Xia Huang : « Le forum de Marrakech tombe à un bon moment pour les pays africains de montrer aux investisseurs chinois les secteurs intéressants »

Samedi 25 Novembre 2017 - 18:15

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L’ambassadeur de la République populaire de Chine en République du Congo évoque, dans cette entrevue exclusive aux Dépêches de Brazzaville, les enjeux du forum Chine-Afrique sur les investissements qui se tiendra à Marrakech, au Maroc, du 28 au 29 novembre. Il aborde également l’appui de son pays à l’Afrique en général et au Congo en particulier dans la perspective du développement économique.  

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.): Un forum Chine-Afrique sur les investissements se tiendra du 28 au 29 novembre à Marrakech, au Maroc. Qu’attend la Chine de l’Afrique en matière d’investissements ?

Xia Huang (X.H) : La Chine est un pays qui croit fermement à la solidarité sud-sud. Elle pense que son développement doit jouer un effet d’entraînement en faveur des autres pays en voie de développement, notamment ceux de l’Afrique. C’est pour cette raison que la Chine défend l’approche de coopération gagnant-gagnant.

Depuis la proclamation de la République populaire de Chine en 1949 et l'accession dans les années 1960 à la souveraineté nationale par  les pays africains, l’Etat chinois a mis au point des politiques d’aide et de coopération au profit du monde en développement, notamment l’Afrique. Dans ce cadre, nous avons mis en place beaucoup d’outils d’aide publique au développement. Pour le cas du Congo, c’est un pays ami de la Chine qui a bénéficié de tous ces outils : l’aide sans contrepartie, les prêts concessionnels, etc.

Mais, à notre avis, c’est seulement un pied. Si on veut aider les pays africains à s’engager résolument dans un processus d’industrialisation et de développement, on doit compter sur les différents outils d’aide publique au développement. Un autre pied est indispensable, notamment les investissements publics et privés. C’est pour cela que l’Etat chinois travaille en étroite collaboration avec les différents pays concernés avec les cycles de formation, beaucoup de mécanismes de coopération pour les aider à mettre en place, par exemple, un dispositif juridique et règlementaire susceptible d’encourager et d’intéresser les investisseurs. Ce, pour qu’il y ait, dans chaque pays africain, un cadre suffisamment attractif aux investisseurs. Pour cette raison, nous travaillons ici en étroite collaboration avec l’Etat congolais afin de mettre en place une loi sur les zones économiques spéciales à partir de notre propre expérience mais en l’adaptant aux réalités congolaises.

Nous avons donné des conseils à l’Etat congolais sur les services administratifs, le dispositif fiscal et douanier pour faciliter l’arrivée des investisseurs, car nous croyons à l’utilité des investissements pour accompagner les différents outils d’aide publique au développement. Dans ce cadre, je pense que le forum de Marrakech sera une occasion importante pour les pays africains de rencontrer les investisseurs chinois déjà présents sur le continent et d’intéresser d’autres potentiels investisseurs.

Le Congo a déjà bénéficié de cet élan. Nous pouvons citer le cas du projet portant sur le champ pétrolier de Banga Kayo où une entreprise chinoise a déjà investi plus de 400 millions de dollars américains. C’est un projet qui se trouve en phase d’exploitation. On peut dire que si d’autres investisseurs chinois peuvent emboîter le pas, le secteur pétrolier aura une nouvelle physionomie. En croyant à cette approche de coopération gagnant-gagnant, que ce soit du côté de l’Etat congolais ou de son entreprise publique, la Société nationale des pétroles du Congo, ce serait des approches de développement et d’exploitation tout à fait nouvelles.

L.D.B.: Peut-on savoir  le volume actuel des investissements de la Chine en Afrique ?

X.H. : J’ai des chiffres qui datent de la fin de 2016. Les entreprises publiques et privées chinoises ont investi 2,4 milliards de dollars courant l’année dernière en Afrique. A la fin de 2016, le stock des investissements chinois sur le continent s’élevait à 39,9 milliards de dollars. Aujourd’hui, dans cinquante-deux pays africains, les investisseurs chinois ont créé 3254 entreprises.

En 2015, les investissements directs chinois ont chuté sur le continent africain de 19,4%  alors qu’ils s’élevaient, en 2016, à 196 milliards de dollars, soit une augmentation de 34,7%. Tandis qu’à l’échelle mondiale, les idéaux ont accusé un recul de 2%. Avec ces chiffres, on peut voir que nous avons accusé un retard en termes d’introduction des investissements directs chinois en 2016. En effet, depuis 2015, le continent africain a été frappé par la chute brutale des prix des matières premières, surtout du pétrole. Aujourd’hui, on voit des signes encourageants de redressement. Je pense que le forum de Marrakech tombe à un bon moment. Il est temps pour les pays africains de dire et de montrer aux investisseurs chinois les secteurs intéressants.

Au Congo, il y a un projet pétrolier et un autre sur le cuivre dans le département de la Bouenza avec une capacité de production de 15 000 tonnes et un chiffre d’affaires de 80 millions de dollars (plus de 40 milliards de francs CFA). L’Etat congolais s’est lancé résolument dans la voie de la diversification de l’économie. Déjà, ce que la Chine souhaite, c’est d'accompagner le Congo, de faire en sorte qu’il y ait plus de pas en avant. Au lieu d’extraire les minerais, de les acheminer en Chine, China road, un groupe public chinois, a décidé de construire une usine de traitement pour transformer ces minerais en cuivre. Sur cette base, pourquoi ne pas faire venir d’autres investisseurs pour produire des câbles ici, d’autres matériaux qui répondent aux besoins de ce pays et de la sous-région? C’est à partir de cela que prendront les prémices de l’industrialisation.

Il y a aussi un autre investisseur chinois qui a loué des dizaines d’hectares de terre pour cultiver l’acajou dans la Bouenza, dans l’objectif d’en transformer en produits finis et exporter sur le marché international. Toutes ces actions sont à encourager. Je vous encourage d’être présents au forum de Marrakech pour se rapprocher des investisseurs chinois.

L.D.B.: La Chine appuie le Congo dans la mise en œuvre du projet de la zone économique spéciale de Pointe-Noire. Pensez-vous que 2018 connaîtra la concrétisation de ce projet ?

X.H. : La zone économique spéciale est un projet d’importance majeure dans nos démarches de coopération avec le Congo. Mais, la création d’une zone économique spéciale ne pourra jamais se réaliser du jour au lendemain d’un coup de baquette magique. Il faut viabiliser le terrain, faire un bon plan, construire les infrastructures pour que les investisseurs puissent venir pour travailler et faire fonctionner leurs unités de production. Et, tout ce travail prendra du temps. Donc, il faut qu’à travers la presse et notre travail commun, le grand public comprenne ce  que c’est une zone économique spéciale, un parc industriel. Cela ne tombera pas du ciel, c’est un long processus. Mieux le travail est fait, mieux l’effet d’entraînement sera fort. Ce n'est pas seulement en délimitant le périmètre d’une zone que demain les investisseurs arriveront. Il y a tout un tas de travail à accomplir. Il faut former les gens et tout cela repose sur un travail de longue haleine. Mais, il faut essayer de comprendre, d’expliquer, même ici pour réaliser une briqueterie, il y a un cycle de lancement des activités, de préparation du marché.

Dans le cas de la Chine, quand elle a décidé de mettre en œuvre une politique de réformes et d’ouverture sur l’extérieur en 1979, nous avons délimité quatre zones économiques spéciales. Pendant cette année, la ville de Shenzhen était un village de pêcheurs qui comptait quelque centaines de foyers, 4000 pêcheurs. C’est au bout de plus de trente ans que Shenzhen est devenue un poumon économique dans le sud de la Chine, dynamique et abrite plus de onze millions d’habitants. C’est un long processus mais, il faut avoir le courage de faire le premier pas. Il faut être ambitieux, pragmatique et ne pas décourager les gens. Il est temps pour nous de retrousser les manches et de passer à l’action, de travailler durement.

L.D.B.: Depuis quelques années, le président chinois, Xi Jinping, a lancé l’initiative de la route de la soie. En quoi consiste-t-elle ?

X.H. : C’est un plan de développement, parce qu’il y a l’ancienne route de la soie, une route terrestre qui commence à l’est de la Chine, traverse vers l’ouest et une partie de l’Asie pour arriver en Europe. Les premières traces des activités fondées sur la soie en Asie occidentale étaient le fruit de l’ancienne route de la soie. Les premiers articles de porcelaine d’origine chinoise sont arrivés d’abord par la route terrestre et ensuite il y a eu une voie maritime débutant à la partie sud côtière de la Chine pour déboucher sur la Grèce, l’Italie. Aujourd’hui, nous avons l’intention de partager avec tous les pays, non pas seulement ceux se trouvant le long de cette voie maritime ou de cette route. C’est une approche de partage des acquis de notre développement avec les pays qui montrent de l’intérêt de coopérer avec nous. Nous avons beaucoup d’activités industrielles à délocaliser, ce sont des activités performantes qui donnent des produits de pointe. Nous sommes prêts, aujourd’hui, à investir dans ces pays pour partager avec eux nos acquis de développement. Cela s’inscrit toujours dans cette approche de coopération gagnant-gagnant.

L.D.B.: La Chine est le partenaire économique le plus important de l’Afrique. Comment envisage-t-elle d’aider les pays africains à améliorer leur croissance économique ?

X.H.: Le  forum sur la coopération sino-africaine, tenu en 2015, à Johannesburg en Afrique du Sud, avait arrêté des mesures claires. L’industrialisation et la modernisation de l’agriculture figurent parmi celles-ci. En même temps, il faut avouer que les premiers pas ne seront jamais faciles. Quand la Chine s’est lancée sur la politique de réformes et d’ouverture sur l’extérieur, au début, c’était un élan d’amélioration de la croissance très timide. Donc, il faut garder le sang-froid, avoir une capacité de résistance, il faut être patient. C’est au bout de quelques années, d’une ou des décennies d’endurance que nous verrons les résultats plus encourageants. Ceux qui vont réussir seront toujours les pays qui arriveront à garder cette endurance. Les Chinois ont beaucoup travaillé pour préparer la proclamation de la République populaire de Chine. Ils ont beaucoup fait pour préparer la réforme et l’ouverture sur l’extérieur. Ils ont encore beaucoup éprouvé pour recueillir les premiers acquis de cette politique. Tout cela n’est pas tombé du ciel mais repose sur un travail dur.

L.D.B.: Quelles sont, selon vous, les réalisations majeures de la Chine au Congo ?

X.H. : Parmi les projets les plus importants, je pense d’abord à l’éducation, parce que sans former les jeunes, nous ne parviendrons pas à un bel avenir.  C’est pour cette raison que nous avons construit des écoles au Congo. Nous avons beaucoup investi à travers des dons à l’université Marien-Ngouabi avec la construction d’une bibliothèque, d’un centre administratif. C’est toujours pour cette raison que nous accordons chaque année un nombre de bourses important aux jeunes congolais. Chaque année, dans le cadre du forum sur la coopération Chine-Afrique, nous envoyons des centaines de Congolais en Chine suivre des cycles de formation et d’échanges sur tous les secteurs. Si l’année dernière, nous avons accueilli en Chine plus de deux cents agents congolais, l’année 2017 battra le record car à ce jour, plus de quatre cent-cinquante cadres du pays s’y sont déjà rendus pour des ateliers, des symposiums, etc. Dans le cadre de la zone économique spéciale de Pointe-Noire, nous avons accueilli des jeunes congolais pour un cycle de formation de trois mois. Tout cela participe de nos efforts pour préparer l’avenir de ce pays. Parlons de la santé. Sans un tissu sanitaire solide, comment faire évoluer un pays ? Pour cette raison, nous avons construit des hôpitaux ici et envoyons tous les deux ans une mission médicale chinoise à l’hôpital de Mfilou, à Brazzaville, et à celui de Loandjili, à Pointe-Noire. C’est dans la même optique que nous avons dépêché ici un navire hôpital pour accompagner le Congo.  

Nous avons beaucoup construit ici ; certaines constructions datent des années 1970 et 1980. Le bâtiment qui héberge aujourd’hui les deux chambres du Parlement congolais est un exemple parmi tant d’autres. Nous sommes actuellement en train de construire un bâtiment emblématique qui permettra aux membres de l’Assemblée nationale et du Sénat de travailler dans des conditions plus favorables. Tout cela fait partie de nos efforts. Je pense aussi aux projets d’infrastructures: la route reliant Pointe-Noire à Brazzaville. Les mauvaises langues diront qu’il n’y a pas assez de trafic, mais c'est parce que le pays est en train de préparer son décollage économique. Le jour où la prospérité arrivera dans ce pays, ce sera peut-être le moment d’observer l’embouteillage sur ce tronçon routier. Même après la réhabilitation du chemin de fer Congo océan, cette route aura toujours sa place. Le transport route-rail est un bon complément, chacun joue son rôle et met en valeur ses atouts.

L.D.B.: Vous observez la situation socioéconomique et politique au Congo. Quel vœu pouvez-vous faire pour ce pays ?

X.H. : A partir de notre propre expérience, nous croyons toujours à un Etat fort. On ne peut pas imaginer l’engagement dans un processus de développement avec un Etat faible. Même dans le cas des pays industrialisés ou développés, y aurait-il un pays qui serait engagé dans son processus d’industrialisation avec un Etat faible ? Je ne crois pas au libéralisme absolu sur le plan économique. Quand on pratique le libéralisme économique, c’est parce qu’il y a des règles bien établies par un Etat fort et toute l’économie fonctionne dans le cadre de ces règles. L’Etat a travaillé pendant combien d’années pour mettre en place ces règles ? Aujourd’hui, il est temps de réfléchir où se trouve la charrue, où se trouvent les bœufs. Quand on nous propose des remèdes, les Chinois savent réfléchir si ceux-ci répondent à notre propre réalité. Il y a des propositions utiles, il y a celles qui ne répondent pas à notre réalité nationale. Il y a même encore celles qui cachent derrière des intentions inavouées. Donc, c’est à nous de bien réfléchir, de mettre en place une bonne approche de développement qui réponde à notre propre réalité. Je pense que cette interrogation se pose aujourd’hui à tous les pays du monde. Un Etat fort pour assurer une bonne organisation, la discipline. C’est avec un Etat fort que l’autorité s’imposerait. Les concertations sont indispensables, mais il faut qu’elles soient organisées en bon ordre et il faut que l’Etat ait les moyens pour s’assurer que ces concertations se fassent dans l’intérêt général, de développement du pays, à l’abri de l’ingérence et de l’interférence d’origine extérieure.        

Guy Gervais Kitina et Christian Brice Elion

Légendes et crédits photo : 

Xia Huang lors de l'échange avec Les Dépêches de Brazzaville

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