Interview : Belinda Ayessa : « Mettre en valeur l’héritage du passé dans un monde en mouvement »

Lundi 2 Octobre 2017 - 13:45

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Alors que le Mémorial élevé au cœur de Brazzaville commémore aujourd’hui le onzième anniversaire du transfert au Congo des restes mortels de Pierre Savorgnan de Brazza et de sa famille, la directrice de l’institution, Bélinda Ayessa, dessine les développements à venir de l’institution qu’elle anime depuis sa création en 2006.

Les Dépêches de Brazzaville : Quelles conclusions tirez-vous de l’aventure, à tous égards exceptionnelle, qu’ont été l’élévation du Mémorial que vous dirigez depuis onze ans et le transfert au Congo des restes mortels de Pierre Savorgnan de Brazza ?

Bélinda Ayessa : D’abord, je tiens à dire ici notre joie et notre soulagement d’avoir atteint ces onze ans d’existence. Il est difficile de tirer des conclusions de cette aventure qui se poursuit encore, non sans passion. Mais tout de même, une réflexion rétrospective nous permet de revoir le chemin parcouru, les voies explorées et les opportunités riches qui ont porté le Mémorial Pierre Savorgnan de Brazza à un niveau de visibilité reconnue.

Deux points méritent, peut-être, d’être soulignés.

Le premier, plus didactique, concerne le travail de prise de conscience sur les éléments et les moments historiques de notre pays. Il nous a fallu de la patience et un sens de la responsabilité pour proposer au public la vraie signification de l’inscription de la personnalité de Pierre Savorgnan de Brazza dans notre pays, au-delà de la toponymie de notre ville capitale.

Le second est relatif à l’implication de plusieurs acteurs. Ceux-ci n’ont ménagé aucun effort pour que le Mémorial trouve réellement sa place dans notre univers symbolique et culturel. Je pense tout particulièrement à l’appui du chef de l’Etat, Denis Sassou N'Guesso, jamais démenti, qui a toujours cru à l’importance d’un tel lieu de mémoire. Il y a aussi le soutien de nombreux partenaires que je voudrais saluer à l’occasion de ce 11ème anniversaire. Ils nous accompagnent depuis plusieurs années déjà.  Parce qu’ils ont été là et parce qu’ils sont encore là, cette commémoration est aussi la leur. C’est dans ce sens que j’épouse cette pensée de Pierre Nora qui nous enseigne que « Les commémorations sont toujours des temps de remémoration collective ».

 

LDB : Au fil des mois et des années, vous avez réussi à faire de ce monument, unique en Afrique, un lieu vers lequel affluent des visiteurs de plus en plus nombreux, mais également un centre de recherches et de débats. Quelles seront les prochaines étapes de ce parcours historique ?

 

B.A. Les prochaines étapes de ce parcours se définissent par rapport à la réalisation du deuxième module qui sort majestueusement de terre aujourd’hui. La bibliothèque, l’amphithéâtre, la salle de conférence et les autres pôles d’activité donneront à cet ensemble une cohérence d’action et de fonctionnement digne de grands espaces culturels que l’on voit ailleurs. Il ne s’agira point de faire du mimétisme aveugle. Mais l’exigence de diversification qu’offrira ce deuxième module fera du Mémorial, j’en suis convaincue, une référence en matière de bouillonnement culturel et de ressourcement pour les amoureux de l’art et de la recherche. La vocation du Mémorial est de mettre en valeur l’héritage du passé dans un monde en mouvement. Les lieux de mémoire sont des objets de connaissance, mais doivent aussi être des sources d’inspirations.

LDB : Dans l’enceinte du vaste jardin qui entoure le Mémorial vous avez entrepris de bâtir un nouveau bâtiment qui sera inauguré dans les mois à venir. Quelles missions comptez-vous assigner à ce lieu tout aussi imposant qui s’ouvrira directement sur le Fleuve Congo ?

 

B.A. Comme je l’ai indiqué  plus haut, il y aura une salle de conférence, une bibliothèque, une salle multimédia, etc. Chaque structure a sa mission principale mais la coordination de cet ensemble donnera un nouvel élan à ce qui se fait déjà et permettra d’élargir notre audience et de renforcer la variété de nos activités. Quand nous disons que le Mémorial est un lieu de mémoire cela ne signifie pas que nous le réduisons à une institution tournée vers le passé. Nous devons penser le monde en marche, en synergie avec d’autres, mais surtout en apportant la marque originale de notre imagination.

Regardez autour de vous, vous verrez que bien des domaines doivent encore être explorés pour que le monde de la culture, de la création artistique et de l’entretien de notre mémoire commune devienne un vivier de formation et de recherche. Nous y travaillons, humblement, mais avec détermination.

LDB : Parmi les questions délicates qui se posent au Mémorial, et donc à vous qui le dirigez, figure en bonne place la restitution des archives et des pièces historiques ayant marqué l’existence, l’aventure vécue par Pierre Savorgnan de Brazza. Pensez-vous que l’Italie et plus encore la France y sont prêtes ? 

B.A. Cette question récurrente trouve sa légitimité dans le fait que le Mémorial doit conserver un patrimoine propre à cette partie de l’histoire de notre pays qui raconte l’épopée de Brazza. Des pièces historiques et autres archives sont les sources documentaires qui constituent ce patrimoine. Nous avons entrepris de récupérer ce qui doit l’être. J’avoue que c’est un long chemin à parcourir. La France, l’Italie, auxquelles il faut ajouter l’Algérie et le Gabon, font partie intégrante de cette histoire. Ils sont ouverts à une éventuelle restitution, mais certaines archives sont tenues par des personnes privées et d’autres sont conservées dans des institutions d’Etat. Avec la construction du deuxième module, nous atteindrons un seuil de confiance qui motivera certainement des démarches individuelles ou collectives en vue de la restitution de ces archives.

J’aimerais tout de même ajouter que cette démarche doit tenir compte de deux paramètres : restitution et acquisition. La restitution concerne les objets qui doivent revenir, de droit, au patrimoine congolais. L’acquisition vise l’appropriation des pièces dont la valeur symbolique et historique est avérée, donc essentielle pour nous. Par conséquent, nous devons effectuer un véritable travail de recherche.

LDB : L’élévation du Mémorial en plein cœur de Brazzaville a démontré que l’Afrique entend désormais écrire elle-même son Histoire. Quel rôle le Mémorial Savorgnan de Brazza jouera-t-il dans la poursuite de ce processus qui pourrait bien changer l’image mondiale d’une Afrique trop longtemps soumise à des puissances extérieures ?  

B.A. Je considère que le monde est aujourd’hui un village planétaire. Il est impératif de s’associer aux autres dans le souvenir d’une Histoire qui nous rassemble plus qu’elle nous divise. Les drapeaux qui sont implantés dans les jardins du Mémorial prouvent à suffisance que la réalisation de cette bâtisse est, comme le disait Jean-Robert Henry, « le défi d’une Histoire commune et du partage des mémoires ». La question que l’on doit se poser est donc la suivante : comment écrire sa propre Histoire lorsque celle-ci est issue d’un passé commun ?

Par ailleurs il est aussi vrai que devenir le sujet qui écrit sa propre Histoire participe de la nécessité pour l’Afrique « de se guérir, de se nommer », comme dirait l’écrivain sénégalais Felwine Sarr. Pour ce qui est du Mémorial l’accent sera toujours mis sur l’organisation de colloques et d’échanges, d’expositions et de vernissages, bref sur tout ce qui relève de notre richesse vivante et qui doit devenir objet de connaissance transmissible génération après génération. Une telle aventure mérite bien qu’on y mette savoir, intelligence et réflexion.

LDB : Qu'avez-vous prévu pour ce 11ème anniversaire ?

B.A. Pour cette année, nous prévoyons la remise de kits scolaires aux meilleurs élèves du Lycée Savorgnan de Brazza. L’événement aura lieu ce mardi 3 octobre. Nous remettrons aussi du matériel didactique pour l'administration de cet établissement. Ce sera notre contribution pour une bonne rentrée scolaire à ce Lycée qui est le plus grand du Congo et qui porte le nom de l’illustre explorateur Pierre Savorgnan de Brazza. Ce sera également l’occasion d’inviter nos Lycéens  à une culture de l’excellence.

 

 

 

 

Propos recueillis par Jean-Paul Pigasse

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