« Cantate de guerre » est une psychothérapie publique

Samedi 19 Juillet 2014 - 0:45

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11 juillet 2014. Le public est reçu par des comédiens et un musicien dans le foyer de l'Institut français de Brazzaville transformé en une place de marché où l’on peut se procurer des sachets de détergent, du sucre ou de l'huile. Et malgré l’apparence quotidienne, c'est bien ici qu’a lieu la confrontation avec la violence du texte sur la guerre de l'auteur québécois Larry Trembley

Les comédiens-vendeurs s'adressent au public avec des propos désespérés : « Combien d'hommes, de femmes, d'enfants dois-je tuer ? Dois-je violer ta fille pour arriver au bout ? » Puis, les spectateurs quittent le marché, pourchassés par les monologues et entrent par la petite porte à côté dans la salle transformée en une grotte géante décorée par des moustiquaires déchirées symbolisant une énorme toile d’araignée, qui elle-même surveille la salle, installée au plafond par le plasticien camerounais Aloum Mossa. Un échafaudage couvre comme un mur le plateau et descend dans la salle par une passerelle en bois couverte par les toiles.

C'est dans ce décor qu’a été présenté le spectacle Cantate de guerre. Un sujet difficile qu’a choisi d’aborder le comédien et metteur en scène Harvey Massamba : « J'ai quitté le pays en 1998 par le dernier avion de Maya-Maya avant que les milices prennent l’aéroport. J'ai vécu au Cameroun plus de dix ans, où j'ai fondé la compagnie Nsala. Et c’est avec cette compagnie que je suis rentré à Brazza. La lecture de ce texte au festival Francophonies en Limousin en 2012 m’a donné envie de baigner dans l’univers du texte. Les deux personnages principaux, le père et le fils, sont arrivés à saturation, et leurs paroles coulent en moi. Notre pays a vécu plusieurs guerres consécutives, et ces évènements ont eu des conséquences énormes sur la psychologie des gens. Mais la population n'a jamais reçu un suivi psychologique. Ce texte est comme une psychothérapie publique. Dans le spectacle, mon personnage est la conscience du père, un soldat qui a commis plusieurs crimes de guerre. »

Le comédien Jores Gomba avait 17 ans quand la guerre a éclaté. Il a fui Brazzaville et s'est caché dans le village de ses parents pendant presque deux ans. Il s'est nourri avec ce qu’il trouvait dans les champs abandonnés et dans la forêt. Il a toujours du mal à parler de cette expérience, mais la pièce lui a prêté les paroles.

Le quatrième personnage est le musicien burkinabé Sam Wensey, qui adoucit ou amplifie les paroles de la douleur par la flûte peule et la kora. S'y ajoutent les projections de l'artiste vidéaste et photographe français Nicolas Guyot, qui a fait un travail de vidéo remarquable sur la perception de la douleur basée sur le texte du spectacle.

Harvey Massamba a lancé un projet de centre culturel privé. Il souhaite voir au Congo des centres culturels dans tous les chefs-lieux du pays afin de diffuser des spectacles comme Cantate de guerre auprès d'une plus large population.

Sasha Gankin