Evocation : la porte étroite de l’abbé Fulbert Youlou

Vendredi 30 Août 2019 - 13:42

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L’église catholique impose aux candidats à l’exercice pastoral de se soumettre pendant la cérémonie d’ordination à la prononciation d’un sermon dit Sermon de Trois Vœux. Il s’agit des vœux de fidélité à Jésus Christ, de chasteté et de pauvreté. L’église catholique romaine avait cru utile et nécessaire d’imposer cette armature morale et éthique à ses futurs fonctionnaires comme une batterie de filtres à travers lesquels ils seront jugés afin que la chute de l’un d’eux ne devienne l’occasion d’une flétrissure de tout le corps pastoral. On le voit, le sacerdoce catholique impose donc à ses pasteurs une vie de renoncement, de privation des plaisirs d’ici-bas et de dévouement à autrui.

En acceptant de revêtir sa robe de prêtre le 9 juin 1946, le jeune Fulbert Youlou, ordonné abbé avait implicitement accepté cette vie de renoncement pour se consacrer à l’œuvre de Jésus, au salut d’autrui. Malheureusement, la suite des évènements révélera que ce dispositif était une voie difficile à suivre, une porte étroite pour le jeune prêtre.

Jeune homme au sourire angélique, l’abbé Fulbert Youlou succomba dès le commencement de son ministère au passage de l’épreuve de la chasteté. Mgr Biéchy puis Bernard, épiscopes de Brazzaville fermaient les yeux sur les nombreuses frasques rapportées sur l’abbé même quand il fut pris en flagrant délit d’adultère en 1954. Plus tard, logé à la plus haute marche de l’Etat congolais, il vivra publiquement avec quatre femmes dont une pour les rites officiels au Palais présidentiel. Cet acharnement charnel lui rendra de mauvais services au moment décisif où sa vie se jouait sur un fil. L’épouse du président Charles de Gaulle qui avait en aversion ce libertinage se rangera du côté des insurgés du 15 août 1963. Sur le même registre, ses tombeurs ne se priveront pas de brandir au procès organisé contre son régime en 1965, une note d’un montant de « 107.630.000 f cfa de fonds secrets, dont la moitié était consacrée à ses appétits animaux ».

En 1955, l’abbé publiait un opuscule sur André Grénard Matsoua figure emblématique du martyrologe congolais devenu par la force des choses messie du renouvellement des temps en pays lari. La colonie du Moyen Congo était en pleine mutation politique. L’auteur visait haut. En effet, depuis 1946, Jean Félix Tchicaya et Jacques Opangault se disputaient la place pour entrer au Palais Bourbon à Paris pour le compte du Moyen-Congo. En pays kongo-lari, quand on ne votait pas Tchicaya ou Opangault, on plaçait des os dans les urnes. C’était un vote contestataire en mémoire de Matsoua dont les bulletins bien qu’invalidés arrivaient en troisième position ! Le potentiel électoral était donc considérable.

Ce fut une nouvelle tentation dans laquelle le pasteur catholique tombait tête baissée. D’abord, il n’avait pas l’onction de son chef hiérarchique Mgr Michel Bernard qui le frappait d’une suspension a divinis. Plus de célébration de messe pour le prêtre de 39 ans coupé de ses ouailles. Plus lourd de sous-entendus était sa situation sur l’échiquier politique où il se positionnait en tant que Lari ! Doctrinalement, il était de ce fait en opposition et avec la vision pastorale de Saint-Paul et avec la notion de solidarité entre les peuples de l’Afrique équatoriale française prônée par André Matsoua, idée fondatrice de l’Amicale. D’autre part, ses soutiens matsouanistes se rendront tardivement compte à leurs dépens qu’ils n’étaient pas sur la même longueur d’onde avec l’abbé Youlou. Loin d’être un quiproquo, les matsouanistes se rendront à l’évidence qu’ils étaient victimes d’une escroquerie politique : le candidat avait juste besoin de leurs épaules pour se jucher là-haut. Cela, et rien de plus !

En 1956, il faisait une entrée fracassante sur la scène politique congolaise grâce à son troupeau électoral du pré-carré ethnique. Ses deux aînés Tchicaya et Opangault, alliés au jeune Simon Pierre Kikounga Nghot devaient s’unir l’année suivante, en 1957, lors de l’élection du premier gouvernement territorial pour ne pas passer à la trappe. Mais ce ne fut que partie remise pour le novice en politique. Car, de 1957 à 1959, l’abbé déroulera un rouleau compresseur qui mettra Opangault knock-out. C’est ce qu’on appellera par la méthode Youlou faite de débauchage d’adversaires (cas de Georges Yambo), de trahison interne (cas d’Henri Itoua), d’actions légales et illégales, d’absence de scrupules assortie d’émeutes interethniques. A la veille de l’indépendance du pays, en 1960, Jean Félix Tchicaya était hors-jeu, Jacques Opangault n’était plus que l'ombre de lui-même. La méthode Youlou avait fonctionné : c’était l’abbé qui tiendra les rênes du nouvel Etat souverain.

Trois ans plus tard, c’était la désillusion. L’absence d’un projet politique pour le pays mettait à nu l’hédonisme du président Youlou. Le 15 août 1963, Brazzaville était devenue une chaudière. L’émeute était à sa fenêtre. On criait au voleur ! Rattrapé par son sermon, il avait oublié le vœu de pauvreté qu’il avait fait autrefois. C’était maintenant seulement qu’il s’était rendu compte qu’il avait fait le vœu de renoncer aux biens terrestres et de consacrer sa vie à autrui. Ce serment s’était avéré être une lourde charge pour ses épaules, une porte étroite par laquelle il n’avait pas pu passer.

 

 

 

François-Ikkiiya ONDAY-AKIERA

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