoir. Ce sont les dures remarques formulées par Etienne Tshisekedi qui ont conduit à sa relégation dans son village natal, Kabeya Kamwanga, dans le Kasaï. Et la rupture était là consommée avec l’AFDL et son leader, Laurent-Désiré Kabila, qui fut assassiné en 2001 dans des conditions que la justice n’a pas pu élucider.

Joseph Kabila succède à Laurent-Désiré Kabila

Pour l’Udps, le pouvoir de Joseph Kabila était la continuité de celui de Laurent-Désiré Kabila dont elle a fustigé les pratiques. Loin donc de flirter avec celui-ci, ce parti a continué dans l’opposition ayant été rejoint par des mécontents de la gestion du pays d’après Mobutu, et quitté par ceux qui ont trouvé que le temps était pour eux venu de « travailler » pour le pays. Ayant pris part aux travaux du Dialogue intercongolais de Sun City, qui ont conduit à la mise en place du formule 1+4, l’Udps s’est dite flouée dans le choix du vice-président venant de l’opposition, parce que ce poste, qui devrait lui revenir, a été donné à Arthur Z’Ahidi Ngoma. Une autre frustration et l’Udps reste dans l’opposition, menaçant même de tout faire arrêter le 30 juin 2005.

L'Udps a donc finalement choisi de boycotter les élections présidentielle et législatives tenues en 2006. Et de 2006 à 2011, elle fut écartée de l’ensemble des institutions congolaises, tant au niveau provincial que national. Elle est revenue avec les élections de 2011. Mais, là encore, elle crie au vol de sa victoire à la présidentielle et se met dans un processus de la réclamation de la vérité des urnes ou de l’Impérium. Etienne Tshisekedi avait même prêté serment, dans sa résidence de Limete, en tant que président de la République élu. Dans plusieurs documents signés de la main du Sphinx de Limete, celui-ci réclamait un dialogue national dont l’ordre du jour ne comportait qu’un seul point : la vérité des urnes ou le retour à l’ordre institutionnel établi par les élections de 2011. Pour Etienne Tshisekedi, en effet, ce dialogue devrait permettre à ce qu’il lui soit remis le pouvoir, en tant que président de la République, et de faire de Joseph Kabila sénateur à vie. En feignant de chercher à répondre à ces desiderata, Joseph Kabila a amené l’Udps dans des négociations à Ibiza, Venus, etc.

Ayant compris les vraies motivations de l’homme, Tshisekedi et l’Udps se sont rétractés et ont continué leurs revendications jusqu’à obtenir, avec l’apport de la Conférence épiscopale du Congo (Cénco), les assises du Centre interdiocésain qui ont donné l’Accord de la Saint-Sylvestre. Mais ici également, le pouvoir de Kinshasa a tenté un coup de force en organisant, avant ces assises, une réunion à la cité de l’Union africaine, donnant un accord qui a, par la suite, été rejeté par la classe politique et sociale congolaise. Selon l’Accord de la Saint-Sylvestre signé le 31 décembre 2016, l’Udps devrait donner à Kabila un Premier ministre en vue d’organiser les élections pour une alternance à la tête de l’Etat. Et tous ont convenu que le Comité pour le suivi de cet accord devrait être conduit par Etienne Tshisekedi, en tant que président de la méga plate-forme de l’opposition, le Rassemblement, qu’il avait initiée en Belgique, dans sa convalescence. Malheureusement, il tombera de nouveau malade et en mourut, sans avoir obtenu ce que l’opposition a pu imposer à Kabila, lors de ces assises.

Après la mort d’Étienne Tshisekedi en février 2017, le Rassemblement de l’opposition sera restructuré et dirigé par deux personnes, Félix Tshisekedi, fils d’Étienne Tshisekedi, et Pierre Lumbi devenant respectivement président et président du conseil des sages et une autre aile se créera avec Joseph Olenga Nkoy. Et Joseph Kabila profitera de cet imbroglio pour puiser au sein de l’Udps et faire comme Mobutu. Il prendra Samy Badibanga, l’un des fils spirituels d’Antoine Tshisekedi et ami personnel de Félix-Tshisekedi, pour le nommer Premier ministre. Il fera trois mois à la Primature. Bruno Tshibala, un  des cadres, se désolidarise du Rassemblement pour se rallier à Joseph Olengankoy. Il est exclu par une partie de l’Udps quelques semaines après. Cependant, il reste membre du Rassemblement. En avril, il est nommé Premier ministre d'ouverture par Joseph Kabila, ce qui fait perdurer les divisions au sein de l’opposition. Le parti se divise alors en quatre factions : en plus de l’Udps Kibassa, qui a existé depuis longtemps alors que les deux ex-compagnons étaient encore en vie, et l’Udps/Tshisekedi, il y a eu Udps/le Peuple, et Udps/Tshibala dont le président, nommé Premier ministre, a légué ses pouvoirs à Tharcisse Loseke jusqu’en juillet 2018.

Les 30 et 31 mars 2018, lors d'un congrès extraordinaire réuni à Kinshasa, Félix Tshisekedi est élu président de l’Udps/Tshisekedi. Il est aussi choisi candidat du parti pour la prochaine élection présidentielle, qui était prévue pour décembre 2018. Il est élu et prête serment le 24 janvier 2019 au cours d’une cérémonie organisée au Palais de la nation, le bureau du chef de l’Etat congolais. Ici, beaucoup ont parlé de la passation pacifique et civilisée du pouvoir au sommet de l’Etat, étant donné que la RDC n’a jamais vécu ce genre de cérémonie. Après le début du mandat présidentiel de Félix Tshisekedi, l’Udps nomme  l’ex-secrétaire général de ce parti,  Jean Marc Kabund, comme président. Au mois de mai, celui-ci nomme Augustin Kabuya secrétaire général. C’est donc dans cette position que l’Udps est appelée aujourd’hui à enterrer son leader et son président, celui qui a tracé le chemin.

Lucien Dianzenza

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