Démocratisation de la RDC : Onésime Kukatula appelle les Congolais à s’approprier le processus électoral

Jeudi 16 Juin 2016 - 17:45

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Dans une interview accordée aux Dépêches de Brazzaville, le rapporteur adjoint de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), a exhorté chaque citoyen congolais à poser des actes civiquement responsables, sachant qu’une élection bien organisée peut ouvrir des horizons nouveaux au pays.

Les Dépêches de Brazzaville: Monsieur le rapporteur adjoint, la RDC attend ses troisièmes élections pluralistes depuis l’instauration de la démocratie. Que représente, pour vous, ce moment dans l’histoire du pays ?

Onésime KUKATULA : La réponse à cette question me conduit à évoquer deux aspects importants de l’histoire de la RDC, dans ses aspects liés aux élections pluralistes organisées d’abord en mai 1960 avec le triomphe de Lumumba et en 2006 au terme du Dialogue inter congolais et à l’évolution de la démocratie dans notre pays depuis 1990. En premier lieu, il sied de rappeler que l’élan démocratique pris par le pays au lendemain de l’indépendance avait été annihilé par une dictature sanguinaire imposée pendant trente deux ans à travers l’instauration du parti-Etat et le recours à des moyens fallacieux pour confisquer le pouvoir. C’est alors que débuta la longue lutte pour la démocratisation du pays dont les événements les plus marquants sont notamment la résistance des lumumbistes nationalistes dont l’un des leaders actifs est le patriarche Antoine Gizenga, la lettre des 13 parlementaires au Maréchal Mobutu, le discours du 24 avril 1990, la révolution de l’Afdl et le dialogue de Sun City. Ces événements symbolisent la détermination de la population congolaise à passer d’un système dictatorial à un régime réellement démocratique dont les institutions sont mises en place au moyen des élections transparentes, crédibles et apaisées. Ils ont abouti au retour à la légalité tant réclamé par les lumumbistes nationalistes depuis le début du règne du Maréchal Mobutu. Ainsi, depuis 2005, le processus électoral congolais est en marche malgré quelques escarmouches. Ces troisièmes élections pluralistes sont donc une occasion pour la RDC de réitérer son engagement à la démocratie et de faire preuve de sa maturité en matière électorale ayant tiré les leçons de 2006 et 2011. Elles sont surtout une interpellation pour toutes les parties prenantes au processus électoral. Ce moment représente, en somme, un tournant décisif pour consolider et asseoir la démocratie conformément à l’esprit de Sun City.

LDB: Aujourd’hui, peut-on affirmer que la culture démocratique est définitivement encrée dans la société congolaise ?

O. K. : Pas du tout. J’estime humblement que malgré les avancées considérables enregistrées depuis 1990 en termes de liberté d’expression, de séparation de pouvoir et d’égalité des individus, le chemin à parcourir reste encore long car, la démocratie ne s’obtient pas de manière spontanée ; elle est plutôt une résultante d’un engagement ardu et d’une détermination constante du peuple. La démocratie ne se décrète pas, elle se constate par des faits. Aussi, aucune démocratie ne s’est construite en 26 ans. Il y a certes des acquis à consolider tels que la liberté de la presse mais surtout des efforts supplémentaires à fournir dans tous les secteurs.

Par ailleurs, contrairement à une certaine tendance qui voudrait que l’encrage des valeurs démocratiques dans la société soit l’apanage des seuls dirigeants, il se dégage de plus en plus que l’absence de démocratie dans des nombreuses formations politiques, des associations de la société civile, les entreprises et les mutualités où les leaders le sont à vie et où l’alternance et la liberté d’opinion en interne font défaut peut la contraindre à demeurer dans un état embryonnaire. Cela malgré que les statuts de ces structures prévoient l’alternance. La solution à l’encrage des valeurs démocratiques dans la société congolaise passe par l’éducation politique du peuple, qui est la première condition essentielle à la participation consciente et responsable au processus de démocratisation et aux élections. L’apprentissage de la démocratie doit commencer dès le bas âge et se prolonger à l’université et plus tard dans les institutions de l’Etat.

LDB: Vous faites partie des acteurs majeurs du processus électoral en cours, en votre qualité de Rapporteur Adjoint et membre de l’Assemblée Plénière de la CENI, quelle différence faites-vous entre la période que traverse le pays actuellement et les élections passées en RDC ?

O. K. : Il me semble que le pays a été rattrapé par les problèmes pendants de la période 2010 – 2013 essentiellement, le fétichisme du délai, la séquence des élections et la révision du fichier électoral. Comprenez que le débat actuel porte sur l’organisation de l’élection du président de la République en relation avec le respect du délai constitutionnel et le séquençage des élections. En plus, le dialogue national convoqué par le président de la République, le 28 novembre 2015, pour résorber ces questions électorales continue à susciter une certaine tension. Or, le problème des mandats et de leurs délais concerne toutes les institutions issues des urnes et sont réglés par la Constitution de la République (confère articles 70, 103 et 105). Mais aujourd’hui, l’attention se focalise sur le seul cas du président de la République alors que le même problème se pose depuis près de cinq ans pour le mandat des sénateurs, des députés provinciaux et des gouverneurs. 

LDB: Pensez-vous que la Commission électorale nationale indépendante soit suffisamment outillée pour organiser les élections sans l’apport extérieur ?

O.K : En matière électorale et surtout dans une jeune démocratie aux dimensions de la RDC, il est difficile de faire cavalier solitaire dans l’organisation des élections même quand on dispose de l’expertise requise. L’appui des partenaires techniques et financiers a toujours été d’une importance capitale autant il contribue au renforcement de la transparence du processus électoral et peut permettre de décanter notamment des problèmes d’ordre logistique et financier. Par ailleurs, n’oublions pas que la CENI n’en est qu’à sa troisième expérience et que le rôle des partenaires techniques et financiers lors des élections de 2006 et 2011 n’a pas été le moindre.

Oui, la CENI est suffisamment outillée pour organiser avec professionnalisme les élections mais elle compte énormément sur l’appui des partenaires techniques et financiers pour remplir de manière efficiente et efficace sa mission. C’est là le sens même du Comité de partenariat du PACEC qui se réunit mensuellement avec la CENI pour évaluer le processus électoral.  A cet effet, la résolution 2277 du Conseil de sécurité a clairement manifesté ce partenariat en mandatant la Monusco de « fournir une assistance technique et un soutien logistique pour la révision des listes électorales et, …. fournir un soutien logistique pour faciliter la tenue des élections ». La mission d’experts des questions électorales des Nations unies dépêchée à Kinshasa du 24 avril au 10 mai 2016 sous la conduite de M. Tadjoudine Ali Diabacté (directeur adjoint de la division de l’assistance électorale du département des affaires politiques) pour évaluer les besoins liés à la révision du fichier électoral et aux élections en est une résultante.

LDB: Vous avez toujours souhaité des élections vues comme une fête et non un drame. Dans quelles conditions cette assertion peut-elle devenir réalité en RDC ?

O.K : Cette expression empruntée au président honoraire de la CENI, l’abbé Apollinaire Malumalu, est en réalité une interpellation à toutes les parties prenantes au processus électoral pour s’impliquer dans l’ensemble du processus électoral au lieu d’attendre uniquement le jour du vote. Pour ce faire, le législateur doit mettre à la disposition de la centrale électorale et en temps opportun, les lois nécessaires en se basant sur les observations des autres parties prenantes, le gouvernement doit disponibiliser les fonds à bonne date en exécutant correctement le plan de décaissement, la société civile doit veiller à l’éducation civique et électorale des électeurs, les partis politiques doivent mobiliser, sensibiliser et former les électeurs, s’assurer de la bonne organisation des différentes opérations et surveiller le scrutin et la CENI doit exécuter scrupuleusement son plan opérationnel, etc. Parce que la défectuosité d’un aspect risque d’avoir un impact négatif sur tous les autres aspects et le manque de crédibilité envers un processus électoral, peut entamer le processus de démocratisation du pays et bloquer l’ensemble des objectifs de développement. Bref, chaque citoyen congolais doit s’approprier le processus électoral en posant des actes civiquement responsables sachant qu’une élection bien organisée peut ouvrir des horizons nouveaux à son pays.

LDB: Quel message adressez-vous, en ce moment précis aux dirigeants congolais, aux politiques et au peuple congolais ?

O.K : J’en appelle à la conjugaison mutuelle des efforts pour consolider les acquis en termes de démocratie, de développement et de paix à travers un soutien inconditionnel au processus électoral en cours. Cela passe notamment par une participation massive et conséquente à l’enrôlement des électeurs dont l’objectif est de doter le pays d’un fichier électoral fiable, inclusif et consensuel, premier enjeu d’une élection voulue crédible, transparente et apaisée. Car sans liste électorale, l’organisation des élections s’avère hypothétique et sans élection, le processus démocratique est en péril.

Lucien Dianzenza

Légendes et crédits photo : 

Photos: Onésime Kuakatula Falash.

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