Les souvenirs de la musique congolaise : rivalité entre les orchestres Bantous de la Capitale et le Peuple du trio Cépakos

Vendredi 15 Septembre 2023 - 13:12

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L’année 1972 fut marquée par l’âge d’or du groupe emblématique les Bantous de la capitale et son implosion en trois groupes : Bantous, Nzoï et le Peuple du trio Cépakos (Célestin, Pamélo Mounka, Kosmos). A la suite de cette implosion, une rivalité s’installa parmi les trois têtes de l’hydre Bantous. La rivalité la plus marquée fut celle qui naquit entre les orchestres Bantous et le Peuple.

Aux lendemains de la dissidence de l’orchestre Bantous en novembre 1972, entraînant ipso facto la création des orchestres Nzoï composé d’Edo Ganga, Bitsikou Théo, Mpassi  Mermans et autres, et le Peuple par le trio Célestin Kouka, Pamelo Mouka et Mountouari Côme Kosmos, l’on assista non seulement à une scission parmi les fans et supporteurs en trois groupes mais aussi au sein de la crème mondaine des ambianceurs de Brazzaville, deux tendances les plus remarquées dont l’une continua de soutenir l’orchestre Bantous et une autre jeta son dévolu sur l’orchestre le Peuple.

Au plan artistique, les Bantous de la capitale ayant perdu toute leur pléiade de chanteurs, en l’occurrence Edo Ganga, Kouka Célestin, Pamelo Mouka, Bitsikou Théo et Kosmos Mountouari, recruta des jeunes chanteurs les uns après les autres, Roger Pikou, Brazz Antonio, Simon Mongouani et Lambert Kabakou, encadrés par des instrumentistes hors pairs restés solidaires à Nino Malapet et Essous entre autres, Gerry Gérard, Samba Mascot, Alphonse Ntaloulou (guitaristes), Arthur Nona (saxo) et Kabongo Wetu (trompettiste).

Des artistes talentueux Kimbolo Clotaire, Louis Marie Awe, Moïse Malonga, Mavoungou MAV, Sam Zoubabela (chanteurs), Mahoungo Lucky, Michel Moumpala, Mienanzambi, alias Mimi mwana pose, Antoine Manana (guitaristes), Gabriel Nanitouma (tumbas), Hernest Massengo Bigs (drum), Samuel Malonga, alias Samy, trompette (trompettistes), Sita Sitos, Simon Dénis, Abel Malanda, Paul Mayitezo, Paul Ngamissango (saxophonistes) composent l’ossature de l’orchestre et naviguent allègrement dans le navire le Peuple, orchestre nouveau-né dans la galaxie musicale congolaise.

Sur le marché du disque, des titres phares produits par l’orchestre le Peuple font tabac et connaissent un succès fulgurant.  On peut citer « Tosaka mateya », « Kouka ba dia nséké » de Célestin Kouka, « Alléluia Mounka », « Louisie » et « Conscience » de Pamelo Mouka, « Vie Privée », « Kamwiya », « Conseil gratuit » et « Mila » de Kosmos furent les détonateurs de l’envolée de l’orchestre le Peuple vers les sommets de la musique congolaise, œuvres dont les médias en firent un large échos .

Sous la férule de Nino Malapet et Essous Jean Serge, les Bantous résistent ainsi pour contrer l’offensive des dissidents. Ils mettent sur le marché quelques titres parmi lesquels « Isabelle mwana Kin » de Pambou Tchico, « Bongo » d’Essous « 3ss », « Gina mwassi ya Nkoyi » de Samba Mascot « Fema » de Nona Arthur sans oublier la brillante interprétation d’El Maniciero par le virtuose de la salsa José Missamou et « Nkoumbi Nzila » de Gérry Gérard.

Au fil des mois, une rivalité s’installe, la guerre fait rage entre les deux orchestres qui se disputent l’apothéose en toute musicalité à travers les diatribes (mbuakela ou mbokela en lingala) qui signifie adresse à quelqu’un par le biais d’une chanson ou par des inventives, exemples « lettre ouverte » de Kosmos et ‘’Zala reconnaissant’’ de Nino  Malapet. Ladite guerre fut également alimentée par des polémiques interminables de tout genre entre les fans et supporters des deux camps, tchiatchibi ! tchiayala ! terrible ! fut le cri de guerre de l’orchestre le peuple, et loketo chaud ! loketo mba ! du côté des Bantous.

Il sied de noter que deux faits saillants illustrèrent aussi la rivalité entre les deux groupes que les mélomanes vécurent à une certaine étape du parcours des deux orchestres. Le premier remonte à l’occasion de la foire de Brazzaville organisée en juillet 1974 dans l’enceinte de l’Ecole la Fraternité où deux stands furent érigés l’un par la société Primus et l’autre par Kronembourg (deux brasseurs de bières concurrents du Congo à l’époque). Les deux ensembles se produisaient au même moment chacun sur son stand. La tension était vive au regard de l’animosité qui régnait entre les deux groupes et qui fut alimentée par les commentaires et polémiques des fans des deux orchestres.

Le deuxième fut enregistré vers la fin de la même année. En effet les deux orchestres furent invités à agrémenter une cérémonie organisée par les douaniers congolais au Mess-Mixte de Garnison qui fut pris d’assaut par les douaniers et amoureux de la bonne musique. Une tension entre les deux groupes résultant d’une dispute sur le tour de rôle et de la durée de la prestation de chaque groupe fut observée.

Ce climat devint encore plus malsain  à cause de l’accident de la route dont l’orchestre le Peuple fut victime à son retour de Kinkala où il alla agrémenter la cérémonie marquant le 10e anniversaire de l’Union révolutionnaire des femmes du Congo (URFC) le 8 mars 1975, accident qui ne fut pas un hasard pour certains, et qui inspira Kosmos à produire le titre « Accident ya peuple ».

Au cours de l’année 1979, l’orchestre le Peuple connut un déclin à la suite de certaines tensions et des départs de certains musiciens, notamment la défection de Pamelo  Mounka qui regagna l’orchestre Bantous et qui fut considéré comme une trahison par certains supporters et fans. Le désintéressement de Kosmos aux activités de l’orchestre et qui opta pour une carrière en solo, la désertion d’une frange des musiciens vers les orchestres corporatifs (hydro music, télé music, et la Fanfare militaire) où une prise en charge (salaire) leur fut assurée chaque fin du mois.

De ce qui précède et nonobstant l’arrivée d’Edo Ganga, Ange Linaud et autres musiciens qui apportèrent un vent de fraîcheur dans le groupe, l’orchestre le peuple, après avoir vécu une période des vaches maigres, sombra et disparut dans le paysage musical congolais au cours de la décennie 1980.

Auguste Ken Nkenkela

Légendes et crédits photo : 

Les deux orchestres/DR

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