Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (22)

Vendredi 23 Juillet 2021 - 13:27

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel

22- Le salaire de la peur

Ngaleyko’o n’avait pas fini de proférer ses menaces que déjà sa voix fut couverte par un brouhaha de vociférations. Comme une houle marine, indignation et colère montèrent des poitrines, s’infiltrèrent à travers des gorges et s’abattirent comme des rafales de gouttes de pluie sur les miliciens pris à partie par l’assistance. Les hommes étaient tout aussi furieux que les femmes, lesquelles, debout ou en mouvement, se désespérèrent sur le sort de Bèlet. Particulièrement visées, Lembo’o-la-Mbongo et Mwabouéré amba Djèli, la mère de Nia’ndinga poussèrent des cris de douleur comme si un métal tranchant les avait subitement transpercées. A présent, les deux femmes et leur compagnie poussaient des cris et couraient désespérées dans la cour du village. Lembo’o invoqua son défunt époux :

  • O ! léopard tacheté aux crocs redoutables :
  • Viens, o ! spectre, viens ! les assaillants sont de retour ;
  • Viens, O ! spectre, viens nous délivrer de cette humiliation ;
  • Comment ! le meurtrier du père se délecte de sa barbarie devant les enfants de sa victime ;
  • Comment ! Le meurtrier exige comme épouse la fille de sa victime !
  • O ! spectre, o ! sacrilège. O ! Mboundjè-o-Bèlet, Viens, o ! spectre, viens, O ! Héros, viens et vois
  • Le trou insondable de notre humiliation.

Entretemps, dès la fin de l’exposé de Ngaleyko’o, le patriarche E’Guendé, le visage sévère marqué par un rictus avait levé la séance.  Selon la procédure des débats, il devait avant d’esquisser toute réponse consulter les siens derrière la maison et porter l’opinion retenue devant tout le monde.

Etumba Omba’ndza, encore appelé Etumba-la Ngoungou, neveu d’Obambé Mboundjè réputé pour sa ténacité resta égal à son tempérament :

  • Depuis la mort de Mboundjè-o-Bèlet, avons-nous été servi autrement que par ce qui nous arrive aujourd’hui ? Car, le vide laissé par le héros a révélé à toute la terre qu’il était seul au milieu des couards et des hypocrites. Il était l’arbre qui cache la forêt. Vous êtes indignés, j’en conviens parce que nous sommes touchés de plein fouet mais, ces humiliations vous le savez ne datent pas d’aujourd’hui. Nous sommes toujours prompts, entre nous, aux pires excès, à l’agressivité sauvage, quand il ne s’agit que de peccadilles. Nous sommes amorphes et tétanisés quand il s’agit de nous défendre face à une agression extérieure. Montrez-moi le héros qui s’est jeté sur ces Chéchias rouges quand ils violent nos femmes, quand ils ravissent nos femmes, quand ils nous enchaînent et nous traînent nus, la corde au cou comme de vulgaires bêtes vers des lieux de travaux forcés et autres tortures. Quand ils nous passent à tabac devant femmes et enfants en pleurs alors que le village cloîtré dans la lâcheté regarde impuissant le martyre de ses enfants.

Il s’interrompit, scruta les visages aux mâchoires cadenassées par la colère qui buvaient ses paroles. Il se sentit poussé des ailes.

  • En vérité, en vérité, les Gbakoyo, les Tabba, et tous les consorts savent que nous ne sommes qu’un tas de poltrons, de couards, de lâches incapables de faire le moindre mal à une mouche. Il y a quatorze ans, ils ont inoculé dans nos veines l’effroi, nous tremblons, nous sommes terrorisés maintenant par leur apparition. C’était écrit, tôt ou tard, nous devrions payer les conséquences de cette peur. Et, je vous le dis, et, je le jure par le pagne inviolable de ma sœur, je le jure par Osseré-o-Ngwaka, l’humiliation est le salaire de la peur. Nous sommes devenus des esclaves parce que nous avons peur des Mbolos-Mbolos. Devrions-nous encore nous étonner si Ngalefourou l’Obambé et Nia’ndinga amba Okandzé sont en voie d’être enlevées à leurs légitimes fiancés alors qu’elles sont sous la garde des parents en attendant le jour de leurs noces !

Etumba-la-Ngoungou était le gardien de la maison d’Obambé Mboundjè et le père foncier de ses enfants. Si E’Guéndé disposait de l’autorité patriarcale comme héritier du père, c’est le neveu utérin de ce dernier qui détenait les clés du pouvoir foncier de son oncle et l’attribuait en cérémonie officielle au remplaçant du père. Etumba était connu et respecté pour sa bravoure. Il avait participé aux côtés du prince nga’Atsèssè au maquis d’Assonni et, avait signé la capitulation à Pombo sans cesser d’être subversif. A la fin de son harangue, chacun avait compris : Bèlet devait vaincre la peur, et éviter une nouvelle humiliation. Si jadis, les pères furent tués et  le village dispersé sans combat, des années après face à une nouvelle agression, Bèlet ne devait pas tolérer l’enlèvement de ses filles sans réagir.

Lorsqu’E’Guéndé reprit la parole, ce fut pour appuyer son cousin. Il fallait se saisir des douze miliciens, les garder en otages et exiger de les échanger contre le renoncement de Gbakoyo et Tabba de mêler leur sang avec celui des filles de leurs victimes.

Ce plan avorta et ne connut pas un début de commencement. Ngaleyko’o et ses hommes n’attendirent pas le retour d’E’Guéndé et les siens. Alertés par les cris et les pleurs des femmes, des habitants d’autres quartiers accoururent et menacèrent de s’en prendre aux miliciens. Ngaleyko’o réagit avec fermeté. Ayant regroupé ses hommes, il menaça de tirer dans la foule si elle ne se dispersait pas. Quand E’Guéndé, Etumba-la-Ngoungou, Dimi Lemboffo et les autres revinrent au lieu de la palabre, la tension était déjà vive. Les miliciens regroupés dans la cour, le doigt sur la gâchette étaient en position de combat. Sans débander sa troupe, Ngaleyko’o interpella vivement le patriarche :

  • Ibara E’Guéndé, je vous rappelle que nous ne sommes pas venus négocier. Nous sommes venus prendre les femmes de nos chefs, nous avons apporté la dot. Or, j’apprends qu’à la place de notre pacifique démarche, vous voulez nous opposer la violence. Je ne discute plus avec vous. Je vous laisse, maintenant, le choix de la paix ou de la guerre. (à suivre).
Ikkia Ondai Akiera

Notification: 

Non