La retraite : le début de la fin ?

Vendredi 23 Août 2024 - 15:09

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Débat de société dans plusieurs pays du monde prêtant parfois à la virulence et suscitant toutes les hantises, la retraite, si d'aucuns la recherchent et d'autres la rejettent, reste problématique pour tous. En elle-même, elle questionne sur le sens qui a été donné à une vie et ce qu'elle devient le jour où l'activité qui en faisait toute la consistance arrive à son terme.

 

 

L'âge du départ pour la retraite et ses modalités ont toujours fait partie du débat sociétal. Ne dit-on pas que la fin d'une chose vaut mieux que son commencement ? En effet, si les débuts sont toujours cousus de la fierté et de l'enthousiasme d'une nouvelle situation, la fin de carrière témoigne sur la qualité du service rendu à l'altérité, les défis et les challenges que l'on a relevés, les privilèges auxquels on a accédé, le témoignage qu'on aura laissé et, enfin, si l'on sort oui ou non par la grande porte, en toute noblesse, sans s'inquiéter de l'avenir puisqu'il devient présent et nous questionne.

En cela, la fonction publique, en ce qu'elle présente de rassurant dans une intégration dans ses services, est le domaine où la question de la retraite se montre le plus souvent critique d'un point de vue pratique et psychologique. La sécurité du salaire, sa régularité, les primes et avantages secondaires laissent la place à l'inquiétude de la disponibilité des cotisations de sécurité sociale, à leur régularité, du niveau de vie qui va changer à coup sûr si on ne s'est pas suffisamment préparé. Faut-il encore pouvoir s'y préparer?

Pour une moyenne de 30 ans d'activité, dont la plus grosse part va au temps de travail, les vacances et les congés étant relativement courts sur le cycle d'une année, le double emploi ou l'investissement dans une entreprise personnelle nécessitant toujours un jonglage pas toujours aisé et une délégation de tâches qui ne l'est pas plus, le niveau de vie auquel il est si facile de s'habituer selon sa condition et auquel il devient très difficile de renoncer par la suite, le coût de la vie en lui-même s'en allant toujours croissant, les obligations morales envers la famille restreinte, la famille élargie et la vie communautaire font qu'en fin de compte, même avec la plus forte des volontés et discipline de santé financière, investir dans sa retraite reste toujours de l'ordre de l'hypothétique ou de la formation financière rigoureuse, si le temps, la persévérance et la présence d'esprit s'y prêtent.

Le train de vie en lui-même, le rythme du quotidien, font que les jours se suivent, les semaines s'enchaînent puis les mois et les années sans que la retraite n'ait été sécurisée.

Et si les prélèvements à la source de la Caisse de sécurité sociale se font, il suffit parfois d'un regard vers ceux qui nous ont précédés pour comprendre pourquoi ce moment est tant redouté. Au rythme de la gestion de la chose publique arrive la pension de retraite, et si les valides en âge et en santé physique ont tous leurs réflexes pour assurer leur survie, ce n'est pas le cas des personnes retraitées qui, si elles jouissent encore de la validité de leur état physique, ont déjà reçu le coup moral d'être arrivées en fin de parcours, en fin de cycle, et se disent que plus que le reste de la population générale, le temps leur est compté.

L'activité est le bien le plus précieux de l'Homme, et sans elle, il dépérit à vue d'œil. Certains s'échappent alors entiers dans leurs rôles de papy ou de mamie, contents de pouvoir prendre soin de leurs petits-enfants jusqu'à ce que ces derniers trop précoces, trop nombreux, trop énergiques, trop bruyants, trop tout, les agacent de trop. Et puis d'abord, " pépé ", " mémé ", ce n'est pas un travail, c'est " vieillissant " à souhait, ça rappelle l'horloge suspendue au-dessus de la tête et ce n'est pas aussi valorisant qu'une reconnaissance sociale.

D'aucuns vont à la gestion d'affaires trop longtemps mises de côté ou déléguées à d'autres, à des étrangers ou à certains de leurs rejetons propres ou autres membres de la famille plus large pour se rendre compte, le cœur dans tous ses états, qu'ils n'ont plus l'énergie nécessaire à ces entreprises qui ont souvent une exigence physique difficile à tenir quand on a prêté sa santé à un système étatique, privé ou paraétatique toute une vie durant, ou que c'est un travail à part entière qui exige d'eux une certaine remise à niveau qui égratigne leur ego ou que les délégués dûment choisis par leur conseil intérieur pour gérer leurs affaires en leur absence sont devenus des chefs d'un territoire qu'ils peinent à reconquérir, annonçant une cogestion difficile ou tendue, occasionnant par là même des froids, des conflits, des querelles, des bras de fer dont ils n'ont plus ni la force ni l'âge, encore moins la volonté ni même la folie et qui donne le lit à des problèmes de santé qui n'existaient pas auparavant.

D'autres enfin vont oser regarder, une dernière fois peut-être, ces rêves profondément endormis, parce que la vie ne leur aurait pas laissé le temps, ne leur aurait pas offert l'occasion de les poursuivre. S'il leur semble, de manière tout à fait pratique, impossible de racheter le temps, ils se contentent des beaux souvenirs que la vie leur aura tout de même offerts, projetant à la manière d'une bouteille à la mer leurs rêves sur leurs petits-fils et petites-filles, ignorant qu'ils auront ou ont peut-être déjà les leurs propres, ou au pire des scenarii deviennent amers, aigris, de se voir si diminués par la vie, par la société après tous les services rendus alors qu'ils auraient pu, dans le meilleur des mondes, s'accorder une vie sabbatique et dans un possible des mondes, par une petite fenêtre de folie ou de courage, de sacrifices et de renoncement, s'accorder la vie de leurs rêves.

Dans tous les cas, tous font le point, font des transmissions, positives ou un peu moins, laissent un témoignage, un héritage tangible et invisible et au mieux des repères pour leurs descendants de coeur et de sang et se contraignent à des vacances qui ont tout l'air d'être forcées et pas bien payées, si elles ne sont pas payées du tout.

La meilleure façon de partir serait sans doute d'être entouré de la présence et de la reconnaissance des siens, en ayant joué son rôle à la perfection, accompli sa mission tant en famille qu'en société, bon gré malgré les erreurs de parcours qui ont jalonné sa vie et forgé son identité, dans la préservation de la dignité qu'on a construite une vie durant et en laissant un héritage qui ne se perdra pas dans le sable et les tempêtes de la vie.

Mais dans un monde où tout bouge perpétuellement et où tout le monde court, serait-il possible de prendre sa retraite sans avoir l'impression d'être laissé sur le bas-côté de la vie ?

Princilia Pérès

Légendes et crédits photo : 

Photo: retraité/DR

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