Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin ( 18 )

Jeudi 17 Juin 2021 - 19:57

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18- Les prétendants Gbakoyo et Tabba

Après la reddition du prince nga’Atsèssè en 1913, le boulevard colonial français fut définitivement dégagé entre les rivières Alima et Nkeni. La redistribution des cartes du jeu politique qui suivit fut une habile manœuvre administrative qui résorba rapidement les rancunes. La purge de l’ancienne société renversée par les armes fut avalée sans douleur par la nouvelle élite de l’aristocratie terrienne. Les chefs de terre fabriqués de toutes pièces formèrent un ensemble de colonnes soutenant le fauteuil sur lequel trônait le chef de la subdivision localement appelé « comada » c’est-à-dire le commandant. La redistribution des cartes à des chefs locaux fut la clé de la caution qui donna une légitimité à l’occupation coloniale. Dans la relation politique et administrative du donner et du recevoir, chacun d’eux, le « comada » comme le titulaire du « singa » jouait à merveille son rôle. Ainsi, le jour de la fête du 14 juillet, le chef du « singa » allait parader devant le « comada », lequel en retour descendait de temps en temps prendre un bain de foule, juché sur un palanquin au chef- lieu du « singa ».

Un troisième personnage complétait le paysage que la colonisation venait d’implanter. C’était le milicien. Au départ, recruté parmi les déclassés de la société, le milicien faisant office d’agent de l’ordre fut l’expression concentrée de la dégénérescence morale du colon français comme autorité administrative. Abruti par essence et par définition, il fut l’exécutant de toutes les basses besognes coloniales, l’agent patenté du régime d’exception que fut la colonisation. Dressé en chien de chasse de son maître, le milicien ou « mbolo-mbolo », en général, n’avait pour vocabulaire de la langue française que l’articulation de quelques syllabes apprises du glossaire grossier et raciste de son maître : carapili ( pour crapule), bandit, salaud, individi pour ( individu), macaki (pour macaque), mosse’nji (pour singe), odour ( pour ordurier), etc.

 

Au moment de l’amorce de la pax gallica, l’administration recruta sur place de nouveaux miliciens qu’elle dressa à l’image des étrangers qui avaient terrorisé le pays mbochi pendant la guerre de conquête. A Ngagna-Tsongo, dans la chefferie d’Ondaï Ndola, son neveu Ibara Oka’ndji devint milicien dans ces conditions. Pour montrer qu’il ne blaguait jamais avec les carapilis, celui-ci prit le surnom de Ngaï-Ngaï ( l’Oseille, c’est-à-dire aigre comme l’oseille), puis Mbembé, l’Epervier (le maître des hauteurs qui voit tout). Il ne devait s’assagir que plus tard lorsqu’il devint à son tour le chef de terre, et chef de tribu.

 

A Ossè’ndè dans la subdivision de Gamboma, Kanga Djo’o surnommé Taureau Enrhumé devint Grand notable sous le vocable de Nga’ngalé seigneur d’Akongo. Il fut ceint chef de terre des ba’Mbochis. Quand il mourut, son fils Okandzé Ottaily lui succéda. Sa cour fut l’une des plus prestigieuses de l’époque eu égard à la présence de jeunes poètes et musiciens de talent qui faisaient sa réputation. Des ténors d’Embonga, le folklore en vogue à l’époque, comme Koua Ippouèffè, Aggianga, Nganongo Mahoulou et Ndinga Henri brillaient dans cette cour. Signe des temps, ils étaient tous des miliciens, gens du cru, recrutés à la fin des années 10. Parmi eux servaient des étrangers dont deux vétérans des guerres de 1911, 1912 et 1913. Gbakoyo venait de la Haute-Sangha, dans l’Oubangui-Chari, actuelle Centrafrique. L’autre, Joseph Tagba qu’on transcrira par Tabba était originaire de la ville de Ndongou dans la Likouala, au nord du Congo.

En 1925, sentant l’âge avancé, Gbakoyo et Tabba sentirent chacun le besoin de prendre une femme et de créer un foyer. Au cour de leurs différentes patrouilles dans les villages administrés par Ossè’ndè, ils avaient abaissé leurs regards sur deux jeunes filles du village Bèlet et en firent part à leurs jeunes collègues. Les miliciens locaux furent atterrés par le choix qu’on leur présenta. Les deux demoiselles, objet du feu amoureux de leurs chefs, étaient loin d’être des inconnues dans cette contrée où chaque personne était dépositaire de l’histoire de l’invasion de Bèlet et de ses crimes. Les noms de Mwana Okwèmet, de  Nia’ndinga et d’autres orphelins et orphelines de l’attaque de Bèlet comme ceux de leurs parents faisaient partie de la légende du martyre de la terre mbochie. Gbakoyo et Tabba avaient participé à la tuerie au cour de laquelle moururent, outre le chef Obambé Mboundjè, Okandzé Ngwè et son frère Ngambomi Otsii, le poète Mbella Apendé et son frère Osséré, le couturier Ngakosso Essouhourou et d’autres. Moralement, expliquèrent les miliciens mbochis à leurs deux supérieurs, dans leur coutume, une telle alliance était impie et interdite. En effet, on ne pouvait pas raisonnablement concevoir qu’un meurtrier se maria à la fille de sa victime ! Sur l’instant, Gbakoyo et Tabba invoquèrent la guerre et les ordres qu’ils exécutaient.

Le poète Koua Ippouèffè dont la chanson « la jarre cassée » dédiée aux amours entre le maître des lieux, le prince Okandzé Ottaily et sa bien-aimée Okombi à’Poho faisait un tabac à la cour, intercéda au nom de ses camarades auprès de ces deux chefs afin qu’ils renoncent à leur projet tout en les rassurant de les trouver d’autres épouses ayant des origines tout aussi prestigieuses que celles des deux filles de Bèlet. Il n’obtint aucun résultat, les miliciens venus de l’Oubangui restèrent inflexibles. Alors, on conclut que l’affaire était à leurs risques et périls car, disait-on avec beaucoup de commentaires, il n’y avait pas de doute qu’à Bèlet l’indignation sera à son comble et, les deux prétendants seront éconduits, couverts de honte. (A suivre)

 

 

Ikkia Ondai Akiera

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