Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (20)

Jeudi 8 Juillet 2021 - 21:04

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20- Le bouton doré du veston de Gbakoyo

A la suite des fiançailles de Mwana Okwèmet, la Cour des veuves, quartier de Bèlet dont les chefs de famille  furent décimés par l’invasion de 1911, connut la loi des séries. Jamais 1 sans 2. Nia’ndinga amba Okandzé, camarade de jeu et cousine paternelle de Mwana Okwèmet, à son tour, abaissa son regard sur Gwabira A’ndessa qui ne cessait de multiplier les assauts pour gagner ses faveurs. Nia’ndinga avait le même âge que Mwana  Okwèmet quand elles perdirent tragiquement leur père le même jour, à la même heure. Au cours de la tribulation qui suivit, elle se refugia à Akièley-a-Tsongo dans le clan paternel de sa mère. Comme Lembo’o-la-Mbongo et certaines veuves de la tuerie qui emporta leurs époux, la génitrice de Nia’ndinga avait choisi de rester à Bèlet dans la famille de son défunt mari aux fins de perpétuer la mémoire de celui-ci. Comme Mwana Okwèmet, à l’âge où leurs camarades d’enfance étaient depuis longtemps des femmes au foyer encombrés d’enfants, Nia’ndinga continuait de vivre avec sa mère et semblait se consacrer à une vie de célibat que certains signes annonçaient. Quelques jours après la rupture par Mwana Okwèmet devenue Ngalefourou-l’Obambé de ce qui s’interprétait déjà comme un vœu de célibat, Gwabira submergea la digue de Nia’ndinga et s’engouffra dans son cœur. Dans le village la clameur publique abondait en commentaires laudateurs. On y lisait le signe d’un destin qui se perdait en mille conjectures. Les deux filles étaient nées à une semaine d’intervalle ; leurs pères étaient des cousins ; ils moururent assassinés le même jour, à la même heure, au même endroit ; leurs mères gardaient pieusement le souvenir de leurs époux ; en dépit de multiples prétendants, elles avaient chaque fois ajourné la décision de convoler en de justes noces ; or, voilà qu’à 21 ou 22 ans, comme par hasard, toutes les deux acceptaient, enfin, l’une après l’autre de devenir des épouses. On y voyait un signe du destin : les deux filles furent déclarées des jumelles et des voix s’élevèrent pour que leurs mariages furent célébrés le même jour, l’endroit ayant été déjà fixé par la proximité des familles dont les maisons étaient situées face à face.

Mais, bientôt cet enthousiasme allait être fortement contrarié. Le destin s’acharnait sur Bèlet qui n’avait pas encore fini de payer les conséquences de l’invasion française. Après que les pères furent tués, victimes innocentes une décennie et demie plutôt, les enfants furent désillusionnées jusque dans le choix de leur amour. En effet, à Ossè’ndè, les évènements se précipitèrent. Les miliciens Gbakoyo et Tabba se gaussèrent bruyamment de leurs subalternes locaux. Ils ne tinrent pas compte des conseils de prudence de ceux-ci. Après mille et une objurgations, toutes vaines, les unes comme les autres, Koua Ippouèffè et ses camarades ne se doutaient pas un seul instant du cuisant échec qui menaçait le projet de leurs deux chefs de demander Ngalefourou l’Obambé et Nia’ndinga amba Okandzé en mariage. Ils se trompaient ! Gens du cru, en dépit de leur embrigadement comme milicien dans la nouvelle administration coloniale, leur ressort mental n’avait pas changé malgré les excès de violence auxquels ils s’adonnaient dans certaines situations. A l’article lié à la question de la légitimité,  de la légalité, voire de la morale, ces miliciens mbochis voyaient les choses selon le dispositif coutumier. Mais, surtout, ils ne se situaient pas sur l’échelle des temps et des circonstances dans lequel ils vivaient. Ce qui n’était pas le cas des étrangers Gbakoyo et Tabba. En effet, arrivés d’outre-mer, fleuves et rivières par la voie de la violence, ils savaient qu’ils ne pouvaient prospérer que par l’exercice de la violence envers et contre tous, y compris dans l’examen des plis et replis des délicates questions affectives. Ils se moquèrent bruyamment de Koua et ses camarades.

Un jour, Gbakoyo invita Ngalèko’o alors qu’il était à table en compagnie de son adjoint Tabba. Il arrosa son repas avec du vin rouge ramené de Gamboma, éternua gravement, se mit debout et pria Ngalèko’o de débarrasser la table, cependant qu’il arpentait d’un pas lourd la véranda qui tenait lieu de salon. Il tendit la bouteille et sa lie à Ngalèko’o, prit son veston accroché à la chaise et, sortit suivi des deux autres miliciens. Dans la périphérie de sa maison, des miliciens s’affairaient. Il ordonna de les rassembler, se mit au milieu d’eux tenant toujours Ngalèko’o armé de la bouteille de vin vide. Il prit sa veste, compta ses boutons dorés et en fit part d’une voix forte à ses subalternes qui ne comprirent pas où il voulait en venir. L’instant d’après, Gbakoyo sortit un rasoir de sa poche et arracha un des boutons de son veston. Il le tint entre le pouce et l’index de sa main droite et le promena devant les miliciens incrédules. Se tournant vers  le milicien Ngalèko’o et sa bouteille vide, Gbakoyo dit d’une  puissante voix comme s’il hurlait :

  • Ngalèko’o, Iwandza, Ndjoli, Oshoèshoè, vous demain partir Bèlet prendre femmes à moi et Tabba.  Ngala Anna, femme à moi et, Nia’ndinga Anna, femme à Joseh Tabba ! Toi Ngalèko’o montrer bouton or de chef Gbakoyo. Chef Gbakoyo veut pas guerre, chef Tabba veut pas guerre. Eux donner femme Ngala Anna et Nia’ndinga Anna sinon guerre commencer encore à Bèlet !

Il dit, fit miroiter le bouton doré sous les yeux de Ngalèko’o et d’un geste spectaculaire le poussa en rugissant :

  • Toi amener deux Anna tout suite !

Mwana Okwèmet devenue Ngalefourou l’Obambé avait été recensée à l’état-civil sous les noms et prénoms Ngala Anne, tandis que Nia’ndinga se vit affublée le même prénom Anne.  Ce premier recensement entraina de nombreuses confusions dans la transcription des noms et la dévalorisation des prénoms mbochis. Ngala et Nia’ndinga, deux prénoms féminins devinrent des noms propres en lieu et place de leurs patronymes.

Le jour suivant, Ngalèko’o arriva à Bèlet dans l’après- midi à l’heure du retour des champs. Il prit place avec ses camarades à la véranda d’Ibara E’Guéndé. Ayant soupçonné une affaire importante dans le propos que s’apprêtaient à lui délivrer les miliciens, il se fit assister par ses cadets et d’autres gens de son milieu. ( à suivre)

 

Ikkia Ondai Akiera

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