Etats-Unis/Russie: vers la normalisation?

Samedi 22 Février 2025 - 16:00

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Alors que les deux pays ainsi que leurs dirigeants se regardaient en chiens de faïence depuis trois ans du fait du conflit en Ukraine et même avant, les Etats-Unis d’Amérique et la Fédération de Russie se parlent à nouveau. Assez franchement.

Le 12 février, les présidents américain, Donald Trump et russe, Vladimir Poutine, ont eu un entretien téléphonique d'une heure et demie. Le 18 février, un premier contact physique a eu lieu à Riyad, en Arabie Saoudite, entre le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio et le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, en présence de conseillers spéciaux des deux chefs d’Etat. Pour les observateurs, il n’y a pas de doute : Washington et Moscou sont sur le point d'approfondir ces échanges de haut niveau pour dégeler leurs relations. Quelles peuvent être les retombées de ce déclic entre les deux puissances nucléaires sur la marche du monde ?

À grande vitesse

Du 20 janvier, jour de son investiture, au 12 février, jour de son premier échange téléphonique avec son homologue du Kremlin, le chef de la Maison Blanche a réalisé un tour de force politique, diplomatique et stratégique dont on ne peut encore à ce jour quantifier toutes les retombées. En bien ou en mal les commentaires s’enchaînent dans les chancelleries, dans les médias traditionnels et alternatifs. On a envie de savoir globalement à quoi ressemblera le monde dans quatre ans, au terme du mandat de Donald Trump. Son obstination à chambarder l’existant fait dire au président brésilien, Lula Da Silva, que son homologue américain se prend pour « l’empereur du monde ».

La guerre en Ukraine et ses implications loin du terrain des hostilités ; le conflit israélo-palestinien et la situation complexe du Proche-Orient ; les relations transatlantiques et ce qu’il en résultera dans les jours prochains ; les ambitions des pays des BRICS, voilà autant des points parmi tant d’autres sur lesquels repose probablement le façonnage de la stabilité internationale. Bien sûr, la façon de les traiter dépendra du comportement des acteurs les plus en vue, qui sont plus ou moins connus d’avance : États-Unis, Russie, Chine, Inde, Union européenne (UE).

 Alliés de 80 ans

Pendant que se réunissait à Munich, en Allemagne, la Conférence sur la sécurité, l’attention des interlocuteurs a été attirée par le discours du vice-président américain, James David Vance. D’aucuns l’ont considéré comme un sermon à l’endroit des partenaires européens du pays de l’Oncle Sam : « Les dirigeants européens n’écoutent pas leurs peuples », ou encore : « La menace qui m’inquiète le plus en Europe n’est ni la Russie, ni la Chine, ni celle d’aucun autre acteur extérieur. Ce qui m’inquiète, c’est la menace venant de l’intérieur ». Des « attaques » frontales !

Non seulement un tel discours n’a jamais été auparavant prononcé en public par un haut responsable américain dans une réunion avec ses alliés européens mais l’orchestration d’ensemble, où l’on a enregistré le coup de fil Trump-Poutine, le 12 février, l’intervention de J.D. Vance deux jours plus tard, puis la rencontre des ministres des Affaires étrangères américain et russe, le 18 févier, a pris beaucoup de court. La solution à la crise ukrainienne sera-t-elle trouvée sans les Ukrainiens eux-mêmes ? Cette question est posée à Kiev mais aussi à Bruxelles, la capitale de l’UE, engagée on le sait pleinement dans le soutien aux autorités de l’Ukraine.  

En attendant la rencontre entre les présidents américain et russe envisagée d’après certaines sources avant la fin de ce mois, les contacts entre Washington et l’Europe continuent. Le président François, Emmanuel Macron, sera l’hôte de son homologue des Etats-Unis, ce 24 février, date de l’éclatement il y a pile trois ans du conflit russo-ukrainien. Sur la question ukrainienne, la volonté de Donald Trump exprimée à plusieurs reprises est de voir la guerre se terminer le plus rapidement possible. Il restera à convenir des modalités d’une paix « juste ». Dans les conflits du type de celui qui se déroule depuis trois ans entre Russes et Ukrainiens, la notion de « paix juste » peut aussi reposer sur le rapport de force sur le terrain. Tenant compte de ce paramètre, il semble que les parties impliquées dans la résolution de cette crise, en particulier la Maison Blanche et le Kremlin, s’attacheront à garantir pour l’Ukraine et pour la Russie ce que les deux pays réclament depuis fort longtemps, à savoir les conditions de sécurité optimum.

La suite

Quand bien même, en Europe, certains ont fait part de leur indignation et parlé de « trahison » s’insurgeant contre le rapprochement en cours entre Américains et Russes, les fondations de la tutelle américaine sur le pôle des nations revendiquant le partage de valeurs dites démocratiques ne sont pas en passe d’être démantelés. De ce fait, passés le choc et l’émotion, à défaut de tout lui céder, mais sans disposer sur le moment de moyens suffisants pour lui tenir tête, les alliés européens obtiendront sans doute quelques concessions de leur principal partenaire. Quitte à façonner pour l’avenir une nouvelle relation dans laquelle – les dirigeants le déclarent ouvertement aujourd’hui- la sécurité du Vieux continent ne dépendra pas grandement des Etats-Unis comme elle l’a été jusque-là.

Ne serait-il pas possible, en rapport avec ce qui est développé plus haut, de parvenir en Europe-même à créer des passerelles susceptibles d’apaiser les tensions au sein d’un espace vital qui a toujours été porté par le progrès, la créativité et une intense activité culturelle, littéraire et sportive ? Il est indéniable par ailleurs que les plaies du conflit à l’Est de l’Europe mettront longtemps à cicatriser, en particulier entre les deux peuples frères ukrainien et russe. Ils ne pourront cependant trouver de solution convenable dans leur relation qu’en puisant dans la douleur qu’ils ont vécue, la raison de continuer à partager les mêmes frontières, les mêmes langues, mais aussi les mêmes espérances. Cette culture de l’introspection, autrui venu de loin ne pourra jamais la leur apporter. Ceci pour dire qu’au-delà de ce conflit fratricide, les nations européennes peuvent se donner ce qu’il faut pour revenir à une vie où l’on n’ostracise par d’autres nations pour ce qu’elles portent comme modèle de développement.

Bien plus loin

Selon les déclarations des officiels russes et américains réunis le 18 février en Arabie Saoudite, les Etats-Unis et la Fédération de Russie envisagent de relancer leurs relations dans quasiment tous les domaines. Après trois années d’une guerre qui lui coûte cher, à tous points de vue, Moscou veut que tout cela se termine. « Nous sommes ouverts aux discussions et n’y sommes jamais opposés », a-t-on souvent répété au Kremlin. Une relation normale entre Washington et l’héritière de l’ex-Union soviétique aura certainement un impact positif sur l’architecture diplomatique internationale.

La stratégie de la nouvelle administration américaine, sous-tendue par le slogan « l’Amérique d’abord », devra peut-être conduire l’équipe de Donald Trump à tout donner pour y répondre mais ses meneurs seraient plus sages de ne pas se croire seuls au monde. Bien entendu, ils pourront entre autres s’investir pleinement au Proche-Orient au profit d’Israël en tablant sur la coopération de leurs alliés dans une région où ils ont aussi des ennemis. Si l’équipe Trump laisse pour compte la question palestinienne, quatre années de mandat passeront sans qu’elle ne parvienne à rebattre toutes les cartes.

Quant à Moscou qui attend beaucoup du climat qui se détend à l’international en sa faveur, ses alliés des BRICS regarderont si sa « lune de miel » avec Washington entravera ou non la dynamique imprimée à leur groupe depuis une quinzaine d’années. Partenariat économique moins rigide, cette association qui continue d’accueillir de nouveaux adhérents a des ambitions connues. Elle veut être un pôle d’échanges et de développement économique et culturel où il n’y a pas un régent ; où l’ingérence dans les affaires intérieures des associés n’est pas le principe.

En tête du peloton, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud sont assurément dans un moment d’observation pour éventuellement s’adapter à la nouvelle donne imprimée par les incessants va-et-vient du nouveau président des Etats-Unis sur la scène mondiale. Il y a de quoi y prêter grande attention.

Gankama N'Siah

Légendes et crédits photo : 

Photo 1. Les présidents Donald Trump et Vladimir Poutine (archive) Photo 2. La rencontre des officiels américains et russes, le 18 février, à Riyad (Arabie Saoudite).

Notification: 

Non