Santé publique : des experts de la fécondité se penchent sur le problème de l'infertilité

Lundi 2 Décembre 2013 - 19:45

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Dans un couple lorsque l’enfant n’arrive pas, les interrogations abondent des deux côtés des familles et la relation est souvent mise au pilori. La question peut sembler banale, pourtant elle domine les consultations dans les cliniques spécialisées qui ont reçu des couples qui espéraient un miracle autre que la médecine 

Environ 15 à 20% des couples en désir d’enfants sont confrontés à l’infertilité en Afrique. Le Congo n’est pas épargné. Les témoignages sur le nombre de consultations dans les hôpitaux du pays suffisent à affirmer que la situation est un problème de santé publique. À Brazzaville, à la clinique Mère et Enfant par exemple, le médecin-chef de l’hospice, le Dr. Jacques Silou, explique que deux couples sur cinq viennent en consultation pour infécondité. « Ils viennent à des âges assez avancés. Puisque la plupart des couples se marient tard, à cause parfois des études. Lorsque la stérilité se pose, la femme a déjà dépassé les 30 ans, et le mari ne se préoccupera de ce problème que lorsque la femme aura épuisé toutes les démarches », souligne le médecin biologiste spécialiste de la reproduction.

La plupart du temps, les couples affectés consultent le médecin très tard, après avoir été sans succès chez les tradi-praticiens, guérisseurs, à la prière et dans d’autres lieux où l’on espère un miracle. Le temps est passé et la maladie s’est aggravée. La médecine de la reproduction semble ne pas être bien perçue. Faute de communication sociale, les patients stériles imputent leur situation aux mauvais sorts, oubliant que des facteurs multiples ont été à l’origine de leur infertilité.

« C’est après 40 ans que l’on pense à consulter un spécialiste et souvent c’est trop tard. Après 40 ans, les femmes fertiles constituent une exception », souligne le Dr Davy Kombo, gynécologue-obstétricien à Pointe-Noire et chef de l’antenne Congo du Groupe Inter africain d’étude, de recherche et d’application sur la fertilité. Dans la ville économique, explique-t-il, environ 30% des consultations gynécologiques sont imputées à cette situation, au regard de quelques analyses obtenues dans quelques hôpitaux. Et la tranche d’âge concernée oscille entre 20 et 44 ans. Des chiffres qui montrent que même les couples en âge normal de procréer, sont concernés.

Plusieurs facteurs à l'origine de l'infertilité

Chez la femme, l’âge est cité comme étant le premier facteur déterminant la fertilité. Néanmoins, dégage le Dr. Jacques Silou, le fait d’avoir attendu longtemps sans faire d’enfants ne justifie pas forcement l’infertilité. « Parce qu’on a déjà vu des primipares âgées », précise-t-il. Plusieurs facteurs ont été identifiés comme étant responsables de l’infertilité du couple. Les infections sont en tête de liste. Mais « le comportement sexuel qui s’est déroulé avant peut déterminer l’après », souligne-t-il. « Les manœuvres Ondo-utérine, les avortements pratiqués par de jeunes femmes au cours de leur vie sexuelle sont parmi d’autres causes », ajoute le Dr. Davy Kombo.

Au départ, seule la femme était pointée du doigt lorsque l’enfant ne venait pas. Avec le poids de la tradition, elle vivait un enfer. Pourtant, les hommes portent 30 à 40% de responsabilité dans l’infertilité du couple, développe le Dr. Ernestine Gwet-bell, diplômée de la Faculté de médecine de Paris V, médecin spécialiste en gynécologie-obstétrique au Cameroun et présidente du Groupe Inter africain d’étude, de recherche et d’application sur la fertilité, rencontrée à Brazzaville lors d’un enseignement postuniversitaire sur la question. « Les causes majeures sont les infections qui entrainent des trompes bouchées chez la femme, et des troubles de spermes chez les hommes. Mais il y a également, des problèmes d’insuffisance d’ovulation. Parce que pour faire un enfant, il faut à peu près trois conditions : il faut que la femme puisse pondre les œufs, c’est l’ovulation ; il faut que ses trompes soient perméables car c’est dans les trompes que se fait la rencontre du spermatozoïde et de l’ovule de la femme, il faut également que l’homme ait un sperme qui soit correct », précise le médecin camerounais.

Durant les 50 dernières années, le sperme des hommes s’est beaucoup détérioré. Les hommes ont perdu 50% en matière d’infertilité, explique une étude publiée dans la revue « Reproduction humaine et hormones » de janvier 2013. « Maintenant, il y a d’autres facteurs qui sont de vrais perturbateurs environnementaux. Le stress en général peut aussi produire des facteurs qui vont à l’encontre de la fertilité », souligne le Dr. Jacques Silou.

En 2012, une étude des paramètres sémiologiques du sperme d’une population jeune - cas des étudiants de la faculté des sciences de la santé de Brazzaville - présentée par le Dr. Etienne Mokondjimobé, biologiste et directeur du laboratoire national, avait montré d’assez nombreuses altérations des paramètres étudiés. « Les cultures de spermes nous orientent vers un profil infectieux comme cause des altérations », concluait cette étude présentée dans le cadre de la Fondation congolaise pour la recherche médicale.

Les spécialistes existent, les traitements sont accessibles

Après des tentatives sans succès, le premier réflexe est de consulter un spécialiste. Parfois, la question est simple surtout lorsqu’il s’agit de la cause principale : les infections. « Pour le diagnostic, on commence d’abord par s’enquérir des examens simples. Chez l’homme par exemple on fait le  Spermogramme, qui est un examen de base et chez la femme, pour connaître l’intégrité des voies génitales internes, nous faisons ce qu’on appelle une Hystérosalpingographie qui permet de visualiser la perméabilité, la vacuité de l’utérus et des trompes. Un test qui est simple, c’est aussi la courbe des températures, savoir si la femme peut avoir facilement des ovulations », explique le Dr. Jacques Silou.

L’accès au traitement est la solution la plus efficace, car passer des années à attendre des solutions miraculeuses est une perte de temps. « Il faut très rapidement proposer à ces jeunes couples l’accès aux traitements et aux fécondations in vitro. Parce que quand les trompes sont bouchées ou si le sperme est de très mauvaise qualité, la fécondation ne se passe plus dans les trompes de la femme mais au laboratoire », souligne le Dr. Ernestine Gwet-Bell. Une technique encore coûteuse pour les couples à faible revenu. Car il faut débourser un peu plus de 2 millions de FCFA pour réaliser une fécondation in vitro. Avec le séjour des patients, l’enveloppe devient insoutenable puisqu’au Congo, aucun centre de ce type n’est encore installé.

C’est au regard de cet état des lieux que l’infertilité devient un problème de santé publique. L’infertilité doit attirer l’attention des autorités sanitaires, suggère le Dr. Davy Kombo. « Il s’agit de faciliter l’accès aux formations des spécialistes. Et lorsque cela est difficile, pourquoi pas installer dans notre pays, des centres de fécondation in vitro pour que les gens n’aillent pas dépenser de l’argent ailleurs », suggère-t-il.

Le coût d’investigation complète de l’infertilité est très élevé pour un Congolais ordinaire. Sachant que les soins d’infertilité ne sont pas couverts par les frais d’assurance-maladie, et alors que beaucoup de pays africains dont le Congo n’ont pas d’assurance- maladie, il est évident que les stratégies de prévention des infections (IST) s’avèrent les méthodes les plus accessibles pour éviter ou prévenir l’infertilité, suggèrent les experts.

 

Quentin Loubou

Légendes et crédits photo : 

© Photo Eric Ward_Wikimedia