Interview. Hemedi Mwanamboyo : « Je ne suis pas sûr que nous aurons plusieurs Liyolo avant un certain temps »

Jeudi 9 Mai 2019 - 21:01

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Journaliste, cinéaste de formation, membre de l’Association internationale des critiques d’art (AICA), l'homme de culture passionné écouté sur les ondes de la Radio télévision nationale (RTNC) animait autrefois une émission télévisée intitulée "Sur le podium", dont feu Liyolo était consultant, visiteur permanent. Des souvenirs du sculpteur, le critique d’art en a plusieurs. Il a partagé certains dans cette interview exclusive accordée aux Dépêches du Bassin du Congo, le 29 avril dernier.

 

Hemedi Mwanamboyo accoudé à l’œuvre de Liyolo en face du bâtiment administratif de l’ABA (Photo Adiac)Les Dépêches du Bassin du Congo (L.D.B.C.) : Me Liyolo était une de vos connaissances de longue date. Dans quelles circonstances êtes-vous entré en contact avec lui ?

Hemedi Mwanamboyo (H.M.) : C’est au travers de l’émission "Sur le podium" qui date de 1975 et que j'ai tenue pendant 15 ans que je l'ai connu. Il était pratiquement consultant, en tout cas visiteur permanent de cette émission.  Nous avons sympathisé et j’ai commencé à le fréquenter. J’ai participé à l’écriture de certains des textes qui ont emmaillé les légendes de ses œuvres. Car, lors des expositions, il y a toujours une brochure où les œuvres de l’artiste sont expliquées, qu’il distribue aux visiteurs ou participants à la manifestation qui peut être aussi un festival. Je le faisais avec un ami, Paul-Olivier Lusangi, qui était pratiquement son biographe. Je fréquentais l’Académie des Beaux-arts chaque semaine en tant que membre de l’AICA.

L.D.B.C. : Quels sont les souvenirs vivaces, les meilleurs que vous gardez de lui à cette époque  ?

H.M. : Nous nous sommes rencontrés d’abord à Lausanne, en Suisse, lors d’une exposition de grands artistes issus de l’Académie des Beaux-arts. Et, à mon retour au pays après mes études en France, j’ai commencé mon émission "Sur le podium", il en est devenu tout naturellement un consultant, un de mes partenaires habituels. Les meilleurs souvenirs que je garde de Me Liyolo c’est que lorsqu’il avait une exposition, je ne pouvais manquer d’y être invité. Ce, pour la bonne raison que j’étais d’abord un ami et ensuite parce que je devais en parler dans mon émission. C’est ainsi que jusqu’il y a un an, il m’envoyait toujours une carte de vœu ou me les transmettait par texto, au téléphone. Hormis en décembre dernier où il était malade. Je connais donc bien sa famille. Mais pour en revenir à l’artiste, lors de l’exposition du "Le Léopard volant", organisée à l’Hôtel intercontinental, l’actuel Grand Hôtel, à laquelle avait assisté toute la crème de la culture et de la diplomatie, j’avais été honoré d’en faire le reportage. C’était une œuvre monumentale en bronze de trois ou quatre mètres de haut. Je crois que c’est un richissime diplomate qui l’avait achetée, raison pour laquelle on ne la voit pas. Et d’ailleurs, elle n’a même pas été citée ici alors qu’elle est parmi les œuvres les plus costaudes représentative du travail de Liyolo. Puis, au retour de chaque biennale et manifestation de tout genre à laquelle il avait pris part, il était invité à mon émission pour en faire un large écho aux téléspectateurs de la "RTNC" qui s’appelait alors "Télé Zaïre".

L.D.B.C.: Avez-vous gardé un intérêt pour les arts plastiques qui semblent ne pas avoir gardé leur aura d’autrefois  ?

H.M. : Je crois que les arts plastiques avaient gagné leurs lettres de noblesse à l’époque de Mobutu malgré tout ce que l’on peut dire. Surtout avec sa politique de recours à l’authenticité, il avait revalorisé les arts et alors les artistes ont débordé d’imagination. Ils ont produit des œuvres remarquables, surtout en arts plastiques : peinture, céramique, sérigraphie, métal battu, en dinanderie. C’était vraiment la belle époque, carrément « Le siècle des lumières » pour les arts plastiques congolais, si je puis me permettre de le dire ainsi. C’était vraiment l’âge d’or, cette époque qui a fait connaître plusieurs maîtres des arts plastiques, de la sculpture notamment. C’est donc à ce moment-là que Liyolo s’est vraiment révélé comme un grand sculpteur. Et, c’est ainsi que nous lui confions nos propres enfants, je lui ai personnellement confié un neveu qui est devenu en même temps un grand artiste, un homme de lettres et un créateur des œuvres d’art.  

L.D.B.C. : Avoir assisté aux funérailles de Liyolo vous inspire-t-il une sorte de regret? Une des sculptures monumentales de Me Liyolo

H.M. : Oui, voir Liyolo partir à 76 ans, c’est exactement le même âge que moi, ce n’était peut-être pas le moment. Mais le destin est là, même si c’est difficile à accepter. Il faudrait peut-être se demander si, avec tout ce qu’il a donné comme cours à l’Académie des Beaux-Arts et ailleurs, a-t-il pu laisser suffisamment de ressources pour que les Congolais poursuivent ce travail tout en s’imprégnant, adoptant, assimilant ou admirant les œuvres qu’il a laissées. Poursuivre la création d’œuvres sculpturales, artistiques de sa trempe car comme l’on dit, l’ambition de tout disciple c’est de dépasser son maître. Mais en existe-t-il avec l’ambition de dépasser Liyolo ? C’est cela mon seul regret lorsque je vois des cérémonies des funérailles du genre de celles auxquelles nous venons d’assister tout à l’heure. Il y a ce regret-là, effectivement, je ne sui pas sûr que nous aurons plusieurs Liyolo avant un certain temps.

L.D.B.C.: Pensez-vous que les arts plastiques seront orphelins, en crise pendant un moment ?

H.M. : Oui, du moins la sculpture. Disons qu’elle ne sera pas tout à fait orpheline parce qu’il y a des gens qui s’essaient tant bien que mal car il y a déjà eu Lufwa que beaucoup de gens connaissent. Mais, mis à part "Le batteur de tam-tam", je n’ai pas connu d’autres sculptures monumentales de Lufwa. Mais pour ce qui est de Liyolo, en dehors de ce qui a été énuméré, de ce que l’on voit dans la cité à Kinshasa, il faut aller voir à l’extérieur du pays. Il a été dans des expositions internationales… Ses œuvres existent dans des résidences privées où elles peuvent être admirées. Et, la sculpture n’est pas orpheline dans la mesure où les œuvres de Liyolo peuvent inspirer d’autres artistes. Mais, je me pose cette question : « Pouvons-nous nourrir l’espoir d’avoir d’autres Liyolo avant longtemps ? ». Je me pose la question et la pose à la société congolaise actuelle.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Hemedi Mwanamboyo accoudé à l’œuvre de Liyolo en face du bâtiment administratif de l’ABA / Adiac Photo 2 : Une des sculptures monumentales de Me Liyolo

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