Devoir de mémoire : les Bantu haïtiens ont commémoré le 210e anniversaire de la proclamation de leur République

Lundi 6 Janvier 2014 - 18:32

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1er janvier 1804- 1er janvier 2014, cela fait exactement 210 ans que la première République noire de l’histoire de l’humanité a été proclamée. Dans le cadre de la célébration de cet anniversaire, le chercheur congolais en histoire et anthropologie socioculturelle des Noirs des Amériques, Arsène Francoeur Nganga, a retracé l’histoire de ce pays qui était d’abord une colonie française de Saint Domingue avant de devenir Haïti en 1804, et dont la population la plus nombreuse était des Bantu, principalement des esclaves en provenance du royaume Kongo

Pour le chercheur et anthropologue congolais, la thèse selon laquelle les Bantu, principalement les esclaves en provenance du royaume Kongo, était la population la plus nombreuse, a été soutenue par l’historien haïtien Gabriel Debien, dans Y. Farraudière (2005 ; p.106). Il a affirmé que plus du tiers des esclaves africains à Saint Domingue étaient d’origine Kongo, suivis par les Aradas du Dahomey, les Ibos du Nigeria… 

L’historien belge Hein Van Hee, cité par Linda Heywood de la Howard University (USA), est allé dans le même sens dans son Heywood 1998, (p.246). « Au milieu du 18è siècle, écrit-il, les Français ont acheté beaucoup d’esclaves au royaume Kongo, pour l’Ile de Saint Domingue, entre 1720 et 1780, soit 64% du nombre total des esclaves concentrés au nord de l’Ile qui est aujourd’hui Haïti », a-t-il soutenu.

Un registre du compte des nègres en fuite et du décompte des esclaves fugitifs arrêtés - J. Fouchard 1988 - fait ressortir que les Kongo occupaient toujours le sommet de la liste des esclaves fugitifs. Le plus grand fugitif de la période pré révolutionnaire, véritable bouc-émissaire de l’idéologie révolutionnaire, sera un esclave fugitif kongo du nom de François Makanda, dit Makandal L. Heywood 1998, (p.250). Il est le premier à avoir uni les communautés fugitives des montagnes du nord d’Haïti pendant les années 1750, où il visait de tuer tous les Blancs de la colonie par le poison et de libérer tous les nègres. C’était un grand féticheur, tel qu’écrit dans Pierre de Vaissière 1909, (p.236-237). Il avait fanatisé les esclaves de la colonie et on disait de lui qu’il était immortel. On prétendait qu’il se dédoublait et pouvait être vu d’un endroit à l’autre au même moment. Il organisait des raids la nuit pour incendier les habitations des maîtres d’esclaves. Il avait réussi même à empoisonner l’eau courante des habitations des colons, causant près de 6.000 décès.

La fin d’une aventure

Makanda fut capturé et brûlé vif à Cap Haïtien, le 10 janvier 1758. Des témoignages rapportent qu’il s’était transformé en oiseau et s’était envolé des flammes. Cette transformation en oiseau ramène au père Van Wing, Études Bakongo (p.37), où il dit que, chez les Kongo, les hommes se transforment en bêtes, les sorciers se changent en animaux minuscules. Ainsi trouve-t-on d’après la croyance Bakongo des personnes qui peuvent se métamorphoser en animal de grande taille à partir d’un fétiche Kitu di ngo, Kitu di ngandu.

David Geggus a considéré François Makanda comme étant un sorcier, un bokor en créole haïtien. Le personnage de Makanda en Haïti est resté la figure emblématique du sorcier. Il a passé plus de 10 ans à combattre l’esclavage avec un succès éclatant. Il a engendré des bandes, matrice indispensable pour la liberté et l’indépendance. Dans les cérémonies vaudou de Baron Samedi, le tout puissant maître des morts Makanda, est considéré comme Papaloa.

En 1792-1793, une bande d’esclaves révolutionnaires dirigés par un Kongo, du nom de Macaya, se proclamant comme étant un descendant d’un roi du Kongo, contrôle la région de Limbe. Après Makanda, d’origine kongo ; Don Pedro, d’origine kongo ; Macaya fut le plus influent des esclaves insurgés du nord d’Haïti. La révolution haïtienne est une insurrection des esclaves du nord d’Haïti, peuplé majoritairement des esclaves kongo. On peut citer d’autres rebelles tels que Mavoungou, Télémaque Canga, Racine Jean Zenga, Jérôme Poteau, Lamour Derance, Romaine Rivière…

Pour le chercheur et anthropologue congolais, la lecture unilatérale de l’histoire de Saint Domingue a fait que le vodou haïtien a été pendant longtemps abordé comme un culte d’origine dahoméenne. Ses sources kongo ont été inexplorées, si ce n’est à peine qu’on a commencé à découvrir toute leur importance.

Alfred Metraux, pour sa part, parle d’une rencontre des traditions du Dahomey et du Kongo. Les esclaves du Dahomey, dit-il, étaient arrivés des décennies avant les Kongo ; voilà pourquoi le mot vodou était le mot utilisé au départ. L. Desquiron, dans son ouvrage Les Racines du Vodou (p.193), est clair à ce sujet : « Les Dahoméens ont présidé à l’élaboration du culte radas et les Bantous à la formation du culte pétro-lemba à caractère magique dans le vodou haïtien. » C’est le pétro-lemba qui a fourni les stimulants à l’esprit révolutionnaire chez les esclaves de Saint Domingue. Le panthéon des esprits de tradition kongo dans le vodou haïtien est très long ; on note, entre autres le rite pétro-lemba, rite Congo et rite spécial Macaya : Lemba Zaou ; Simbi-y-an Kitha ; Marassah Congo bord de Mer ; Laoca ; Simba Maza ; Brise Macaya ; Kanga pétro ; Zilah Moyo ; Ganga doki.    

Les Kongo ont dirigé la lutte contre l’oppression coloniale, le roi du Kongo était le roi de tous les Noirs ! Cette prétention a fait la peinture de la suprématie pour les sujets de ce roi à Saint Domingue. Quand Napoléon Bonaparte envoie le général Leclerc, le 1er février 1802 pour rétablir l’esclavage à la suite de l’auto proclamation de Toussaint Louverture, comme gouverneur à vie de Saint Domingue, la défense héroïque des indigènes sera surtout illustrée par Jean Baptiste Sans Souci et Henry Christophe, ce dernier qui était un créole dont le côté africain n’est pas connu, alors que Sans Souci était un kong (lire Laurent Dubois et John Garrigus, 2006, p.104). Il est donc l’un des plus grands leaders militaires talentueux de Saint Domingue, et était actif dans le nord, près de la ville de Limonade, en septembre 1802, au cours d’une attaque française contre Sans Souci. Quelque 400 Français furent tués.

Jean Jacques Dessalines déclare l’indépendance de la colonie de Saint Domingue

C’est le 1er Janvier 1804, que Jean Jacques Dessalines déclare l’indépendance de la colonie de Saint Domingue, qui devient Haïti (ayiti : la terre des montagnes), le nom indien de l’île d’avant l’arrivée des Européens. Il déchire la partie blanche du drapeau français, pour former le drapeau haïtien, bleu et rouge. Timolean Brutus, dans Haïti History And The God, Berkeley University of California Press 1995 (p.52), asserte que Dessalines avait chanté en kikongo en étant en transe. Après s’être autoproclamé gouverneur à vie d’Haïti, Dessalines rejette l’autorité de Rome sur l’Église catholique d’Haïti et se proclame chef de l’Église catholique haïtienne. C’est le grand schisme qui a duré 56 ans. On parle même d’un catholicisme populaire à la Dessalines, qui aura comme culte important la dévotion à la vierge Marie et le culte de la saint Jacques.

Notons enfin que le Congolais Arsène Francoeur Nganga, chercheur en histoire et anthropologie socioculturelle des Noirs des Amériques, s’est référé sur les documents suivants : I’m the subject of the King of Kongo, African political Ideology and the Haitian revolution, de John K. Thornton ; Journal of world history, Vol 4, N°2 (1993) pp.181-214 ; et African Soldiers in the Haitian Revolution, Journal of Caribbean History N°25 (1993), toujours de John K. Thornton.

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Le chercheur et anthropologue Arsène Francoeur Nganga.