Interview. Do Nsoseme : « Les gens sont jugés à leur apparence »

Mercredi 14 Juillet 2021 - 19:51

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La photographe a emprunté l’expression « Grand Prêtre Mère » au jargon kinois en l’attribuant à sa série de cinq photos de dames photographiées en costume. Ce faisant, elle veut qu’à ces femmes, dont les petits commerces font vivre les foyers, l’on concède respect et considération comme c’est le cas pour l’homme ainsi vêtu à Kinshasa. Au Courrier de Kinshasa, la photographe partage le constat que le port vestimentaire d’une personne contribue à l’identité ou la qualité qu’on lui confère. Pris à témoin, son objectif a permis de mettre en avant cet autre genre de "Grand Prêtre Mère" que l’on devrait valoriser à sa juste valeur dans la société.

La Grand Prêtre Mère vendeuse d’extensions (mèches), épouse de professeur (DR)

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Qu’est-ce donc Grand Prêtre Mère, pourriez-vous nous l'expliquer  ?

Do Nsoseme (D.N.)  : Grand Prêtre Mère est un projet photographique qui questionne la relation entre le vêtement et l’identité de la femme. Il a été réalisé dans le cadre du projet d’exposition « Kinshasa 2050 : les femmes d’abord », initié par l’Institut français de Kinshasa et le Goethe-Institut de Kinshasa en 2018. À Kinshasa, comme dans la plupart des villes, les gens sont jugés à leur apparence. La notion d’apparence se rapporte très souvent à ce que l’on porte comme vêtement, ce que l’on exhibe comme accessoires pour accompagner sa tenue. La personne qui regarde une tenue, attribue à celle qui la porte une identité ou une qualité.

Dans une agglomération telle que Kinshasa où plusieurs foyers survivent grâce à l’apport des femmes sans que celles-ci soient reconnues à leur juste valeur, je me questionne sur la relation entre le vêtement et l’identité de la femme. Le vêtement n’est pas qu’une simple protection ou une manière d’embellir le corps, il a également une valeur culturelle et idéologique. Chaque société l’insère dans son système de valeur et le consacre comme réservé à certains groupes, pour quelques sortes de vêtements. Le costume est un vêtement d’homme imposant un certain respect pour celui qui le porte. En convaincant des femmes qui travaillent dans l’informel de porter des costumes empruntés à leurs maris pour se rendre à leurs occupations respectives et à poser face à mon objectif dans leur environnement quotidien, je questionne la liberté de costume et les valeurs culturelles, idéologiques et consacrées du vêtement, imaginant une société libérée des carcans vestimentaires.

 

L.C.K. : Pourquoi le titre Grand prêtre mère  ?

D.N. : Parce que Grand Prêtre Mère dans le jargon kinois signifie femme chef, femme riche, patronne, etc. C’est en tout cas un titre que les jeunes donnent à des femmes fortunées et qui ont, selon eux, de la valeur dans la société. Ce terme est également utilisé pour désigner la femme légitime d’un homme, par opposition à la concubine.

L.C.K. : Quelle était votre motivation à la base de la réalisation du projet ?

D.N. : Ma motivation était la grande question : comment montrer aux gens de ma société et au monde entier que les femmes, ces Congolaises, apportent beaucoup à leur foyer et à la société à travers leurs efforts au quotidien ? Comment faire pour qu’elles deviennent visibles aux yeux de tous ?

L.C.K. : Quel a été le moment fort de la réalisation ?

D.N. : Le projet écrit et conçu, il fallait donc trouver des femmes qui allaient accepter de poser, ce n’était pas facile du tout. Ma mère m’a beaucoup aidée, elle m’a mise en contact avec des femmes et puis c’était parti. Un autre moment, c’est quand un monsieur a encouragé son épouse à porter son costume alors qu’elle hésitait à le faire.Une Grand Prêtre Mère accoudée à son étal dans la rue devant un portail (DR)

L.C.K. : Pourriez-vous nous parler brièvement des difficultés rencontrées  ?

D.N. : Ce n‘est pas toujours facile de convaincre une personne de poser devant votre objectif, en plus si elle doit arborer un code vestimentaire appartenant au sexe opposé. Les femmes hésitaient énormément, mais elles ont fini par accepter de le faire. Il y avait également beaucoup d’appréhension au sujet de l’utilisation de leurs images, et il fallait rassurer qu’elles ne seraient utilisées que dans le cadre du projet.

L.C.K. : Une anecdote particulière à partager d’un épisode qui vous a marqué  ?

D.N. : La femme qui pose à côté des mèches à tisser a un mari professeur qui l’a beaucoup encouragée à le faire. Elle avait honte et hésitait quand je lui ai expliqué qu’elle devrait porter le costume de son mari. Elle a bien voulu jouer le jeu par la suite parce que son mari l’avait encouragée à le faire et dit qu’il appréciait bien le projet.

L.C.K. : Quelle était la réaction la plus étonnante, inattendue de la part des hommes ( l’un d’entre eux) ?

D.N. : Lorsque l’époux de la dame qui a posé devant le portail avec la mention « Cette parcelle n’est pas à vendre » a vu la photo de sa femme, je leur avais remis un exemplaire à chacun, il a dit : «  Oyo vraiment Grand Prêtre Mère ! », c’est-à-dire voilà une véritable Grand Prêtre Mère.

 

 

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : La Grand Prêtre Mère vendeuse d’extensions (mèches), épouse de professeur (DR) Photo 2 : Une Grand Prêtre Mère accoudée à son étal dans la rue devant un portail (DR)

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