Bruxelles : le métissage durant la colonisation au centre d’une soirée de réflexion

Lundi 31 Octobre 2016 - 16:20

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L’évènement a été organisé, le 27 octobre, à l’Université libre de Bruxelles (ULB), par l’association Binabi ULB, en collaboration avec le « Collectif Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations » et l’ONG Coopération, éducation et culture (CEC). La conférence s’inscrivait dans le cadre de l’exposition « Notre Congo/Onze Kongo », la propagande coloniale belge dévoilée.

 

C’est devant une salle comble, remplie majoritairement par des jeunes notamment métis, que s’est déroulée la conférence modérée par Ella Hennaert Elesse, réalisatrice du documentaire « Sang-mêlé » consacré à la problématique des métis durant la colonisation. Les autres orateurs du jour étaient François Milliex, président de l’association « Métis de Belgique », Assumani Budagwa, auteur du livre « Noir,blanc, métis » et l’anthropologue Bambi Ceuppens, chercheuse au Musée Royal d’Afrique centrale. Le public a également pu écouter le témoignage poignant de Julienne Geldof sur son expérience d’enfant métis en Belgique et suivre un petit film consacré à la situation des enfants métis pendant l’époque coloniale.

Les métis, un danger politique et moral

Bambi Ceuppens a expliqué à l’assistance qu’au Congo, on a voulu faire des métis une caste séparée en créant des écoles particulières pour ces enfants. En outre, a-t-elle fait savoir, on a pensé que ces enfants, rejetés par leurs pères européens, allaient se révolter contre tous les Européens. « Les garçons étaient considérés comme un danger politique et les filles comme un danger moral. Car on pensait qu’une fille métisse ne pouvait devenir qu’une prostituée. C’est pour éviter le danger qu’en créant une caste, ils allaient se révolter ensemble contre le colonisateur, qu’on a décidé de les éduquer avec les autres « indigènes ». Mais on avait toujours peur de cette révolte. Après la deuxième guerre mondiale, avec les autres indigènes, on leur a donné la possibilité de s’immatriculer de manière individuelle, en prouvant qu’ils étaient devenus des évolués », a déclaré Bambi Ceuppens. Pour l’anthropologue, le statut des enfants métis dépendait de la connaissance ou pas de leur père blanc.

 Peu d'enfants reconnus

À cet effet, a-t-elle indiqué, beaucoup d’enfants métis n’étaient pas reconnus, car seulement un papa sur dix reconnaissait un enfant métis. « Les Belges le faisaient moins contrairement aux grecs, aux portugais ou aux asiatiques. Les enfants non reconnus grandissaient avec la famille maternelle et n’avaient aucun contact avec leurs pères. Si les enfants étaient reconnus par leur père en général, ils étaient envoyés en Europe pour être éduqués. Parfois la famille paternelle refusait de reconnaître ces enfants et ils étaient envoyés dans des internats. Ces enfants n’avaient plus aucun contact avec leurs mamans restées au pays. Du moment que l’enfant était reconnu par le père, juridiquement, il n’y avait plus aucun lien entre la maman et l’enfant. Elle n’avait donc plus le droit d’avoir des nouvelles de son enfant. Le père était considéré comme le seul parent de cet enfant », a expliqué Bambi Ceuppens. Selon cette dernière, la plupart des enfants métis au Congo ont grandi avec leurs mamans et seuls une minorité d’entre eux a été éduquée dans des internats comme celui de Save au Rwanda. Par ailleurs, a-t-elle expliqué, une très petite minorité avait une mère européenne et un père africain. « C’était extrêmement rare mais ça arrivait ». Un autre cas est celui des étudiants congolais venus en Belgique pour les études et qui ont eu des enfants avec des belges. « Les enfants métis, nés de cette union, ont grandi avec leurs mères en Belgique sans connaître leurs pères rentrés au Congo. Certains sont ainsi allés au Congo à la recherche de leurs pères », a fait savoir l’anthropologue.

Ségrégation ciblée  

Pour sa part, Assumani Budagwa, a fait savoir que la prise de conscience du phénomène du métissage a commencé assez tôt, vers 1911, au moment où toutes les puissances coloniales se sont rendues compte que la présence dans les colonies s’accompagnait d’unions fécondes entre les colonisateurs et les colonisés et qu’elles se retrouvaient devant une nouvelle catégorie de personnes dont il fallait définir le statut. « Cette prise de conscience s’est accompagnée d’un certain nombre de débats et les colonisateurs ont considéré que les métis, du fait de leur sang blanc, étaient porteurs de germes de révolte. Très vite également, on a commencé à étudier le métis comme on étudie un insecte. Il y a également eu une ségrégation ciblée concernant les métis du fait du danger qu’on croit qu’ils pouvaient représenter et du fait aussi qu’on les considère comme une catégorie de personnes génétiquement inclassables ou même comme des monstres ». Cette ségrégation ciblée, a expliqué Assumani Budagwa, va conditionner beaucoup de choses. Ainsi, en 1911, le comité permanent pour la protection des indigènes a demandé qu’on assimile les métis aux enfants abandonnés, orphelins ou délaissés, alors que ces métis ne correspondaient pas du tout à ces critères. « Dès cet instant, on décide d’envoyer ces enfants métis dans les colonies scolaires, appelés à l’époque « colonies agricoles » et tenues pas les missionnaires. On demande que la tutelle de ces métis soit déférée à l’État, ce que l’Etat ne va pas assumer. En 1915, on demande une immatriculation d’office de ces métis au registre de la population », a expliqué l’écrivain.

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Les conférenciers Photo 2 : Vue d'une partie du public

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