Immigration : la voix inaudible d’une Afrique spectatriceSamedi 13 Juin 2015 - 11:35 Le débat sur l’immigration agite les opinions occidentales ; l’Afrique semble passive. La réunion de l’Union africaine va-t-elle enfin combler la lacune ? Que dit l’Afrique de ses enfants qui quittent en masse les pays et vont s’agglutiner sur les côtes italiennes, ou finissent noyés par centaines en Méditerranée ? Le sentiment jusqu’ici était que l’Afrique ne disait très peu dans un problème qui la concerne pourtant au premier chef. Le sommet de deux jours convoqué par l’Union africaine, ces dimanche et lundi à Addis-Abéba, va peut-être représenter l’amorce d’une implication devenue un devoir pressant. Car la question de la centaine de ces migrants africains massés aux portes de l’Europe devient le synonyme sinon d’un échec du continent à retenir sa jeunesse, ou du moins d’une certaine insensibilité. Pays devenu emblématique de cette immigration qui veut passer à tout prix pour gagner les pays de prospérité économique d’Europe, l’Italie fait ce qu’elle peut. Et cela même si dans sa classe politique les cris d’exaspération ne sont plus murmurés mais très fortement amplifiés pour dénoncer ce qu’un parti xénophobe comme le mouvement de la Ligue du Nord, appelle carrément « une insoutenable invasion ». Jeudi, à une des plus importantes gares de Rome, Tiburtina, le spectacle de quelques 700 Erythréens étouffant un bon cœur venu leur apporter des pommes était désolant. La police a dû intervenir. Et ce vendredi, à Milan, on rapportait une situation identique d’une gare centrale transformée, selon les images, en véritable camp de réfugiés. Des dizaines et des dizaines de migrants y campant n’importe où, dans l’attente hypothétique d’un laisser-passer vers d’autres pays d’Europe : France, mais surtout Grande-Bretagne, Allemagne et les pays nordiques. Ils sont en majorité des Syriens, ceux-là. Mais leur vue suscite la nervosité visible des halogènes, surtout à la faveur d’un incident de train jeudi : deux jeunes latino-américains contrôlés sans billet ont tranché la main du contrôleur. Un médecin volontaire de Milan fait le constat : « les gens ont beaucoup plus de mal qu'avant à quitter l'Italie. Les renvois à la frontière étaient légers avant, maintenant ils sont plus stricts. La France n'accueille plus, la Suisse n'a jamais accueilli, l'Autriche a fermé la frontière de manière définitive. Quelques-uns arrivent à passer par la Slovénie mais les autres rencontrent beaucoup de difficultés ». Les migrants ne peuvent que voir la dégradation des rapports de solidarité à leur endroit. Un Erythréen reconnait : « Je ne peux pas trop critiquer les Italiens car c'est eux qui ont sauvé nos vies la plupart du temps. Mais maintenant nous sommes ici et ils ne font rien pour nous. Regardez-nous, nous devons dormir dans des buissons et vivre comme des clochards ». La voix de l’Afrique à cette détresse ? Elle peut s’alimenter du dernier rapport d’une commission du Conseil des Droits de l’homme de l’ONU sur l’Erythrée, pays qui voit chaque jour quelque 5000 de ses jeunes fuir vers la Méditerranée. « La commission a établi que des violations systématiques et à grande échelle des droits de l'Homme ont été et sont commises en Erythrée sous l'autorité du gouvernement. Certaines pourraient constituer des crimes contre l'humanité », affirment les experts dont le rapport a été publié lundi, travail d’une année d’enquête. « Scandaleux », a répliqué le gouvernement à Asmara ; « ignoble calomnie », « accusations fantaisistes » et « visant à ébranler la souveraineté » du pays, a tonné le ministère des Affaires étrangères de l'Erythrée. « Ces accusations sont simplement une suite et une escalade de la campagne politique voulant saper les progrès sociaux, politiques et économiques que le pays fait, y compris dans le domaine des droits de l'Homme », a ajouté le ministère qui avait refusé l’entrée dans le pays aux enquêteurs de l’ONU. Accusations, contre-accusations, démentis : en attendant l’Afrique se vide de sa jeunesse valide. Lucien Mpama Notification:Non |