Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (29)

Vendredi 1 Octobre 2021 - 14:00

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-La maladie de Gbakoyo

Parmi les personnes raflées à Ibo-la-Mbouandé se trouvait Ngatshono Ngassy, un grognard qui trouvait toujours à redire, geindre, protester et se répandre en jérémiades à longueur de journée. Dans le village, cette qualité lui avait valu un surnom. On l’appelait I’Niami I’Toungou, c’est-à-dire le grognard, dont la traduction littérale est Folie avortée.

Au cours du trajet qui l’amenait avec les autres prisonniers, la corde au cou, vers Ossèlè, il ne cessa de grogner. Quand Gbakoyo s’aperçut qu’il fallait revêtir les prisonniers pour ne pas essuyer les fureurs du commanda, Folie avortée refusa de reprendre son pagne. Il prit à témoin Kassambé et ses compagnons de voyage tout comme des passants se trouvant à l’entrée de la passerelle qui enjambait Bofor. Il les interpella.

  • Paraît-il que nous sommes des hommes-léopards, des fous à lier, raison pour laquelle nous sommes ligotés et traînés comme des bêtes. Puisqu’il en est ainsi, pourquoi nous revêtir maintenant alors que nous venons de traverser plusieurs villages nus comme des vers ?  Le commanda et les habitants d’Ossèlè seraient-ils les seuls habitants de cette contrée qui prendraient la fuite à la vue de notre nudité ?

Kassambé jeta un regard outragé en direction de son beau-frère. Gbakoyo pipait déjà des mots mbochi sans parler cette langue. La résistance et la revendication de Folie avortée l’avaient rendu furieux. Il menaçait de le jeter dans la rivière quand Kassambé intervint en faveur du grognard. Il convainquit son beau-frère qu’il venait de commettre un sacrilège qui lui porterait malheur si jamais Folie avortée finissait sa vie noyée dans la rivière. Celui-ci retrouva sa liberté non sans proférer des malédictions contre le milicien. Plus tard, dans sa vieillesse, Kassambé se rappellera de son voyage à Ossèlè en s’indignant du cruel outrage que le ravisseur de sa cousine avait infligé aux habitants du village Ibo-la-Mbouandé.

Les premières années de l’enfance de la petite Lucie furent aussi les plus heureuses du couple que formaient Gbakoyo et Mwana Okwèmet. La jeune mère de famille assumait entièrement son destin au milieu d’autres femmes dont l’histoire de la présence auprès des miliciens se ressemblait plus ou moins à la sienne. Les campagnes militaires auxquelles participa Gbakoyo, commando de choc, ballotèrent Lucie et ses parents de ville en ville. Après Ossèlè, Mwana Okwèmet et sa famille atterrirent successivement à Owando, à Liboka auprès du chef Etema-Béa, à Gamboma et à Djambala.

En 1935, Lucie, unique enfant de Ngala Anne et Gbakoyo, était devenue une gamine de neuf ans tendrement choyée par ses parents. La famille se trouvait à Djambala. Dix ans s’étaient écoulés depuis que Mwana Okwèmet n’était plus revenue dans son village. Elle obtint de son compagnon l’autorisation de rendre visite à sa mère et fit le voyage de Bèlet. Elle retrouva la plupart de ses frères vivants. E’Guendé avait pris de l’âge, l’athlétique Lemboffo toujours obscène était devenu une légende vivante du folklore mondo et continuait de déplaçer des foules. Le vieil Ikama Oyélé, dont la préparation psychologique l’aida à marcher vers son destin, s’était déjé éteint. Mwana Okwèmet quitta son village le cœur serré, affectée par la solitude dans laquelle se retrouvait abandonnée sa mère.

Le destin frappa de nouveau à sa porte après son retour à Djambala. Gbakoyo fut victime d’une attaque cardio-vasculaire qui paralysa la mobilité du colosse baya. Mwana Okwèmet fut prise de panique. Dans son esprit, cette maladie ne pouvait pas tomber plus mal. En effet, en dépit des apparences, le couple Gbakoyo et Ngala Anne traversait de temps à autre de fortes zones de turbulences. L’attente d’un second enfant qui semblait de plus en plus vaine, au fur et à mesure, que Lucie prenait de l’âge fut un sujet récurrent de querelles au sein du couple. On se rejetait, à tour de rôle, la responsabilité de l’échec sur l’autre. Au-delà des vicissitudes quotidiennes de la vie du couple, cette maladie était lourde de conséquences tant pour Mwana Okwèmet que pour Gbakoyo. D’une part, dans ce couple créé par la force des armes, et privé de légitimes assises, un passé fait de frayeurs et d’intimidations menaçait de resurgir à chaque instant. Le baume apporté par la présence de la petite Lucie maintenait une apparente cohésion traversée des deux côtés par de sordides calculs sur l’exclusivité de la garde de l’enfant en cas de coup dur.  D’autre part, à 33 où 34 ans, l’avenir immédiat de Ngala Anne, femme et mère, était menacé de s’obscurcir si, par malheur, elle devenait subitement veuve. ( A suivre)

 

 

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Ikkia Ondai Akiera

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