Interview. Guy Mafuta Kabongo : « La mutuelle de santé des enseignants est un pas de géant vers une sécurité sociale beaucoup plus effective »

Mercredi 31 Janvier 2018 - 17:06

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Le président de la Mutuelle de santé des enseignants de l'EPSP en RDC, Guy Mafuta Kabongo, dans cet entretien exclusif avec Le Courrier de Kinshasa,   a affirmé que cette structure constitue un projet pilote qui peut permettre d’ajouter d’autres corps de métier dont les militaires, les fonctionnaires, etc., et de passer en échelle.

 

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K) : Monsieur le président, pourquoi une mutuelle de santé des enseignants ?

Guy Mafuta Kabongo (G.M.K.) : En réalité, c’est une demande qui est venue des enseignants eux-mêmes. Depuis environ vingt ou vingt-cinq ans, chaque fois que les enseignants s’adressaient à leur employeur, le gouvernement, il y avait une requête qui revenait régulièrement, celle consistant à s’occuper de leurs soins de santé et de leurs familles. À l’époque, il y avait la carte d’ayant-droit qui, malheureusement, n’a pas atteint les objectifs pour lesquels elle était mise en place et les enseignants continuaient leur revendication. Avec l’avènement de la troisième République, à l’époque où Maker Mwangu était ministre de l’EPSP, il s'était résolu à se pencher sur la question pour trouver une solution adaptée, qui puisse rencontrer cette préoccupation des enseignants. Mais la solution a été trouvée par l’enseignant lui-même. Concrètement, il y a eu une mission pour une étude de faisabilité pilotée par le ministère et qui comprenait, en plus, les responsables syndicaux. D'autres missions ont été effectuées à l’extérieur du pays, notamment en Belgique et en France, pour rencontrer des organisations assez outillées qui s’occupent des soins de santé des enseignants. Il s'agit, par exemple, des Mutuelles neutres de Belgique, des Mutuelles chrétiennes de Belgique, de la Mutuelle générale des enseignants de France. Ces missions ont permis de s’inspirer de leur expérience et de l'adapter à la réalité congolaise. Il y a eu également des déplacements vers le Bas-Congo (actuel Kongo Central), où il existe beaucoup d’organisations du genre "Likelemba" ou encore la solidarité africaine, et au Sud-Kivu où il y a de petits regroupements corporatifs ou structures du genre réunissant des paysans. C’est donc la somme de toutes ces données qui nous a permis de mettre en place cette mutuelle.

L.C.K. : Vous êtes établis à Kinshasa seulement ou à travers tout le pays ?

G.M.K. : Nous sommes à Kinshasa depuis six ans déjà, à Lubumbashi, il y a quatre ans et à Mbandaka, il y a trois ans. C’est une option que nous avons levée de nous déployer progressivement à travers la République.

L.C.K. : La Mutuelle de santé a-t-elle remplacé la sécurité sociale ?

G.M.K.  : Pas du tout. Dans la sécurité sociale, il n’y a pas que la santé. C’est vrai que la santé est le pilier fondamental de la sécurité sociale, parce qu’il faut être en bonne santé, parce qu’il faut se prémunir de tous les aléas de la vie. Mais, dans la sécurité sociale, il y a notamment la retraite, et beaucoup d’autres choses qui entrent en jeu. La Mutuelle de santé est, par ailleurs, un pas de géant vers une sécurité sociale beaucoup plus effective. Donc, c’est un projet pilote qui est là. Aujourd’hui, on parle des enseignants. Demain, sur les enseignants, on pourra ajouter les militaires, les fonctionnaires et passer en échelle. Ce sera bien pour le pays. Mais c’est un pas considérable dans l’optique d’atteindre une couverture plus large de la  sécurité sociale.

L.C.K. : Est-ce depuis sa création que vous êtes à la tête cette mutuelle ?

G.M.K. : Tout au début, j’ai été deuxième vice-président. Les statuts de la mutuelle prévoient, en effet, un président secondé par deux vice-présidents. Je l’ai été parce que j’ai œuvré pendant une longue période comme assistant du ministre de l’EPSP. J’ai donc été de ceux qui avaient initialement mené l’étude. A l'origine de la structure, il fallait résoudre la question sur sa gestion. Fallait-il avoir une structure du genre service public, direction du ministère de la Santé ou du ministère de l'EPSP ?  Ce sont des questions auxquelles il fallait répondre.

À la fin, on a résolu de mettre en place une structure de type privé, une association à but non lucratif. L’enseignant ayant estimé qu’il en était lui-même le créateur, la gestion devait donc lui revenir. La poire a été coupée en deux et le premier président était le feu révérend père Ekwa, une icône dans le monde de l’éducation. Il avait la confiance totale des membres de la mutuelle. Le premier vice-président était un enseignant, le porte-parole de l’intersyndicale, feu Jean-Pierre Tshibuabua, et moi, j’étais deuxième vice-président. Suite aux décès de M. Tshibuabua et du père Ekwa, je me suis retrouvé, à titre intérimaire, gérant de la structure, avant que l’assemblée générale me confie totalement un mandat. J’ai donc été élu pour mettre en place cette structure, il y a de cela quatre ans.

L.C.K. : Pensez-vous que six ans après, la mutuelle a fait du chemin ?

G.M.K. : Oui. Déjà, pour une structure créée par des Congolais, vivant ou fonctionnant aux dépens du salaire de l’enseignant et des subventions de l’État, le fait d’avoir survécu pendant six ans, c’est quand même quelque chose. Mais le chemin à faire est encore long. En six ans, n’ayant pas de sérieux problèmes avec des partenaires (hôpitaux, fisc, personnel), sans arriérés concernant des factures d’hôpitaux, le payement de salaires, pas de problèmes majeurs de fonctionnement, je pense que c’est quand même un pas à encourager. Il y a eu beaucoup de choses. Souvent, je dis qu’en six ans, nous avons un personnel qui connaît ce qu’est la mutuelle, nous avons des outils que nous utilisons, qui ont évolué avec le temps pour atteindre un niveau qui rende un travail de qualité. Mais beaucoup reste à faire d’autant plus qu’on est dans trois provinces seulement, bientôt cinq. On ouvrira à Kisangani et Tshikapa où les travaux sont très avancés. Cinq provinces sur vingt-six, ce n’est pas encore la mi-parcours. Donc, nous évoluons petit à petit.

L.C.K. : N'est-ce tout de même pas un échec de n'être encore que dans trois provinces ?

G.M.K. : Ce n’est pas un échec, parce que nous sommes dans un environnement où il n’y a presque pas de repères par rapport à ce que nous faisons. Je voulais dire que les outils, c’est nous-mêmes qui les mettons en place. Aujourd’hui, quand vous m’avez trouvé, je présidais une grande réunion de validation du Charte de médecin conseil et aussi certaines procédures liées aux médicaments. Donc, on n’a pas de repères, on n’a pas d’outils existants sur la base desquels on pouvait directement se lancer. Il fallait donc lancer Kinshasa, maîtriser et continuer. Vous constaterez avec nous que nous avons mis deux années pour être à Lubumbashi alors qu’il a suffi d'une année pour arriver Mbandaka, et quelques mois pour opter de lancer Tshikapa et Kisangani. Le constat est que les temps mis pour se lancer dans de nouvelles provinces se réduisent chaque jour. Cela voudrait dire que nous maîtrisons la chose : au fur et à mesure, nous comprenons comment la chose évolue et le temps pour le déploiement se réduit.

Je pense qu’il est intéressant de lancer une chose avec toutes les certitudes, toutes les précautions possibles pour qu'elle prenne le temps nécessaire au lieu d’aller vite et de se cogner contre le mur.

L.C.K. : Quels sont les critères de choix des provinces pour que vous ayez décidé de commencer par Kinshasa avant d’aller au Katanga, à Kisangani ou au Kongo Central ?

G.M.K. : Pour Kinshasa, il est tout à fait naturel que quand un projet commence, c’est la capitale généralement qui le porte, dans la mesure où c’est à Kinshasa que l’on trouve des conditions maximales liées à la modernité, aux infrastructures, etc., parce que nous utilisons quand même un outil informatique de pointe. Les centres de santé avec lesquels nous avons de convention sont liés à nous par le réseau intranet et nous avons aussi internet, difficiles à trouver dans le Congo profond. Donc, on a commencé par Kinshasa, et nous sommes allés à Lubumbashi, parce que ces deux villes sont pratiquement similaires. Après Lubumbashi, le choix de Mbandaka l’a été sur instruction du chef de l’État. C’était à l’époque où il y avait la fièvre hémorragique à virus Ébola et également beaucoup d’épidémies dans cette partie du pays. Le chef de l’État avait pensé qu’il fallait aller secourir les frères et sœurs de cette province qui vivaient une calamité du point de vue santé. Kisangani était également concernée. Mais, étant donné que l’on avait décidé que le choix des provinces devrait l’être sur la base de certains critères, nous avons mis en place un document appelé "Politique générale d’extension". Ce dernier donne deux scénarii : le premier nous amène à nous appuyer sur l’accroissement des ressources et le second, c’est l’hypothèse où la mutuelle avait tous les moyens nécessaires au même moment, en combien de temps on pouvait couvrir toute l’étendue de la République. Par rapport au choix des provinces, ce sont des critères qui entrent en jeu. Il y a des critères de géo-politique. On a lancé Kinshasa, c’est l’ouest, Lubumbashi, c’est le sud-est et le nord avec l’Équateur. On ne peut donc pas se concentrer à un endroit. Il y a également des critères liés à la géographie. Quand vous allez au nord, vous devez également penser au sud, à l’est et à l’ouest, avant de repartir au nord. Il y a ensuite les critères accès. Pour construire, par exemple, un immeuble à Kinshasa, cela peut coûter dix fois moins que la construction d’un immeuble correspondant à Ariwara, dans la province orientale, où il faut prendre l’avion, une moto, la pirogue, voire marcher. Comme les moyens sont croissants et que nous n'en avons pas toujours au même moment, nous privilégions les zones où l’accès est facile. On agit également par rapport à l’effectif des enseignants dans le coin. Il est plus facile, pour moi, de lancer la mutuelle, par exemple, à Mbandaka, où il n’y a que trois mille enseignants pendant que la ville de Kikwit, dans le Bandundu, c’est près de huit fois plus. Tous ces éléments combinés nous donnent une programmation de villes à choisir en vue de couvrir toute l’étendue du pays.

À suivre.

 

Propos recueillis par Lucien Dianzenza

Légendes et crédits photo : 

Le président de la MEPS, Guy Mafuta Kabongo /Adiac

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